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Intervention de Sébastien Huyghe

Réunion du 22 décembre 2009 à 16h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSébastien Huyghe, rapporteur :

Lorsque la mission d'information sur les nouvelles régulations de l'économie m'a confié ce rapport d'information sur les défaillances de la régulation bancaire et financière, je dois avouer que je ne m'attendais pas à découvrir un sujet aussi vaste, mais combien passionnant. Face à l'ampleur d'une telle problématique, mon ambition, tout au long de cette mission, a été de répondre à trois questions simples : comment en sommes-nous arrivés là ? Quelles ont été l'efficacité et la pertinence des plans de soutien massifs au secteur bancaire mis en oeuvre par les autorités publiques au plus fort de la crise ? Quelles réformes de la supervision bancaire et financière devons-nous mettre en oeuvre afin de prévenir toute nouvelle crise d'une ampleur comparable ?

S'agissant de la première question, je suis parvenu à la conclusion que la crise actuelle s'expliquait par de multiples causes qui, en conjuguant leurs effets, ont précipité l'économie mondiale dans la plus grave récession jamais enregistrée depuis 1929. Si le secteur bancaire et le monde de la finance sont en partie à l'origine de ce « séisme » économique et financier sans précédent, ils ne peuvent être tenus pour seuls responsables.

Alors que l'innovation financière et la libéralisation des mouvements internationaux de capitaux ont profondément transformé la manière dont les risques circulent dans l'économie, les régulateurs, nationaux comme internationaux, public comme privés, n'ont pas su répondre efficacement à ces nouveaux enjeux.

Ainsi, trois grands facteurs peuvent être clairement identifiés afin d'expliquer l'enchaînement qui a conduit à une crise sans précédent de la finance internationale.

En premier lieu, la politique monétaire d'« argent facile » de la Réserve fédérale américaine est venue alimenter une bulle immobilière aux États-Unis, cette bulle se nourrissant, d'une part, de l'endettement des ménages américains les moins solvables grâce aux prêts hypothécaires « subprime » et, d'autre part, de l'innovation financière – comme la titrisation ou les produits structurés – promesse de rendements démesurés.

En deuxième lieu, en recourant intensivement à la titrisation ou aux dérivés de crédit, les banques ont transféré à d'autres les risques qu'elles prenaient et ont fini par oublier leur coeur de métier : prêter de l'argent sur la base d'une évaluation précise des risques encourus.

En troisième et dernier lieu, c'est une réelle faillite de la régulation qui est pour partie à l'origine de la crise actuelle : alors que les régulateurs publics n'ont pas su contrôler l'innovation financière en encadrant les activités des banques d'investissement, les régulateurs privés ont été gravement défaillants, à l'instar des agences de notation, qui, face à la complexité des produits financiers à noter, se sont contentées d'appliquer des règles standards sous-estimant ainsi gravement les risques.

En définitive, alors que nous nous pensions être définitivement à l'abri de toutes vicissitudes, dans un contexte d'épargne et de liquidité abondantes, d'innovations financières sources de rendements élevés, de progrès techniques constants et de croissance économique mondiale soutenue, nous avons perdu de vue que les cycles économiques étaient consubstantiels au capitalisme. À partir de l'été 2007, la propagation de l'« onde de choc » de la crise bancaire à l'ensemble de la sphère financière, puis à l'économie réelle est venue nous le rappeler avec une force et une brutalité sans précédent.

S'agissant de la deuxième question qui a été au centre des travaux de la mission, force est de constater que les États ont su apporter un soutien massif et rapide au système bancaire international.

Si les modalités ont pu différer d'un pays à l'autre, allant du rachat d'actifs toxiques à la recapitalisation des banques, en passant par la garantie des émissions de dettes, le plan d'action concertée des pays de la zone euro du 12 octobre 2008, adopté à l'initiative de la France et sous l'impulsion décisive du Président de la République, a constitué un véritable tournant dans le soutien apporté par les États au secteur bancaire, puisqu'il a marqué le choix de la convergence et de la coordination.

Déclinant au niveau national les grands principes définis au niveau communautaire, le plan français de financement de l'économie, adopté dans des délais record – ce qui montre d'ailleurs bien la capacité de réaction du Parlement quand les circonstances l'exigent –, a montré toute son efficacité à l'épreuve de la crise. Permettant de desserrer la contrainte de liquidité qui pesait sur les banques et d'améliorer leur solvabilité, le plan français n'aura au final qu'un impact très modéré sur les finances publiques. Le plan de financement de l'économie est donc bien un indéniable succès.

S'agissant de la troisième et dernière question qui a structuré ma réflexion tout au long des travaux de la mission, je suis parvenu à la conclusion qu'à l'aune des conséquences désastreuses de la crise (explosion du chômage, chute du PIB et de l'investissement, dégradation des comptes publics…), nous mesurons désormais tous à quel point le maintien du statu quo en matière de régulation bancaire et financière est aujourd'hui impossible. En effet, par son ampleur inédite, la crise a ravivé les discussions sur les fondements et l'architecture de la supervision bancaire et financière. Sous l'impulsion décisive du Président de la République, les Européens plaident désormais pour la fondation d'un nouveau « Bretton Woods », c'est-à-dire d'un nouvel ordre financier international que le G20, regroupant les grands pays industrialisés et les grands pays émergents, a repris à son compte lors des sommets de Londres et de Pittsburgh.

