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Intervention de Didier Mathus

Réunion du 14 janvier 2010 à 9h35
Délimitation des circonscriptions des députés — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Mathus :

Malgré mon peu de goût pour les plaidoyers pro domo, je n'ai pas eu d'autre choix que de venir à cette tribune, monsieur le secrétaire d'État, puisque vous n'avez donné suite à aucune des demandes de rendez-vous que j'avais formulées lorsque vous nous expliquiez que le projet allait être largement débattu.

Je veux illustrer à l'échelle d'un département, la Saône-et-Loire, les incohérences, la mauvaise foi partisane, les tricheries et le maquignonnage qui ont présidé à l'opération de découpage que vous avez conduite. C'est une sorte d'échantillon de ce qu'a méthodiquement démontré Bruno Le Roux mardi soir pour l'ensemble du pays. Nous sommes face à une tentative très claire de gagner par le découpage, sur le tapis vert en quelque sorte, ce que le suffrage universel vous a fait perdre au fil des années.

Une nouvelle fois, je regrette, alors que la circonscription dont je suis l'élu est purement et simplement supprimée, de n'avoir été ni consulté, ni informé, ni même entretenu au téléphone par vous-même, monsieur le secrétaire d'État, ou par votre cabinet. N'y voyez pas là une question de préséance ou d'orgueil ; mais ayant été élu en 1988, et toujours réélu depuis, doyen en termes de mandat des députés du département, c'est une question de politesse républicaine et de respect du suffrage universel. Sans doute n'étiez-vous pas particulièrement fier du travail réalisé en Saône-et-Loire, ce qui explique que vous n'ayez pas souhaité m'en entretenir, non plus que les autres députés du département, sauf ceux de l'UMP bien sûr.

La Saône-et-Loire perd une circonscription. Nous ne contestons pas le principe, bien que la comparaison avec d'autres départements et les chiffres aujourd'hui connus montrent que cette décision n'avait rien d'automatique. Le quotient démographique des circonscriptions de Saône-et-Loire, même avec six circonscriptions, était largement supérieur à celui de nombreux autres départements. Mais, en passant de six à cinq circonscriptions, nous aurions pu espérer un recentrage de celles-ci autour des cinq grandes régions naturelles du département, ce qui aurait pu être un progrès en matière de cohérence territoriale. On pouvait imaginer des découpages différents. La Saône-et-Loire est un département assez peu homogène, avec des régions naturelles, et l'on aurait pu profiter de la diminution du nombre de circonscriptions pour renforcer la cohérence territoriale. Au lieu de cela, le projet que vous nous proposez est un cas d'école de démembrement des unités territoriales, de tricherie partisane et d'incohérence démographique. Tout commence par la circonscription découpée sur mesure pour l'un de nos collègues, Jean-Paul Anciaux, président local de l'UMP. Au vu de cette circonscription née de votre travail aux ciseaux, on doit comprendre que cet homme-là est très important et que la France ne pouvait prendre le risque qu'il ne soit pas réélu dans cette assemblée. Vous vous êtes livré en effet à un véritable travail d'artiste. Pour que nos collègues comprennent, cela mériterait une projection sur grand écran. Vous lui avez dessiné une sorte de ruban qui court tout au long des frontières du département. Cette circonscription est un vrai dépliant touristique à elle seule. Elle s'étend en effet de la vallée de la Loire aux confins du Jura en passant par le Morvan, le pôle industriel du Creusot, la zone viticole de la côte chalonnaise et la plaine de la Bresse... Le futur député verra du paysage, à défaut de pouvoir développer une action utile sur le terrain, tous ces territoires relevant bien sûr d'unités démographiques totalement étrangères les unes aux autres.

