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Intervention de Jérôme Bignon

Réunion du 20 janvier 2010 à 9h30
Commission des affaires sociales

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Bignon :

Il faudrait interroger les Néerlandais, qui n'ont pas fini d'évaluer les succès obtenus grâce à leurs réformes radicales.

Nous ne disposons pas, monsieur Bur, de comparaisons sur les écarts d'espérance de vie selon les catégories socioprofessionnelles mais selon le niveau d'éducation initial. Elles montrent que la France se situe dans la moyenne. Beaucoup de pays européens se préoccupent de cette question depuis que l'Organisation mondiale de la santé a montré qu'il y avait un lien entre la situation sanitaire générale d'un pays et les inégalités de statuts de santé et non pas seulement le montant global des dépenses de santé. La France est dans une situation moyenne, pas exceptionnelle.

Cela renvoie également aux modes de vie, qui expliquent la réduction de l'écart d'espérance de vie entre hommes et femmes dans notre pays, ainsi qu'au fait – l'étude n'a pas été faite – que les Français sont ceux qui développent leur vie active pendant le temps le plus bref et sont ainsi soumis à une forte intensité de travail, la productivité horaire étant dans notre pays la plus élevée d'Europe.

Non, monsieur Bur, les familles monoparentales ne sont pas une spécificité française. Le lien entre ce phénomène et la pauvreté des enfants est particulièrement fort au Royaume-Uni, où l'on rencontre beaucoup de très jeunes mères de 14 à 17 ans. C'est un problème qui ne touche pas la France au même degré. En France, le principal problème tient au nombre des familles, pas nécessairement monoparentales, au sein desquelles aucun adulte ne travaille.

S'agissant du financement des politiques sociales, madame Génisson, le modèle bismarckien de financement par des contributions sociales venues des entreprises est largement majoritaire en Europe, y compris dans les nouveaux États membres. Dans d'autres pays, comme la France, où ce financement est assuré par des contributions sociales fondées sur les salaires, on voit la part issue de l'impôt augmenter. Enfin, des pays qui ont une base uniquement fiscale, comme le Danemark et l'Irlande, introduisent désormais une part de financement contributif. De la sorte, les écarts entre les pays se réduisent et il n'y a pas véritablement de lien clair entre le mode de financement et l'efficacité. On constate simplement que dans des pays comme le Royaume-Uni, où le système de santé reste presque entièrement à la charge de l'État, le Trésor s'implique très fortement dans la recherche de pratiques innovantes, dans l'expérimentation et dans l'analyse très précise de l'efficacité des dépenses de santé.

Vous m'avez par ailleurs interrogé à propos de la situation des femmes, notamment quant aux écarts de retraite avec les hommes. Nous sommes au premier rang pour le taux de remplacement des revenus d'activité par la retraite, pour les femmes comme pour les hommes, mais si le taux est de 60 % pour ces derniers, il n'est que de 40 % pour les femmes. Cet écart fait l'objet de nombreuses réflexions, un récent arrêt de la Cour de justice européenne semblant en contradiction avec certaines pratiques françaises. De manière générale, le Comité de protection sociale réfléchit à la manière d'éviter que la tendance actuelle, qui est de faire en sorte que les droits à la retraite soient de plus en plus proportionnés aux durées de cotisation, ne pénalise pas les femmes, qui présentent des interruptions de carrière, notamment en raison des maternités.

Le congé parental fait aussi l'objet d'intenses réflexions. Il apparaît, en particulier, que des congés de maternité trop longs freinent le retour à l'emploi et les instances européennes envisagent par conséquent d'en limiter la durée à douze mois.

Mais en demeurant dans le cadre des traditions de chaque pays, les réformes peuvent être d'importance, pas seulement « paramétrique » comme le dit l'OCDE, mais véritablement systémique. Tel a été notamment le cas en Finlande ainsi qu'en Suède, en matière de retraites. Dans ce pays, les partenaires sociaux continuent à jouer un rôle très important et ils ont fait le choix d'une détermination quasi automatique des droits à pension en fonction de l'évolution de l'espérance de vie. Ainsi, sans qu'il soit besoin désormais d'une négociation annuelle, chaque Suédois reçoit chaque année une lettre orange qui détaille, en fonction de l'espérance de vie et du secteur dans lequel il travaille, les conditions dans lesquelles il peut prendre sa retraite. Ce n'est pas une réforme mineure. L'âge moyen de départ en retraite est de 68 ans dans ce pays.