Il apparaît donc plus que jamais nécessaire de repenser les fondements de la réglementation bancaire et financière tant la crainte est aujourd'hui grande que, si la reprise se confirme, nous n'assistions à un retour de la spéculation sur les marchés, alors même que nous ne disposons pas encore de tous les outils de régulation nécessaires. Une meilleure régulation apparaît dès lors nécessaire dans plusieurs domaines, qui vont des normes prudentielles et comptables à la gestion des risques et aux agences de notation, en passant par l'organisation des marchés ou encore la question des rémunérations des traders.

Si les sommets du G20, qui se sont tenus à Londres et à Pittsburgh en avril et en septembre derniers, comportent des avancées majeures en la matière, les efforts entrepris doivent être poursuivis et amplifiés afin de poser les jalons d'une finance internationale régulée et maîtrisée au service de l'économie et des citoyens.

Aussi, afin de tirer toutes les conséquences de la crise bancaire et financière en matière de régulation, sans pour autant enserrer la finance dans un « étau » qui compromettrait durablement le bon fonctionnement de l'économie, je considère que cinq orientations décisives doivent être poursuivies avec conviction et détermination.

En premier lieu, il convient de réguler le contournement des règles prudentielles et la transmission des risques au niveau européen, en exigeant des banques qu'elles conservent dans leurs bilans, non plus seulement 5 %, mais 10 % des crédits qu'elles titrisent.

En deuxième lieu, il est impératif d'atténuer la procyclicité des normes, prudentielles et comptables, et de mieux prévenir le risque systémique. Pour ce faire, les établissements bancaires et financiers d'importance systémique, qui, en cas de faillite, bénéficient de la garantie implicite de l'État, devraient être soumis au paiement d'une prime d'assurance systémique, qui viendrait abonder un fonds de garantie des faillites bancaires aux niveaux national et européen.

En outre, si les exigences de fonds propres doivent être renforcées afin d'améliorer la résistance aux chocs et de réduire les incitations des banques à prendre des risques excessifs, je souhaite attirer votre attention sur la nécessité de préserver, dans ce vaste mouvement de régulation, la spécificité de nos banques coopératives et mutualistes. En effet, les projets de renforcement des exigences de fonds propres, tels qu'ils sont actuellement menés par le Comité de Bâle, pourraient menacer l'activité bancaire sous forme coopérative, dans la mesure où les parts sociales et les certificats coopératifs seraient, à l'avenir, exclus des fonds propres de base. Au final, l'économie française pourrait être privée, en cette période de reprise économique, de près 20 milliards de fonds propres, soit 250 milliards d'euros de crédits. Il est donc impératif que la France maintienne une pression politique forte sur le Comité de Bâle pour que la spécificité des banques coopératives soit pleinement reconnue. Il en va de la pérennité du financement de notre économie.

En troisième lieu, une finance mise au service de l'économie nécessite de rééquilibrer les incitations individuelles aux profits de long terme et de responsabiliser les opérateurs de marché. Pour ce faire, tenant à saluer le travail réalisé par notre collègue, Philippe Houillon, en juillet dernier sur la rémunération des dirigeants mandataires sociaux et des opérateurs de marché, je propose de franchir une nouvelle étape et de convaincre dès aujourd'hui l'ensemble de nos partenaires européens, et notamment l'Allemagne, d'adopter la mesure franco-britannique consistant à taxer fortement les bonus versés en 2010 au titre de l'année 2009. Parce que la France, depuis le début de la crise, a été une force de propositions en la matière, elle doit le rester et impulser, pour ce faire, une dynamique nouvelle sur cette question en Europe.

En quatrième lieu, la finance ne saurait être mise au service de la croissance et de l'emploi si nous ne mettons pas tout en oeuvre pour améliorer la transparence des marchés et de l'information financière. Sur ce point, une attention toute particulière doit être portée à l'encadrement et à la régulation des agences de notation. Parce qu'elles remplissent une mission de service public – assurer la transparence de l'information financière –, les agences de notation doivent utiliser une échelle de notation différente selon qu'il s'agit de produits structurés complexes ou de produits simples et classiques. En outre, afin de mieux prévenir les éventuels conflits d'intérêts, les recettes des agences ne doivent plus, à l'avenir, être liées au montant des émissions notées. C'est pourquoi, je propose que les émetteurs les rémunèrent sur la base d'un forfait annuel, indépendamment des volumes qu'ils émettent.

En cinquième et dernier lieu, seule une redéfinition de l'architecture de la supervision financière tant en France qu'en Europe permettra, dans les années à venir, de mieux encadrer l'innovation financière et les prises de risques excessifs qu'elle tend à encourager. Dans cette perspective, je souhaite que la réforme des autorités de contrôle entreprise en France consacre l'Autorité des marchés financiers comme pôle déontologique chargé de contrôler les pratiques commerciales et de marché de l'ensemble du secteur financier.

Pour conclure, je voudrais rappeler avec force et conviction que, loin d'être seule responsable de la crise actuelle, la finance est indispensable au bon fonctionnement de l'économie. Aussi l'entreprise de moralisation et de refondation du capitalisme en cours devra-t-elle, dans les prochains mois, s'efforcer de mettre la finance au service de l'économie et non l'inverse.

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