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Intervention de Marie-Louise Fort

Réunion du 26 janvier 2010 à 15h00
Lutte contre l'inceste sur les mineurs — Discussion en deuxième lecture d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Louise Fort, rapporteure de la de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de saluer des victimes, Éva Thomas, Isabelle Aubry, Ghislaine Pieux.

C'est un moment enthousiasmant dans la vie d'un parlementaire que celui où il monte à la tribune pour défendre un texte auquel il croit profondément ; un texte dont il mesure avec autant de gravité le caractère déterminant et essentiel pour les plus fragiles de ses concitoyens, pour ceux qui vivent les plus grandes souffrances dans le plus fort isolement.

Aujourd'hui, je pense à ces enfants du silence, comme aux deux millions de victimes devenues adultes bien que brisées. Je porte le poids de leur souffrance. Je souffre de l'injustice qui leur est faite d'être nés là où nul n'aurait envie de grandir ou de vivre.

Monsieur le secrétaire d'État, le fardeau de cette souffrance, nous avons voulu le partager avec le Gouvernement lorsque, à l'issue d'une mission que m'avait confiée le groupe majoritaire de notre assemblée, j'ai remis un rapport sur la lutte contre l'inceste, il y a un an, jour pour jour. Michèle Alliot-Marie, et avant elle Rachida Dati, Roselyne Bachelot et Nadine Morano en ont pris la mesure. À travers elles, nous avons trouvé dans le Gouvernement un allié précieux, volontaire et à l'écoute. Un grand merci.

Nous avons cherché dans les lois existantes un écho que nous n'avons pas trouvé. Nous avons donc pensé et écrit ce texte pour protéger les victimes, pour qu'il serve à ceux qui les accompagnent au quotidien, et pour éveiller les consciences.

L'Assemblée nationale, d'abord, puis le Sénat ont affiné et enrichi cette proposition de loi en première lecture. Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi, en tant que rapporteur de la commission des lois, de redire toutes les avancées que ce texte propose.

Son premier volet vise l'inscription de l'inceste dans le code pénal.

Le code pénal, dans sa rédaction actuelle, ne réprime pas l'inceste et les agressions sexuelles incestueuses en tant que telles. Le dispositif adopté en première lecture par l'Assemblée nationale, à l'initiative de la commission, prévoit de consacrer la spécificité de l'inceste en droit pénal, sans aggravation de la peine principale.

Le Sénat n'a pas remis en cause la notion de « surqualification » qui se « superposera » à la qualification de crime ou de délit sexuel. Les actes, même commis avant l'entrée en vigueur de la loi, pourront donc être qualifiés d'inceste, ce qui permettra notamment d'en assurer le suivi statistique.

Le deuxième volet du texte améliore la prévention.

Le titre II de la proposition de loi, relatif à la prévention de l'inceste, comporte deux articles. L'article 4 renforce le rôle de l'école en la matière, et l'article 5, adopté conforme par le Sénat, conforte celui de l'audiovisuel public dans l'information relative à la santé et à la sexualité.

Enfin, le troisième volet de la proposition de loi renforce l'accompagnement des victimes. L'article 6 bis propose qu'un administrateur ad hoc soit nommé dès qu'une plainte pour inceste est déposée. La systématisation de cette mesure doit permettre de mieux protéger l'intérêt de l'enfant.

Vous l'aurez compris, le Sénat a apporté au texte quelques aménagements bénéfiques, sans modifier son équilibre général ni les avancées voulues et portées par notre assemblée.

Tout d'abord, il a modifié la définition du périmètre des auteurs d'inceste.

En première lecture, notre assemblée avait retenu la définition du périmètre de l'inceste figurant dans la proposition de loi initiale. Elle visait la relation sexuelle entre un mineur et son ascendant ; son oncle ou sa tante ; son frère ou sa soeur ; sa nièce ou son neveu, ou avec le conjoint ou le concubin d'une de ces personnes, ou avec le partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l'une de ces personnes.

La commission des lois du Sénat a estimé que cette définition impliquait un changement de périmètre par rapport au droit en vigueur. Elle a donc préféré considérer que les viols et les agressions sexuelles étaient incestueux lorsqu'ils étaient commis « au sein de la famille » sur la personne d'un mineur « par un ascendant ou par toute autre personne ayant sur la victime une autorité de droit ou de fait ». Cette rédaction a été modifiée par l'adoption, en séance publique, d'un amendement du Gouvernement qui vise expressément l'inceste entre frère et soeur, et l'inceste commis par le concubin d'un membre de la famille. La rédaction finalement adoptée par le Sénat est donc assez proche de celle adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture.

