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Intervention de Pierre Gosnat

Réunion du 24 novembre 2009 à 21h30
Grand paris — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Gosnat :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, avant d'intervenir sur le fond du texte et sur la motion de renvoi en commission, permettez-moi de formuler une remarque quant à l'organisation de nos travaux. L'aménagement de la région Île-de-France est un sujet majeur qui laisse apparaître de véritables différences politiques. Le présent débat aurait dû permettre des échanges pluralistes et non se réduire à l'imposition autoritaire du projet gouvernemental.

Or le débat démocratique est rendu en partie impossible par l'utilisation abusive de l'article 40 de la Constitution, relatif à l'irrecevabilité financière des amendements d'origine parlementaire. Pour les seuls députés communistes et républicains, dix amendements ont ainsi été déclarés irrecevables, dix amendements qui concernaient le logement, le service public, le développement économique de la région, la place du STIF et du SDRIF.

Mais comment avancer nos propositions sur l'aménagement de la région Île-de-France sans engager des dépenses supplémentaires pour l'État ou les organismes publics ? Comment repenser la ville et l'agglomération sans proposer d'investir le moindre euro ?

Au-delà même de la question de l'article 40, c'est l'ensemble des conditions d'examen du texte que je dénonce. Nous avons appris hier soir que le Gouvernement avait décrété la procédure accélérée pour l'examen de ce projet. Pour quelles raisons alors que ce débat est annoncé depuis plus de deux ans ? En bref : trois jours de débats et fermez le ban ! Deux passages devant l'Assemblée n'auraient pourtant pas été superflus.

J'ajoute que le texte de la commission n'a été mis en ligne que le lundi 16 novembre à vingt et une heures. Comment travailler dans ces conditions alors que la date limite de dépôt des amendements était fixé à vendredi dix-sept heures ?

Ces remarques justifieraient à elles seules le renvoi de ce texte en commission. Mais j'en viens à son contenu.

Le 29 avril dernier, Nicolas Sarkozy revêtait le costume de grand architecte, de démiurge façonnant un grand projet, celui du Grand Paris. Le lyrisme était au rendez-vous, Jean-Pierre Brard l'a rappelé, mais j'ai moi aussi quelques citations.

Il s'agissait alors d'impulser ce que le Président appelait « le plus grand défi politique du xxie siècle ». Dans son élan, il ajoutait : « Le Grand Paris est l'occasion de remettre l'architecture au coeur de nos choix politiques. […] La ville est faite pour l'homme, et non l'homme pour la ville. […] Le Grand Paris, c'est un processus de transformation, l'exploitation de tous les possibles. » C'était très beau, et même un brin émouvant, au point que mon ami, l'architecte Roland Castro, s'est sans doute senti quelque peu dépassé par tant de lyrisme.

Le Président Pompidou avait eu, en son temps, le Centre Beaubourg, Mitterrand ses pyramides, Chirac son musée du quai Branly ; Nicolas Sarkozy, quant à lui, redessinerait la région capitale tout entière. Chapeau !

Au demeurant, je reconnais que la décision de confier à une dizaine d'architectes et à leurs équipes la responsabilité de se pencher au chevet de la région capitale afin d'explorer tous les possibles, voire les utopies, était inédite et politiquement intéressante. De fait, leurs propositions innovantes nous offrirent la vision d'un Paris du futur et d'une région Île-de-France métropole d'avant-garde. Leurs réflexions mettaient en évidence la nécessité d'articuler le développement et l'aménagement du territoire autour d'enjeux fondamentaux et diversifiés : le transport, certes, mais aussi le logement, l'environnement, l'architecture, le développement économique. Ils s'interrogeaient également sur des notions essentielles, telles que la densité urbaine ou le développement durable.

