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Intervention de Anne-Marie Idrac

Réunion du 19 janvier 2010 à 17h15
Commission des affaires économiques

Anne-Marie Idrac, secrétaire d'état chargée du commerce extérieur, auprès de la ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi :

Monsieur Gaubert, 85 % des exportateurs français sont des PME, qui ne réalisent cependant que 15 % du chiffre d'affaires à l'exportation. Le nombre des PME qui exportent continue à diminuer, mais le chiffre moyen à l'exportation de ces entreprises augmente un petit peu. On peut s'en féliciter : n'avoir, pour exporter, que de petites entreprises qui se limitent à une opération ne serait pas très bénéfique.

Tout comme M. Trassy-Paillogues, vous avez soulevé le problème de la parité euro-dollar. Bien sûr, la situation est variable selon les secteurs – les entreprises qui « produisent en euros » mais doivent vendre en dollars, comme celles de l'aéronautique, sont évidemment plus pénalisées que celles qui ne sont pas dans ce cas. Mais le Président de la République a été très clair à ce sujet : l'action sur ce thème est à mener au niveau international, notamment dans le cadre du G20, que nous présiderons en 2011.

Il convient d'abord de comprendre pourquoi le taux de change actuel – autour de 1,40 dollar pour un euro – semble convenir aux Allemands. Sans doute sont-ils moins concernés par ce problème de fabrication en euros et de vente en dollars et leurs entreprises ont-elles une meilleure capacité à résister aux phénomènes de compétitivité par les coûts. Par rapport à eux, depuis le début des années 2000, nous avons été pénalisés à cet égard, pour un certain nombre de raisons sur lesquelles il n'y a pas à polémiquer. En revanche, la différence de compétitivité sur les prix a été moins forte, nos entreprises ayant mené une politique de prix « agressive ». Mais cela se traduit par une réduction de leurs marges et par une plus grande difficulté que les Allemands à grandir et à investir dans la recherche-développement, au détriment des exportations…

Vous avez aussi évoqué, ainsi que Mme Fioraso et M. Trassy-Paillogues, la question du portage à l'international. L'idée est de faire bénéficier nos petites entreprises de la puissance des grandes. J'ai relancé, sous la présidence d'Henri Lachmann, président du conseil de surveillance de Schneider Electric, et sous l'impulsion du comité Richelieu, le « Pacte PME international », le PPI. Les résultats sont restés minces en 2009, mais les moyens ont été renforcés pour 2010.

Je crois beaucoup à une application particulière de ce pacte dans les pôles de compétitivité. Dans les prochains jours, je mobiliserai ceux-ci en ce sens. Ils sont en effet à la confluence des efforts d'innovation et d'exportation, et des relations entre grandes et petites entreprises. Tout ce que l'on peut faire pour que les PME bénéficient d'une sorte d'écosystème est bienvenu. La notion de Small Business Act interne aux pôles de compétitivité m'a d'ailleurs semblé tout à fait intéressante à cet égard.

Certains secteurs comme l'aéronautique et le nucléaire sont relativement organisés. Les entreprises de Bourgogne ou de Normandie, quand je les emmène en Afrique du Sud, en Chine ou en Inde, travaillent avec les grands donneurs d'ordre. En Chine, l'aéronautique française travaille de plus en plus pour les constructeurs d'avions de ce pays.

Pour les banques, il y a eu deux périodes en 2009 : avant et après la médiation du crédit. Ce mécanisme éminemment facilitateur les a en effet amenées à davantage de raison dans l'approche des dossiers. Mais il n'est pas impossible que les PME aient maintenant un besoin en trésorerie particulièrement important, ce qui risque de se traduire par un dialogue un peu difficile avec les établissements financiers.

Sur les sujets spécifiquement internationaux, j'ai tenu à ce que la COFACE et OSEO démultiplient leur action en faisant distribuer leurs produits par les banques. Ainsi le « prêt pour l'exportation » d'OSEO est-il proposé aux entreprises en même temps que les produits « soutien aux fonds propres » ou « OSEO innovation » ; de la même façon, le développement considérable de l'assurance prospection de la COFACE est dû non seulement à l'amélioration du produit, mais aussi au fait qu'à ma demande, des conventions ont été passées avec pratiquement tous les établissements bancaires pour que le produit soit diffusé et proposé aux guichets.

