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Intervention de Jean-Pierre Rejeté

Réunion du 2 décembre 2009 à 16h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Jean-Pierre Rejeté, FO :

J'aimerais faire un bref rappel historique : à la fin de la seconde guerre mondiale, l'Agence, alors agence Havas, est mise sous tutelle de l'État. Après les déboires de l'occupation allemande, une longue réflexion est alors entamée. Le processus, auquel participeront le Parlement, la société civile et le personnel, durera douze ans. Douze longues années au cours desquelles tous les scenarii sont envisagés pour garantir à la fois le financement de l'AFP et son indépendance.

Ce processus aboutit finalement au statut de 1957 qui fait de l'Agence France-Presse « un organisme autonome doté de la personnalité civile, fonctionnant selon les règles commerciales » – c'est-à-dire ni un organisme public, ni une société privée. Le personnel de l'Agence, consulté, approuvera le nouveau statut à une écrasante majorité de 82 %.

En 1960, Jean Marin, un des fondateurs de l'Agence, justifiait ainsi le choix alors effectué : « Aucune agence au monde libre ne garantit à ce point à ses usagers l'exactitude et l'objectivité de ses informations en même temps que la constante indépendance de sa démarche ». Et vous verrez que ses mots étaient soigneusement pesés !

Voilà pour l'histoire.

Certes, ce statut peut paraître aujourd'hui un peu « bizarroïde » – un « ornithorynque juridique », comme se plaît à le qualifier notre PDG actuel –, mais il n'a pas empêché l'Agence de se développer, tant et si bien que l'AFP fait aujourd'hui partie des trois grandes agences mondiales, la seule non anglophone – détail qui, vous en conviendrez, a son importance. Actuellement, elle vend ses services en six langues à des clients répartis dans le monde entier. Elle a développé des services infographie, photo, vidéo et internet. Contrairement à ce que certains tentent de faire croire, nous ne produisons donc pas seulement du texte. Par ailleurs, l'Agence regroupe 2 000 collaborateurs de 81 nationalités, présents dans 165 pays – tout cela en dépit d'un statut que ses détracteurs jugent « obsolète » !

Alors quel est le problème ?

Notre PDG, M. Pierre Louette affirme que le statut de 1957 « nous protège, mais qu'il ne permet pas grand-chose ». Vu le bref aperçu que je viens de tracer, vous comprendrez que nous ne partagions pas son point de vue !

Il nous dit que l'AFP ne « possède pas de capital, ce qui empêche son développement ». Sur le premier point, nous sommes d'accord : l'AFP n'a pas de capital. Sauf bien sûr celui de son personnel qui a construit l'Agence et fait sa grandeur, parfois même au péril de sa vie. Quant à l'impossibilité de la développer, il est à tout le moins permis de s'interroger.

M. Louette nous dit encore : « L'État est impécunieux et il ne veut plus mettre la main à la poche ». Rappelons quand même que la contribution de l'État au chiffre d'affaires de l'Agence a été ramenée de 60 à 40 % au cours des dernières années. Et il ne s'agit pas de financement à perte, mais bien d'une rémunération en contrepartie de services que sont les abonnements de l'État à l'AFP.

Pour résumer, notre PDG nous dit : « Il faut modifier le statut de l'Agence sous peine de la voir disparaître ». Mais attention ! Malgré les apparences, et en dépit de ses propos rassurants, il ne nous propose pas un simple toilettage du statut, mais un véritable changement en profondeur du modèle économique de l'AFP. Car il s'agit bien d'une transformation radicale de l'Agence, en « société nationale à capitaux publics » : en clair, en une société par actions, dans laquelle l'État, seul actionnaire, disposerait forcément de pouvoirs renforcés. En outre, le spectre d'une privatisation se profile derrière cette transformation, malgré les verrous législatifs que M. Louette entend proposer. En effet, comme l'a récemment expliqué l'ancien PDG Claude Moisy dans le journal Le Monde : « Il est impensable qu'aucun homme d'affaires, aucune société, aucune autre institution que l'État lui-même mette longtemps de l'argent dans une entreprise structurellement déficitaire sans attendre finalement un retour sur investissement ».

Mais sans même parler de privatisation, quel modèle nous propose la direction de l'Agence ? Celui d'une société dont l'État serait l'actionnaire unique, disposant d'une mainmise quasi-totale sur le conseil d'administration. En effet, selon le projet proposé, sept membres sur les neuf que compterait le conseil seraient nommés directement ou indirectement par l'actionnaire majoritaire, c'est-à-dire l'État. Celui-ci deviendrait donc le seul juge de ce qui est bon ou mauvais pour l'Agence. Quel retour en arrière ! Et surtout quelle image donnée à nos clients, tant français qu'étrangers !

J'ai entendu un jour un de vos collègues députés comparer – sans doute dans un mouvement d'énervement – l'AFP à l'agence Tass. Qui pourrait encore lui donner tort si ce nouveau statut voyait le jour ?

Tout cela en échange de quoi ? D'un apport de capital de seulement 45 millions d'euros, probablement sous la forme d'une participation de la Caisse des dépôts – bien que les choses demeurent assez floues en ce domaine. Cette somme, nous dit-on, permettrait d'acheter des sociétés à fort potentiel de croissance, même sans lien direct avec notre métier de base, la collecte de l'information.

Même sous l'empire du statut actuel, de telles opérations ont déjà été effectuées, avec plus ou moins de bonheur d'ailleurs car certaines ont contribué à plomber durablement la trésorerie de l'Agence – je pense notamment à notre filiale d'informations financière AFX qui, après des années de pertes, a finalement été bradée. Un tel échec était-il dû au statut ou à la mauvaise gouvernance de l'AFP ? On peut se poser la question.

Ce qui manque à l'AFP, ce n'est pas un nouveau statut, mais une véritable stratégie d'entreprise qui lui permettrait de se développer encore plus. Son activité est loin d'être déficitaire, comme on voudrait nous le faire croire. Elle est même structurellement bénéficiaire depuis plusieurs années.

Alors je le dis clairement : nous ne voulons pas d'un nouveau statut qui contreviendrait forcément à l'article 2 de celui de 1957 : « l'Agence France-Presse ne doit, en aucune circonstance, passer sous le contrôle de droit ou de fait d'un groupement idéologique, politique ou économique ».

Nous souhaitons avant tout que l'État continue à permettre à l'AFP d'assurer ses missions d'information et d'intérêt général, et ce, sans une renationalisation de l'Agence, car ce serait signer son arrêt de mort à plus ou moins long terme. Il en va de la pluralité de l'information et, plus généralement, de la défense de la démocratie.

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