M. Bernard Perrut m'a posé un certain nombre de questions d'ordre général, en particulier sur la coopération entre les acteurs et sur l'articulation entre le public, le secteur associatif et le privé pour réussir les réformes. C'est en effet un point essentiel, qui pose peut-être plus de difficultés en France où les relations entre les acteurs centraux de l'État et les acteurs privés ou conventionnels demeurent souvent sous le régime de la tutelle. La centralisation n'est pas seulement un phénomène administratif, mais aussi politique et l'on peut s'interroger sur la qualité de cette centralisation et sur le degré d'autonomie que l'on laisse aux acteurs décentralisés : quelle est leur implication dans la préparation des réformes et dans leur suivi ? Que les choses soient claires : je ne porte pas de jugement sur la centralisation, mais simplement sur la qualité des relations qui existent entre les acteurs.

Il est, en effet, un peu nouveau dans notre pays que l'on accepte de considérer que l'accès à l'emploi et la lutte contre le chômage structurel sont des éléments décisifs de la lutte contre la pauvreté. C'est un changement positif, mais je ne suis pas sûr que les partenaires sociaux se préoccupent suffisamment de leurs responsabilités au regard de l'exclusion et des problèmes structurels du marché du travail. Le livre de Jacques Delors et Michel Dollé, Investir dans le social, donne de ce point de vue des exemples précis. À l'inverse, dans certains pays, des conférences réunissent régulièrement partenaires sociaux, représentants du monde associatif, représentants des pouvoirs publics, élus, qui s'interrogent par exemple sur la façon dont le mode de fixation du revenu minimum prend en compte l'exclusion et la grande pauvreté.

M. Aboud m'a demandé comment on pouvait faire des comparaisons entre des pays aux niveaux de revenus très différents. Le taux de pauvreté auquel j'ai fait référence est relatif : quand on dit que le taux de pauvreté de la République tchèque est faible – 8 % contre 13 % en France – c'est au regard du revenu médian dans ce pays. Cela étant, compte tenu des énormes écarts de revenus entre pays, les indicateurs de pauvreté relative ne reflètent pas suffisamment la situation dans des pays aussi pauvres que la Bulgarie, la Roumanie et les États baltes. Nous nous intéressons donc aussi à d'autres indicateurs, de niveau absolu, comme l'accès aux biens essentiels, la qualité du logement, l'équipement des ménages en tel ou tel bien, le nombre de repas répondant aux normes de la FAO.

Je regrette, monsieur Gremetz, de ne pas avoir davantage l'occasion de travailler avec le Conseil d'orientation des retraites. Au plan européen, mes interlocuteurs sont surtout des représentants des partenaires sociaux, des ministères des affaires sociales et de la société civile. Le COR m'apparaît, en allant vite, comme une institution franco-française, même s'il fait un travail remarquable.

Vous avez par ailleurs souligné la grande variété des régimes de retraite en Europe. Aux Pays-Bas, la moitié des retraites sont versées au titre de régimes complémentaires par capitalisation, gérés de manière paritaire. Mais, dans toute l'Europe, les régimes par répartition demeurent majoritaires, tant en nombre qu'en part des retraites versées. Dans cinquante ans, la part des régimes par capitalisation aura sensiblement augmenté, mais la répartition restera majoritaire. Les régimes complémentaires se développent donc surtout dans un souci de diversification, la France faisant exception et demeurant bipolarisée entre répartition et assurances privées, en raison du poids de l'assurance-vie dans notre pays.

En général, les pays où l'on travaille le plus longtemps sont aussi ceux qui présentent le plus faible taux de chômage des jeunes : d'un point de vue macroéconomique, il n'y a pas de substitution entre l'emploi des jeunes et celui des seniors. Dans les pays qui, comme la Finlande, ont fait de l'emploi des seniors leur priorité, il s'agit d'une politique globale, qui mobilise l'ensemble des partenaires sociaux, mais aussi les politiques de santé, d'éducation, de formation professionnelle, et pas seulement la politique des retraites. Vivre longtemps actif et en bonne santé est ainsi une priorité nationale globale et c'est d'ailleurs de la sorte que cette orientation a été acceptée.

M. Préel m'a demandé s'il ne convenait pas de faire des distinctions selon que les réformes allaient vers plus de centralisation, de décentralisation ou de régionalisation. De ce point de vue, le recours à la complémentarité, qui mêle statuts privé et associatif, conduit en général à plus de décentralisation. Les pays qui étaient déjà décentralisés se trouvent ainsi un peu en avance. Mais cela ne fonctionne pas partout : en Italie, l'État ne parvient pas à contractualiser avec les régions qui jouent pourtant un rôle social très important. Il faut donc analyser les choses au cas par cas et il serait intéressant de suivre l'expérience suédoise, qui montre que la décentralisation fonctionne mieux là où les partenaires sociaux s'accordent pour agir également de façon décentralisée. J'ajoute que le rôle des partenaires sociaux relève des traditions culturelles de chaque pays : on ne s'invente pas, tout d'un coup, des partenaires sociaux efficients et proactifs.

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