Les postes économiques ont été supprimés depuis de nombreuses années déjà. Aujourd'hui, les missions économiques sont en charge de l'activité régalienne : analyse des marchés, amélioration des normes, tarifs douaniers, participation au travail multilatéral, préparation des grands contrats, etc. L'assistance aux entreprises est confiée à Ubifrance-missions économiques, dont le travail a été jugé relativement efficace – mais il est vrai qu'il avait été préparé par un très bon rapport parlementaire…

Je suis toujours très intéressée par les retours que l'on peut me faire. De mon côté, pour être allée dans soixante pays l'année dernière, j'ai noté une évolution de notre diplomatie dans le sens d'une meilleure défense des intérêts économiques de nos entreprises.

Je me préoccupe tout particulièrement de la façon dont nos universités et nos écoles travaillent pour former les jeunes, et c'est tout le sens de mon action en faveur des VIE. A l'inverse, je suis consciente de l'importance de l'accueil des stagiaires, dans le cadre des accords bilatéraux signés par notre pays. Selon une idée reçue, on n'accueillerait pas suffisamment d'étudiants étrangers, ou moins qu'on ne le faisait auparavant. Or, avec 250 000 étudiants étrangers accueillis en 2007, la France est quatrième derrière les États-Unis, la Grande-Bretagne et l'Allemagne. Nous pouvons certes mieux faire, mais nous ne sommes pas les derniers de la classe ! Les étudiants étrangers représentent chez nous environ 11 % de l'ensemble des étudiants, soit à peu près la même proportion qu'en Allemagne, mais moins qu'au Royaume-Uni, qui a une tradition d'accueil remontant à la création du Commonwealth.

Cela dit, vous avez raison d'insister sur l'importance de ces échanges humains. Il faut d'ailleurs savoir que de plus en plus de négociations commerciales concernent les services, ce qui suppose d'accueillir, non plus seulement des étudiants ou des stagiaires, mais aussi des ingénieurs et d'autres personnes pour pouvoir développer dans les deux sens les activités.

Je me félicite que le ministre de l'éducation et la ministre de l'enseignement supérieur reprennent le dossier des langues, car il est important. C'est aussi un travail de longue haleine. A titre personnel, je déplore que trop de membres des délégations que j'emmène à l'étranger ne parlent pas anglais.

Comment articuler Copenhague et Doha ? Nous pourrions travailler avec les partis politiques et avec le Parlement européens. Par exemple, j'ai indiqué au président socialiste portugais de la commission INTA que notre priorité absolue était de lutter contre le dumping environnemental – qu'il appelle le dumping carbone. Le sujet est difficile, dans la mesure où assez peu de pays sont intéressés. Des négociations se nouent au plus haut niveau, comme celles qui ont déjà eu lieu entre Angela Merkel et le président Sarkozy. Mais il y a un travail politique à mener et l'on ne peut que s'encourager mutuellement à aller en ce sens, que ce soit au PSE ou au PPE.

À quel moment les Européens devront-ils s'engager à réduire leurs émissions de carbone, non plus seulement de 20 %, comme ils l'ont déjà fait, mais de 30 %, comme ils l'avaient envisagé ? Personnellement, je pense qu'il est urgent de ne pas se hâter. C'est un point de vue personnel et je reconnais que c'est au ministre d'État chargé de l'environnement et au Président de la République d'en décider. Mais il me semble qu'il faut veiller à ne pas aller plus vite que la musique en ces matières de compétitivité environnementale, si cela risque de nuire à la compétitivité « tout court ».

M. Trassy-Paillogues a souhaité des simulations relatives à la suppression de la taxe professionnelle. Christine Lagarde en a mis en ligne, s'agissant des collectivités locales. Elle envisage de faire de même pour les entreprises. Mais je vous livre une de ces simulations, qui m'a été fournie la semaine dernière, lorsque j'ai visité l'usine de chocolat Cémoi à Perpignan. L'année dernière, elle payait 475 000 euros de taxe professionnelle. Son président m'a spontanément précisé qu'il allait verser cette année 405 000 euros, ce qui, a-t-il ajouté, le placerait juste au niveau des Allemands qui sont ses principaux concurrents.