Mais c'est en démantelant la quatrième et la cinquième circonscription pour n'en faire plus qu'une que vous avez exercé votre vindicte avec un zèle particulier. La nouvelle cinquième circonscription est une sorte de papillon gracile, composé de deux entités prélevées l'une sur l'agglomération de Montceau, l'autre sur celle de Chalon, la continuité territoriale entre les deux n'étant assurée que par une seule et toute petite commune. Pour parvenir à vos fins, il vous a fallu triturer, charcuter les deux agglomérations, faire exploser les intercommunalités existantes créées au fil des décennies – rappelons que la communauté urbaine Le Creusot-Montceau est l'une des premières communautés urbaines de France, constituée volontairement dès 1970. Quels dégâts sur le paysage institutionnel et sur la capacité d'agir, dans des régions souvent durement éprouvées par les crises économiques et industrielles ! Quelle méconnaissance des réalités ! Comment à présent surmonter les obstacles que vous venez de poser et parvenir à mener des actions efficaces en matière de redéveloppement ?

Afin d'éclairer mes collègues sur les raisons de cette vindicte particulière, je précise que l'ancienne cinquième circonscription a été conquise sur la droite en 2007 par un député socialiste, notre collègue Christophe Sirugue, et que je suis député de la quatrième sans interruption depuis 1988. Ceci explique bien entendu cela.

Cette opération ne s'appuie en effet sur aucune justification d'intérêt général et ne relève que d'une grosse astuce du secrétaire national aux élections de l'UMP qui, avec une colossale finesse – il est sûrement content de lui – n'a rien trouvé de mieux que de mettre en concurrence deux députés socialistes sur le même territoire électoral. Quelle hauteur de vue ! Quelle ambition ! Bravo, monsieur le secrétaire d'État ! Où sont les impératifs précis d'intérêt général dûment justifiés – je cite le Conseil constitutionnel – en cas de manquement aux règles d'équité démographique ? En réalité, puisqu'il y a dégradation des cohérences territoriales, cette pitoyable tentative de tricherie ne peut s'expliquer que par votre intérêt partisan.

La délimitation que vous proposez pour la Saône-et-Loire est extrêmement contestable, y compris sur le plan démographique. Les écarts maximaux par rapport à la moyenne départementale sont considérables. L'écart est en effet de + 15 % dans la cinquième circonscription et de – 11 % dans la première.

De surcroît, l'écart entre la première circonscription – qui est la moins peuplée avec 98 600 habitants – et la cinquième circonscription – qui se trouve être la plus peuplée avec 126 362 habitants – est de 28 % !

Or, ces écarts considérables sont contraires aux principes dégagés par le Conseil constitutionnel puisqu'ils ne sont fondés sur aucun motif d'intérêt général.

Deux éléments au moins viennent le confirmer.

Tout d 'abord, la commission – indépendante bien sûr – présidée par l'ancien secrétaire général du RPR, M. Yves Guéna, a elle-même rejeté votre projet au profit d'un autre, considérant que le redécoupage que vous proposez n'avait pas de légitimité.

Par ailleurs, nous vous avions proposé, avec Arnaud Montebourg et Christophe Sirugue, une solution alternative qui présentait l'avantage d'instaurer un équilibre démographique à peu près optimal entre les circonscriptions, avec une moyenne départementale de 109 872 habitants et des écarts maximaux bien moins importants que ceux constatés dans la répartition issue de l'ordonnance. Ainsi, l'écart par rapport à la moyenne départementale n'était que de 2,7 % dans la quatrième circonscription et de 4,2 % dans la troisième.

Au moins deux projets de redécoupage des circonscriptions, plus conformes aux critères du Conseil constitutionnel, vous ont donc été présentés ; vous aviez tout loisir d'imaginer un redécoupage différent, plus équilibré démographiquement, plus cohérent au regard de l'action territoriale.

Dans un département qui a beaucoup souffert des crises économiques, crise industrielle et crise rurale, il était possible de délimiter des circonscriptions qui puissent correspondre au mieux aux bassins de vie, aux unités démographiques, aux territoires institutionnels de redéveloppement, tout en diminuant le nombre de circonscriptions. Vous avez fait le choix inverse. Vous partiez certes avec un handicap : secrétaire national aux élections de l'UMP, vous étiez sans doute plus habitué à la dague et au poison qu'aux sceaux de la République, mais nous aurions pu espérer que, justement, vous ayez à coeur d'être à la hauteur de l'intégrité et de l'exigence républicaines de votre mission. Ce ne fut malheureusement pas le cas : vous avez plutôt rejoint la vieille tradition RPR « des copains et des coquins ». (Applaudissements sur les bancs du groupe SRC.)

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