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Intervention de Jérôme Cahuzac

Réunion du 18 mai 2009 à 21h30
Organe central des caisses d'épargne et des banques populaires — Exception d'irrecevabilité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Cahuzac :

Nous devrions donc être un peu plus vigilants en la matière car, pour légitime qu'il soit aujourd'hui, l'élection qui l'a porté à l'Élysée n'étant évidemment pas contestable, chacun sait que, lorsqu'il était simplement député de Neuilly, notre ancien collègue n'a de fait jamais siégé à la commission des finances, dont il était pourtant membre, et pas davantage dans cet hémicycle, où ses apparitions étaient aussi rares qu'en général fortement médiatisées.

Cette désinvolture à l'égard de la représentation peut s'expliquer par l'ignorance, encore que ce soit rarement une excuse durable, mais elle s'explique aussi par le mépris dont la représentation nationale est l'objet. Je comprends que certains d'entre vous protestent, par solidarité à l'égard du Président. Reste qu'il n'est pas de bonne méthode de décréter l'urgence sur la quasi-totalité des textes. Cela revient, que cela vous plaise ou non, à déposséder la représentation nationale de ce qui est son rôle, qui est d'abord d'avoir le dernier mot.

Cette désinvolture s'explique d'autant moins en l'espèce que rien ne justifie l'urgence pour la création du nouvel organe central alors qu'il en irait tout autrement s'il s'était agi de l'essentiel, c'est-à-dire de Natixis, car la vraie question, qui ne cessera d'être posée à l'occasion de ce débat, c'est naturellement la gouvernance de cette filiale.

Personne aujourd'hui ne sait à quel point Natixis est de fait contaminée par une série d'actifs douteux, et les avoir cantonnés dans une seule ligne, pour la gestion autonome de ces portefeuilles, n'emporte évidemment pas conviction quant à la mesure du risque qui aurait pu être pris en la matière. Rien ne nous indique aujourd'hui jusqu'à quelles extrémités les uns et les autres – et d'abord l'État, c'est-à-dire le contribuable – devront consentir à aller pour purger ce risque.

Vous avez fait le choix, certes, de cantonner Natixis au sein du futur groupe, mais pas celui de garantir les risques que comportent les actifs douteux de la gestion autonome des portefeuilles cantonnés. C'est donc l'ensemble du groupe près d'être constitué qui se trouve suspect, ayant en son sein une ligne dont on ne sait si elle occasionnera une perte de 5, 10, 25, 30 ou 35 milliards d'euros – certains pensent en effet, y compris dans l'appareil d'État, que le risque peut aller jusqu'à 30 ou 35 milliards d'euros ! Personne, naturellement, ne le souhaite, mais, avec un tel chiffre, il aurait fallu la garantie de l'État pour donner toute sa chance au nouveau groupe dont, unanimement, nous souhaitons la constitution.

Pourquoi ne pas avoir garanti ces actifs douteux pour une banque franco-française qui représente 35 millions de clients, 30 000 salariés, qui sera le deuxième groupe français et dont on sait l'importance, via les caisses d'épargne, pour l'épargne salariale ou pour le logement social et, via les banques populaires, pour le financement de l'économie locale, alors que vous l'avez fait pour une banque franco-belge qui s'appelle Dexia ?

Au nom de quoi garantissons-nous les actifs douteux d'une banque franco-belge et refusons-nous de garantir ceux d'une banque franco-française dont l'importance est encore plus considérable et incontestable ?

À la demande du Gouvernement, le Parlement a accepté une garantie de passif de 7 milliards d'euros pour la filiale américaine de Dexia. Les nouveaux dirigeants avaient en effet décidé, avec raison, de s'en séparer, mais ils n'ont pu le faire qu'à la condition que la France – c'est-à-dire, encore une fois, les contribuables – accepte le cas échéant de payer jusqu'à 7 milliards d'euros au nouvel acquéreur. Cela s'appelle la garantie de l'État.

Probablement fallait-il le faire et, lorsque ce fut examiné dans cet hémicycle, l'opposition a, je crois, fait preuve de responsabilité, mais pourquoi garantir ces actifs-là et pas ceux de Natixis, ce qui revient de facto à entacher la confiance pourtant nécessaire envers ce nouveau groupe – à moins, madame la ministre, que vous ne vous engagiez à ce que l'État recapitalise celui-ci au fur et à mesure que les pertes de Natixis se révèleraient être ce que beaucoup craignent ?

Si un tel engagement n'est pas pris solennellement par les représentants du Gouvernement dans cette enceinte, cela veut donc dire que, si le total des pertes était supérieur à un montant d'ores et déjà déterminé dans le secret des cabinets, d'autres devraient se substituer à l'État. Qui alors, selon vous, devrait assumer ces pertes ? C'est une question importante, et vous devez apporter une réponse à la représentation nationale.