Vous avez parlé des pays émergents. La part de notre marché centrée sur l'Europe, qui était des deux tiers il y a quelques années, est maintenant plus proche de 60 %. Nous devons nous réorienter vers le Moyen Orient. L'Italie le fait très bien et nous devons faire attention qu'elle ne passe pas devant nous. Il nous faut aussi tirer profit de l'Union pour la Méditerranée pour continuer à commercer avec les pays du Maghreb, où nous détenons 20 % du marché.

Parmi les priorités d'Ubifrance, de la COFACE, de l'assurance-prospection, j'ai insisté l'année dernière sur le Brésil, cette année sur la Russie, la Chine et l'Inde. Dans quelques années, aurons-nous réussi, comme les Allemands et les Italiens, à accélérer notre mutation ? Cela demande plus d'efforts que de travailler en direction de l'Europe, surtout pour des PME.

Monsieur Paul, je ne dispose pas d'évaluation globale sur le crédit d'impôt recherche. Mais, parmi les entreprises que je rencontre dans les salons, il n'y en a pratiquement pas une qui n'ait utilisé le CIR pour augmenter ses ventes à l'international. OSEO a montré qu'une entreprise innovante a dix fois plus de chances d'exporter qu'une entreprise qui ne l'est pas. Toutes les entreprises innovantes ne font sans doute pas appel au CIR – encore que …–, mais ce crédit d'impôt constitue l'outil le plus puissant en faveur de la recherche qui existe dans tous les pays de l'OCDE, d'après celle-ci. Il contribue donc à l'attractivité de notre territoire : j'en veux pour preuve l'exemple de Solar, entreprise américaine spécialisée dans le photovoltaïque, qui vient de s'implanter à Bordeaux, sur le site d'où l'usine Ford avait dû malheureusement déménager. L'Agence pour les investissements internationaux, dans ses analyses et dans ses enquêtes d'opinion, constate elle aussi l'efficacité du dispositif.

Pour l'instant, monsieur Paul, on ne connaît pas l'impact des problèmes d'énergie ou des questions de traçabilité et de bilan carbone sur les flux internationaux. Il faut dire aussi que, même s'il a remonté un tout petit peu depuis septembre-octobre, le prix du fret maritime a énormément baissé avec la crise et qu'il ne représente plus rien du tout au regard du prix de la production, et surtout du prix de tout ce qui tourne autour de celle-ci : design, marketing, etc.

On verra l'année prochaine comment les consommateurs réagissent à l'étiquetage informatif sur le bilan carbone des produits. Que feront-ils lorsqu'ils auront à choisir entre un jean ordinaire et un jean étiqueté « vert » sur le fondement de son bilan carbone, de sa traçabilité, de ses facteurs de production, etc. ? Peut-être leur attitude évoluera-t-elle alors, mais, pour le moment, d'après les enquêtes dont on dispose, la nationalité et l'origine géographique d'un produit n'influent que très peu sur leurs motivations d'achat. Ces questions de bilan carbone sont d'ailleurs très compliquées. Comme l'explique l'OMC, le fait qu'un produit soit transporté sur une très longue distance ne signifie pas que ce bilan soit plus mauvais que celui d'un produit fabriqué sur place, compte tenu des moyens de production dont il faudrait se doter…

Cet impact n'est donc pas encore sensible, et ne le sera probablement pas de sitôt.

Monsieur Paul, la chute du commerce international mondial sera d'à peu près 12 ou 13 %, et l'évolution sera du même ordre pour notre pays. En valeur absolue, bon an mal an, nous exportions grosso modo pour 400 milliards. En 2009, nous pouvons tabler sur 350 à 360 milliards. Personnellement, je pense que nous allons mettre un peu plus de temps à récupérer que certains ne le pensent. Bien sûr, cela dépendra du rythme de la croissance, en particulier chez nos premiers partenaires que sont nos clients européens, mais c'est une raison de plus pour prendre position là où le commerce international est dynamique : dans les pays émergents ou sur des marchés sectoriels intéressants – par exemple tout ce qui est « vert ». En effet, les questions d'efficacité énergétique, d'énergies renouvelables, de gestion de l'eau, des déchets et des transports urbains occupent de plus en plus de place dans les préoccupations des milieux économiques et des opinions du monde entier – y compris en Chine.

Le commerce intra-groupes a joué un rôle considérable dans la mondialisation. C'est notamment grâce à lui que les chiffres du commerce mondial ont augmenté plus vite que la croissance mondiale. Aujourd'hui, on observe l'évolution inverse, à savoir que la dégradation du commerce international sera sans doute encore plus forte que celle du PIB.