Au moment d'examiner la traduction politique et juridique de ces travaux, force est de constater que nous sommes bien loin du compte. Tous ces projets, toute la synergie créée autour de cette mission se trouvent abandonnés, trahis, en quelque sorte, par le texte qui nous est soumis. Au reste, vous savez, monsieur le secrétaire d'État, que l'ensemble de ces architectes ressentent, plus que du désarroi, de la colère. Car, en définitive, le projet du Grand Paris se résume à un texte de loi de vingt-neuf articles – j'ai d'ailleurs cru comprendre qu'il ne fallait plus parler de « Grand Paris » – et à la création d'un ÉPIC destiné à contourner les collectivités territoriales et à créer un réseau de transport privatisable à terme. En prélude à cette privatisation, un amendement a d'ailleurs été adopté à l'article 17, qui organise la scission de l'entreprise nationale RATP.

Que reste-t-il de la cité idéale de M. Sarkozy ? Rien. L'article 1er du projet de loi sonne le glas de toute ambition en la matière, en restreignant le Grand Paris à la « création d'un réseau de transport public de voyageurs unissant les grands territoires stratégiques de la région Île-de-France. » Quant aux autres territoires – non stratégiques, selon le Gouvernement –, ils sont condamnés à voir passer les trains et à attendre les éventuelles retombées des pôles d'excellence.

Fallait-il un projet de loi-cadre pour l'aménagement la région Île-de-France ? Certainement. Un projet de loi était-il nécessaire pour créer, dans cette région, un réseau de transport automatique et un ÉPIC local ? Certainement pas ! À ce propos, je vous renvoie, mes chers collègues, à l'article 34 de la Constitution, qui définit le domaine de la loi. Si celle-ci peut parfaitement fixer les règles concernant la création de catégories d'établissements publics, elle n'est nullement nécessaire pour créer spécifiquement l'un de ces établissements ; un décret suffit.

Cette motion de renvoi en commission est d'autant plus justifiée que l'ensemble des outils nécessaires à la création d'un réseau de transport de banlieue à banlieue, public et utile à tous les citoyens, existent déjà. Le Syndicat des transports d'Île-de-France a toutes les compétences requises pour cela : il assure la bonne coordination et la concertation entre les différents acteurs, nationaux, régionaux et départementaux ; il est en outre, depuis quelques années, présidé par un élu, le président du conseil régional, ce qui représente un progrès démocratique ; enfin, le STIF a démontré son efficacité depuis sa création.

Or, ce projet et la décision de transférer ses actifs à la RATP le menacent de mort. Que restera-t-il, en effet, des autres projets d'extension et de modernisation du réseau actuel, quand 35 milliards d'euros auront été injectés dans le « grand huit » ? Certes, M. Blanc et M. Bussereau nous assurent qu'ils n'en pâtiront pas. Mais comment les croire, quand le déficit public atteint des sommets et qu'un plan drastique de diminution des dépenses publiques d'ici à deux ans a d'ores et déjà été annoncé ? Qu'en sera-t-il des projets d'avenir, qui ne sont pas encore conceptualisés, mais qui seront indispensables à moyen terme ? Je pense notamment aux transports de banlieue à banlieue qui ne sont pas concernés par le « grand huit ».

Outre son coût exorbitant, monsieur le secrétaire d'État, votre projet est largement insuffisant. D'autres investissements massifs sont à prévoir pour mettre fin à l'asphyxie francilienne. À cet égard, les travaux menés par la commission Carrez, à laquelle j'ai participé, avaient ouvert des pistes et pris en compte un certain nombre de projets, qui ne figurent pas dans le texte qui nous est soumis. J'ajoute que l'on peut se demander quelle sera la contribution de l'État aux futurs CPER, étant donné qu'il a de plus en plus de difficultés à assumer ses propres engagements.

Ce projet de loi mérite d'autant plus d'être renvoyé en commission qu'il constitue un dispositif dérogatoire aux droits et procédures en vigueur. Vous allez vite, monsieur le secrétaire d'État. Ne vous ai-je pas entendu déclarer en commission que vous souhaitiez faire en trois ans ce que l'on fait normalement en sept ans ? Sans doute est-ce l'impatience de la jeunesse.

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