Au titre du volet relatif à la prévention, le Sénat a supprimé les dispositions précisant que la spécificité de l'inceste devait être abordée dans le cursus des études médicales. Chère Henriette Martinez, vous aviez porté l'amendement adopté en ce sens lors de la première lecture dans notre assemblée. Comme vous, nous regrettons que ces dispositions aient été supprimées. Cependant, cette suppression n'est pas motivée par un désaccord de fond du Sénat, mais seulement par la distinction entre les champs de la loi et du règlement, si bien que les articles visés figurent désormais dans la partie réglementaire du code de l'éducation. J'espère donc que le Gouvernement saura prendre en compte votre proposition, que nous approuvons et à laquelle nous avons marqué notre attachement par notre vote en première lecture.

S'agissant de l'amélioration de l'accompagnement des victimes, notre assemblée avait voté la désignation automatique d'un administrateur ad hoc dans les cas d'inceste, mais le Sénat a estimé qu'il pouvait exister des cas dans lesquels les parents de l'enfant victime – ou l'un d'entre eux – sont en mesure d'assurer la protection de ses intérêts. Une désignation trop systématique de l'administrateur ad hoc risquerait de les en empêcher et pourrait ainsi nuire à l'enfant, en lui infligeant en quelque sorte une double peine. La commission des lois partage cette préoccupation. Faire de la nomination de l'administrateur ad hoc le principe et permettre au procureur de la République ou au juge d'instruction de l'écarter par une décision spécialement motivée nous est donc apparu à la fois sage et conforme à l'esprit du vote de notre assemblée en première lecture.

Enfin, le Sénat a modifié l'intitulé de la proposition de loi pour mettre l'accent sur le volet pénal. Je tiens à souligner que cette modification ne doit pas masquer les volets consacrés à la prévention et à la prise en charge des victimes. Néanmoins, la simplification du titre de la proposition de loi ne pose pas de difficulté.

Monsieur le secrétaire d'État, permettez-moi une dernière réflexion. Elle est plus personnelle, mais je suis certaine que l'ensemble de mes collègues y souscriront.

Nous nous apprêtons à voter un texte d'une importance considérable pour les droits de l'enfant et pour la protection et l'accompagnement des victimes. Il permettra une meilleure prévention, ainsi qu'une meilleure reconnaissance, une meilleure identification, une meilleure compréhension et un meilleur accompagnement des victimes. Mais ce ne sera pas suffisant si l'État n'engage pas tous les moyens nécessaires à une exécution plus rapide de la justice concernant les infractions sur mineurs, s'il n'engage pas tous les moyens attendus pour renforcer la sensibilisation du grand public, et surtout pour accroître l'offre de soins pour les victimes, très tôt dans l'enfance et jusque tard à l'âge adulte, car on souffre de l'inceste toute sa vie. Je pense en particulier à l'ouverture de centres pluridisciplinaires départementaux dédiés aux victimes.

Je me permets d'insister sur le fait que le rapport visé à l'article 7 n'est pas un rapport parmi d'autres. C'est une invitation à l'action. La France fait beaucoup ; elle doit faire davantage. Le Gouvernement fait beaucoup ; il doit faire davantage. Nous devons faire davantage. C'est une question d'humanité, d'honneur.

En votant cette proposition de loi, nous permettrons à toutes les victimes d'être reconnues. Nous ne pouvons continuer à les entendre dire : « J'ai honte » ; cette formule devrait n'appartenir qu'aux agresseurs. Dans le silence, dans l'inaction, nous nous renions.

Monsieur le secrétaire d'État, la représentation nationale compte sur le Gouvernement. Ayons à l'esprit ce qu'écrit Jenyu Peng dans son ouvrage À l'épreuve de l'inceste : « Si le complexe d'Œdipe, vécu sur le mode imaginaire, est constitutif de la personnalité, en revanche, le viol réel d'un enfant par un parent provoque une catastrophe psychique dont la résilience se révèle difficile à atteindre. »

Mes chers collègues, les victimes comptent sur nous. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

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