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Intervention de Yves-Claude Llorca

Réunion du 2 décembre 2009 à 16h15
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Yves-Claude Llorca, SNJ :

Comme représentant de l'Agence, j'ai occupé de nombreux postes à l'étranger, notamment en Amérique latine – Pérou, Bolivie –, à Barcelone et, pendant cinq ans, en Roumanie. Je connais donc le rôle joué par l'AFP dans le monde. C'est l'une des trois principales agences mondiales, que l'on appelle généralistes. Reuters s'est plutôt spécialisée dans la finance et l'économie, puisque 5 % seulement de son chiffre d'affaires vient des médias. Quant à Associated Press, la grande agence américaine, elle est une coopérative qui, malgré ses difficultés, peut s'appuyer sur un marché intérieur comprenant 7 000 médias – journaux, radios, télévisions. C'est énorme, surtout en comparaison de ce que représente pour nous le marché français, qui procure désormais – je parle sous le contrôle de mes collègues de l'intersyndicale – moins de 15 % de notre chiffre d'affaires. En effet, alors que les représentants de la presse française sont majoritaires au conseil d'administration, nous avons souffert de nombreux désabonnements dans ce secteur.

Pour compléter les propos de ma collègue, je rappelle qu'en 1957, on essayait encore, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, de préserver les médias français d'une influence étrangère, et notamment de prises de participations par des capitaux étrangers. L'AFP a eu la chance d'être dirigée à ses débuts par un véritable personnage historique : Jean Marin, résistant dès 1940, compagnon de la Libération, qui, dit-on, tutoyait de Gaulle. Il a été président de l'Agence de 1957 à 1975, c'est-à-dire pendant dix-huit ans, avec le souci de préserver l'indépendance de la rédaction. Ce souci nous reste chevillé au corps, à nous journalistes. Il est affirmé dans l'article 2 du statut de l'Agence, selon lequel l'AFP ne peut tomber sous la coupe d'un pouvoir politique ou économique, quel qu'il soit.

Ce qui fait l'union de l'intersyndicale, en dépit de nos différences, c'est notre refus qu'il puisse y avoir une OPA sur l'AFP, venant de quelque pouvoir que ce soit. Nous refusons la transformation de l'Agence en société anonyme, qu'elle soit « société nationale à capitaux publics », comme le prône actuellement le président Louette, ou société par actions. Qui nous dit, en effet, qu'une étatisation – c'est-à-dire la transformation de l'Agence en société nationale à capitaux 100 % publics – ne serait pas suivie, le lendemain ou quelques années plus tard, d'une privatisation ? C'est la raison pour laquelle tous les syndicats s'opposent à la transformation en société par actions.

L'essentiel, pour nous, n'est pas la constitution du capital, mais la préservation de l'indépendance, et donc de l'article 2 du statut, dont dépendent le savoir-faire de l'AFP et sa présence dans 165 pays. Nous avons en effet le réseau mondial le plus étendu par rapport à nos deux principaux concurrents, Associated Press et Reuters. Nous sommes même présents dans des pays où nous n'avons pas de clients, en Afrique ou en Amérique latine par exemple, si bien que, lorsque se produit un coup d'État, un événement important, un gros fait divers, nous bénéficions de la présence d'un correspondant. Le maintien de ce réseau, son entretien – qui, pour des raisons technologiques, coûte de plus en plus cher –, représentent un coût fixe. Mais c'est aussi une mission d'intérêt général, pour la France, pour l'Europe et pour le monde.

Lorsque j'étais en poste au bureau de Lima, les principaux clients, notamment le quotidien séculaire El Commercio, attendaient la version de l'AFP lorsque, parfois, AP annonçait quelque chose. Ils voulaient connaître la version « non yankee ». Cette crédibilité de l'AFP vient de son indépendance. De même, pendant l'intervention américaine en Irak, chaque dépêche de l'Agence était épluchée car on savait que sa position était totalement neutre et indépendante.

Cette présence internationale prouve que l'AFP n'est pas une « danseuse », d'autant que le financement et les abonnements correspondent à un véritable service rendu aux ministères, ambassades et consulats. Cette utilité repose sur l'image d'indépendance, de neutralité et de professionnalisme des journalistes de l'Agence. Comment peut-on quantifier la valeur représentée par la qualité professionnelle et l'expérience de 2 000 journalistes – dont plus de 800 ont le statut « siège » – répartis dans 165 pays ? Un tel capital est inestimable.

L'AFP n'est donc pas la danseuse de la République. Au contraire, elle est un joyau pour la France, pour l'Europe et pour le monde. Lui donner un statut de société nationale ou anonyme mettrait en danger son indépendance et sa crédibilité.

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