Le constat est donc clair, c'est Natixis qui est l'urgence. L'inquiétude est évidemment partagée : il est question de plusieurs milliards, voire de plusieurs dizaines milliards d'euros. La recapitalisation sur fonds publics, c'est-à-dire par l'État, a déjà commencé, il est fort probable qu'elle devra continuer. Nul ne peut savoir jusqu'à quel point elle devra se poursuivre. Signez-vous ou non un chèque en blanc pour recapitaliser le nouveau groupe ? À défaut, qui se substituerait à l'État, d'autant que, vous entendant tout à l'heure présenter le projet de loi, nous avons bien compris que la recapitalisation avait lieu au mieux des intérêts de l'État, c'est-à-dire dans des conditions très onéreuses pour le groupe ?

Ce dernier sera donc pris dans une contradiction terrible, obligé de demander à l'État de recapitaliser ce que Natixis lui aura fait perdre, mais en sachant que cela lui coûtera très cher. C'est une sorte de cercle vicieux : le choix stratégique qui a été fait de ne pas garantir les actifs toxiques de la ligne concernant le portefeuille d'actifs cantonnés a pour conséquence de placer le nouveau groupe devant un dilemme dont il ne peut sortir sans dommage, sinon sur le plan financier, en tout cas pour la confiance qu'il devra inspirer aux acteurs de la place économique et financière, qu'il s'agisse de la France, de l'Europe ou des pays avec lesquels il pourrait traiter.

Le constat est clair, le choix stratégique que vous avez fait ne l'est pas moins. Nous le contestons clairement, persuadés que nous sommes qu'il fallait en réalité garantir, ce que vous n'avez pas voulu faire. La conséquence est claire également. Vous devez nous dire quelle sera l'attitude de l'État en cas de besoin supplémentaire de recapitalisation de cette banque, car les plus grandes inquiétudes peuvent être nourries quant à l'avenir du groupe dès lors que l'on essaie de comprendre pourquoi une gouvernance est instaurée dans les conditions que l'on constate.

Le directoire est composé notamment de M. Pérol, des deux personnalités désignées par l'État et de deux personnalités qualifiées, que vous définissez cependant, dans une formule que le compte rendu, j'espère, aidera à préciser, comme représentants de l'État. Si elles sont indépendantes, elles le sont de tout et de tous et notamment de l'État et, comme l'a souligné le président de la commission des finances, rien ne vous autorise à penser qu'elles se conformeront aux instructions que vous pourriez leur donner. Si, en revanche, elles sont désignées de fait par M. Pérol, elles pourraient voter comme il le souhaite.

Quant au conseil de surveillance, la chose est peut-être encore plus caricaturale car, si le texte gouvernemental est adopté tel quel, nous aurons un groupe d'une originalité sans pareille puisque ceux qui représentent 70 % du capital, non pas diffus mais concentré, seront de fait minoritaires. Existe-t-il beaucoup d'institutions bancaires et financières où il en est ainsi ? C'est totalement unique et ce choix curieux, vous devez nous en expliquer la raison, madame la ministre. Nous sommes curieux de la connaître.

Vous avez rappelé, et M. le rapporteur également, que, pour un certain nombre de décisions, une majorité qualifiée était nécessaire. Vous avez fort opportunément oublié de préciser que tel était cas de la démission de M. Pérol, pour laquelle il faudrait l'opposition de quinze des membres du conseil de surveillance, c'est-à-dire d'au moins une des personnes désignées soit par l'État soit par M. Pérol au titre des personnalités qualifiées. La conclusion est assez simple. La seule possibilité que M. Pérol soit démis, c'est qu'il veuille être démis.

Je ne suis pas sûr qu'au regard de ce que nous avons pu observer aux États-Unis comme en France, en Allemagne ou en Grande-Bretagne, avec en particulier la Royal Bank of Scotland, le fait que celui qui a en réalité tous les pouvoirs ne puisse être démis qu'à condition qu'il l'accepte soit l'une des meilleures leçons que l'on pouvait tirer de la crise d'abord financière et maintenant économique que nous connaissons.

Il me semble que des phrases assez fortes avaient été prononcées par les plus hautes autorités de l'État pour expliquer que ce à quoi l'on avait assisté ne se reproduirait plus. Or cela n'était-il pas dû en grande partie au fait que ceux qui dirigeaient ces institutions financières avaient en réalité les pleins pouvoirs au sein des organes de direction, nul ne pouvant de facto s'opposer à eux ?