Les groupes, notamment français, s'interrogent sur les meilleures stratégies à adopter, en matière de localisations, de coûts de production, de proximité des marchés, de plateformes industrielles, etc. Y aura-t-il des phénomènes de relocalisation ? On commence à en voir, mais de façon très limitée, dans des secteurs comme l'habillement ou la porcelaine. Cependant, comme les très grands marchés se trouvent hors d'Europe, la considération des facteurs de production comme le souci de s'installer près du client vont pousser dans ce sens. Ainsi, dans le secteur énergétique, Alstom, General Electric France et d'autres vont-ils s'installer en Chine, pour fournir ce pays ou même, à partir de là, l'ensemble de l'Asie du Sud-Est.

Le Gouvernement attend le rapport du Conseil d'analyse économique sur les investissements français à l'étranger, rapport dont j'ai suscité la commande l'an dernier. Nous sommes le deuxième investisseur mondial. Le chiffre d'affaires que réalisent nos entreprises hors de France était, avant la crise, en 2007-2008, le double du chiffre d'affaires « exporté ». Ce rapport devrait nous éclairer sur l'impact qu'ont ces stratégies sur nos territoires : retours financiers, retour d'expériences, amélioration de la productivité, etc.

Sur l'affaire des Émirats arabes unis, j'ai lu beaucoup de choses, mais j'ai trouvé dommage, madame Fioraso, que l'article du Nouvel Observateur que vous avez cité fasse d'un échec une généralité. Actuellement, s'agissant de l'EPR, les signatures de contrats et les commandes se succèdent : le Premier ministre était en Chine le 21 décembre ; le Président de la République se rendra dans les prochains mois en Inde, qui nous en a commandé deux, en attendant quatre autres probablement ; en Afrique du Sud, en Grande-Bretagne, en Italie, aux Etats-Unis, le nucléaire « repart » fortement…

Certes, si les Français étaient les meilleurs commerçants du monde, cela se saurait. Mais nous sommes tout de même le quatrième ou le cinquième exportateur mondial, selon que l'on parle des biens ou des services, et j'ai plutôt envie de rendre hommage à ces entreprises qui osent aller si loin.

Notre commerce extérieur souffre-t-il d'une mauvaise spécialisation géographique ou sectorielle ?

Sur le plan géographique, j'ai déjà souligné la nécessité de nous tourner vers les pays émergents. Par ailleurs, la spécificité française nous assure une présence dans l'Union pour la Méditerranée et, dans une certaine mesure, en Afrique.

On sait que les Allemands produisent beaucoup de machines-outils et que les pays qui sont en train de s'industrialiser en achètent. Mais les Italiens renforcent aussi leurs positions en ce domaine. De toute façon, même si l'Allemagne est plus compétitive sur les machines-outils tandis que la France l'emporte dans le domaine agroalimentaire et pour les produits de luxe, je ne suis pas sûre que l'approche sectorielle soit la meilleure. Cela étant, j'ai été très satisfaite que, dans les décisions qu'il a prises à propos du grand emprunt, sur la base du rapport Juppé-Rocard, le Président de la République ait insisté sur plusieurs secteurs, dont certains que vous avez cités les uns et les autres.

Je crois avoir parlé du solde du secteur automobile. Mais je remarquerai encore que, si la prime à la casse française a soutenu la construction de véhicules en France, par des entreprises françaises, mais aussi par des entreprises étrangères – Toyota dans le Nord, par exemple –, la prime à la casse allemande a soutenu fortement la fabrication de petits véhicules, lesquels sont très souvent français même si certains sont fabriqués dans d'autres pays de l'Union européenne, voire en dehors de celle-ci. Enfin, le solde des équipementiers automobiles va s'améliorer un peu, davantage que celui des constructeurs, ce qui constitue plutôt une bonne nouvelle.

Je vous remercie, mesdames et messieurs les députés, pour la pertinence de vos questions. Vous avez compris que nous sommes face à des questions de compétitivité générale – structurelle, comme l'a dit M. Gaubert. Dans bien des pays, ces questions commerciales sont suivies avec davantage d'attention que chez nous. Je vous remercie d'autant plus de l'intérêt que vous avez bien voulu manifester.

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