Si le texte était adopté tel quel, c'est exactement ce que le Parlement déciderait de reconstituer au service de ce qui sera la deuxième banque française, au service d'un groupe de 35 millions de clients et 30 000 salariés, avec des fonds propres tier one d'un peu moins de 40 milliards d'euros. Bref, ce sera une institution qui pèsera dans la vie économique et financière du pays à un point tel qu'il ne serait pas raisonnable, vu ce à quoi nous avons assisté depuis un an et demi, que son dirigeant ne puisse être démis que s'il accepte de l'être.

Des amendements concernant ce conseil de surveillance viendront en discussion, et cet argument devra donc être repris.

S'il ne l'était pas, on comprendrait mieux le silence, jusqu'à ce jour, des représentants de l'État quant à la recapitalisation, ainsi d'ailleurs que le flou artistique qui règne sur la qualité de cette ligne de gestion des portefeuilles cantonnés au sein de Natixis pour essayer de dresser un cordon sanitaire autour des actifs toxiques, CDS et autres RMBS, dont cette ligne est truffée.

L'audition récente de M. Noyer nous a démontré que les autorités les plus compétentes de l'État savent quel risque mortel ces actifs douteux font courir à ces institutions et donc à notre économie. Tout le monde se rend compte que la situation n'est absolument pas saine, et que maintenir ces actifs toxiques au sein d'un groupe aussi important, sans apporter la garantie de l'État et sans donner aucune certitude quant à une recapitalisation, pourrait conduire à ce que des décisions difficiles soient prises, et ce par un seul homme, ne pouvant de surcroît être contesté : M. Pérol. Êtes-vous vraiment sûrs, mes chers collègues, que cela soit bien raisonnable ?

Pour notre part, nous ne le pensons pas car, outre la majorité qualifiée, de quinze voix, nécessaire pour démettre M. Pérol, c'est-à-dire, nécessairement, les voix de celles et ceux qu'il aura lui-même choisis, force est de constater que les sociétaires sont minoritaires au sein de ce conseil de surveillance alors qu'ils représentent 70 % du capital. Il est absurde qu'un conseil de surveillance puisse être composé de telle sorte que l'écrasante majorité du capital soit de fait minoritaire.

Cela se comprend, toutefois, si l'État a d'ores et déjà décidé que les efforts qu'il a consentis pour ce groupe étaient désormais parvenus à leur terme, qu'une limite avait été atteinte et que les pertes éventuelles devaient être compensées par d'autres voies – or celles-ci ne sont que deux. Premièrement, les sociétaires pourraient être appelés à éponger les pertes. On comprendrait ainsi qu'ils soient minoritaires ; il est en effet douteux que, s'il en était autrement, le conseil de surveillance accepte de voter une telle décision.

La minorité des sociétaires, qui représentent pourtant 70 % du capital, n'a qu'une explication logique : c'est, qu'ayant refusé par avance de recapitaliser au-delà d'un certain niveau et sachant que les pertes de Natixis, ou plutôt de sa ligne d'actifs douteux, iront au-delà, les sociétaires doivent être minoritaires pour supporter ces pertes. Minoritaires aujourd'hui au sein du conseil de surveillance, minoritaires demain si le texte du Gouvernement est adopté, ils ne pourront pas s'opposer à un vote en ce sens.

Deuxième voie : si on ne demande pas aux sociétaires d'éponger ces pertes, il faudra que d'autres le fassent, et c'est alors la question de la vente qui se pose.

En l'absence de réponse précise sur l'engagement de l'État quant à la recapitalisation d'un groupe qui en aura besoin, on ne peut manquer de se poser la question du choix qui sera fait : la sollicitation des sociétaires ou bien la vente, à moins que ce ne soit la vente après que les sociétaires auront épongé les pertes !

À voir la constitution des équipes dirigeantes au sein du nouveau groupe, à voir les personnes, de très grande qualité, dont s'entoure M. Pérol, on ne peut qu'être frappé de l'extraordinaire proximité entre elles et ceux que d'autres nomment, au sein des institutions financières et bancaires, les amis du pouvoir et qui, pour beaucoup, sont passés par la BNP, ou y ont été formés, ou y exercent encore des responsabilités.

Nous prenons donc date pour ce qui est de la recapitalisation, des éventuelles demandes adressées aux sociétaires, des éventuelles ventes par appartements d'un groupe qui réunit aujourd'hui caisses d'épargne et banques populaires, c'est-à-dire, je le répète, en ce qui concerne les caisses d'épargne, certes beaucoup d'activités et d'actifs, mais surtout l'épargne salariale et le logement social, et, en ce qui concerne les banques populaires, le financement des entreprises locales par la collecte locale de fonds servant au développement local. Il est d'ailleurs permis de penser que, si ce modèle original avait été généralisé, la crise que nous connaissons eût été d'une ampleur beaucoup moins grande.

Connaissons-nous de meilleur modèle que ces levées de fonds locales servant à financer l'économie locale au profit du développement des territoires ?

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