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Intervention de Jacques Repussard

Réunion du 17 novembre 2009 à 17h30
Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire

Jacques Repussard :

En ce qui concerne le problème de conception des boîtes à gants, l'avis de l'IRSN du 14 octobre conclut à la nécessité de tenir compte du retour d'expérience de cet incident. À l'avenir, il conviendra de s'assurer que des installations de ce genre seront intégralement nettoyables de l'extérieur avec les outils appropriés. Nous avons donc recommandé que l'Autorité de sûreté nucléaire diffuse l'information à l'ensemble des exploitants, en France comme à l'étranger. D'ailleurs, un homologue du ministère de l'énergie des États-Unis m'a appris qu'ils avaient connu des problèmes du même genre dans des installations militaires.

Lorsque des incidents surviennent, il est important de comprendre pourquoi. Parfois, les règles ne sont pas suffisamment précises, mais en l'occurrence, ce n'était pas le cas. Il y a eu transgression des règles, dans la mesure où l'exploitant a poursuivi le démantèlement après avoir constaté que la quantité de matière fissile était plus importante que celle indiquée par le référentiel. Je n'ai pas prétendu qu'un tel comportement était adéquat, mais je n'ai pas dit non plus s'il s'agissait d'une infraction pénale. Selon la loi, en cas « d'accident ou d'incident ayant ou risquant d'avoir des conséquences notables… », l'exploitant « est tenu de le déclarer sans délai » (article 54 loi TSN). Il n'existe pas d'équivalent à ce que représentent l'amende administrative ou la « perte de points » dans le domaine de la sécurité routière. L'ASN a fait le choix de dresser procès verbal en s'appuyant sur cet article de loi, ce qu'elle ne pouvait faire qu'en invoquant un tel « risque de conséquences notables ».

Pour ma part, je ne cherche pas à minimiser l'importance de cet événement. Je dis simplement trois choses : premièrement, il est faux de prétendre que nous sommes passés près d'un accident, même si une partie de la marge de sûreté a été entamée ; deuxièmement, nous savons où se trouvent les matières en question, lesquelles ne posent donc pas un problème de sécurité ; troisièmement, la culture de sûreté a été prise en défaut dans cette affaire. L'enquête détaillée permettra de déterminer dans quelle mesure.

J'en viens à la différence entre l'ASN et l'IRSN. L'ASN est une autorité administrative indépendante qui propose au Gouvernement les règles du jeu en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection. Elle délivre les autorisations d'exploiter, de modifier les installations, etc. Si les grandes décisions – comme celle de lancer un nouvel EPR – sont de la compétence du Gouvernement, la gestion du système au quotidien – par exemple, l'autorisation de passer de la première à la deuxième phase dans la construction d'un réacteur – relève de l'ASN. Celle-ci est également l'autorité de contrôle : elle dispose d'inspecteurs assermentés qui peuvent dresser des procès-verbaux.

Pour comprendre notre système national, il faut savoir que la réglementation française en matière de sûreté nucléaire est peu détaillée. Ainsi, le décret autorisant les installations se contente de fixer certains objectifs en matière de sûreté et de radioprotection. Il appartient ensuite à l'exploitant de faire une démonstration de sûreté, c'est-à-dire de démontrer que les procédures techniques qu'il préconise sont à même d'atteindre les objectifs indiqués par le décret. Le rôle de l'IRSN est justement d'apprécier si tel est bien le cas. Notre pays a toujours fonctionné ainsi, même à l'époque où la sûreté des installations nucléaires était confiée à quelques fonctionnaires ministériels. Et si la France n'a jamais connu d'accident nucléaire, même lorsque l'autorité de sûreté était faible, c'est grâce à ce dialogue permanent entre les experts de l'IRSN et les exploitants. Ils peuvent parler d'égal à égal, car ils ont les mêmes compétences scientifiques et techniques. Par exemple, nous sommes capables de refaire, avec nos propres outils, les calculs effectués par les ingénieurs d'EDF ou d'AREVA. Lorsque les résultats diffèrent, nous essayons de comprendre pourquoi. Ce dialogue technique se poursuit tout au long de l'instruction du dossier. L'objectif est que l'exploitant parvienne à nous convaincre que sa démonstration de sûreté est satisfaisante.

La conception du système de contrôle-commande de l'EPR offre une bonne illustration de ce processus. Il s'agit d'un système entièrement numérique, à l'image de celui qui équipe les sous-marins nucléaires depuis vingt-cinq ans ou les réacteurs EDF en service de dernière génération (1450 MW). Ainsi, le contrôle de la centrale de Civaux repose sur deux systèmes informatiques différents, prévoyant quelques interconnexions. Son fonctionnement très satisfaisant a conduit EDF et AREVA à envisager une nouvelle génération de contrôle-commande informatisé, assorti d'une innovation qui, en termes de sûreté, offre à la fois des avantages et des inconvénients. Le premier système informatique est chargé de la sécurité – c'est lui qui ordonnerait l'arrêt du réacteur en cas d'anomalie – tandis que le second sert à piloter le réacteur : par exemple régler la puissance, interrompre les opérations pour rechargement. Pour ce dernier, les concepteurs ont choisi un système industriel qui n'a pas été spécifiquement conçu pour le nucléaire, mais dont l'interface hommemachine est particulièrement bien étudiée. C'est aussi un paramètre de sûreté très important, car la qualité d'une telle interface facilite la détection d'une éventuelle anomalie par l'opérateur. L'inconvénient de ce système est qu'il est extrêmement compliqué. En particulier, l'accès de l'opérateur à de très nombreux paramètres implique de nombreuses interconnexions avec le reste de l'installation, notamment avec le deuxième système du contrôle-commande. Saisi par l'ASN, l'IRSN a commencé à étudier le dossier il y a plus d'un an. En effet, même si l'Institut a la possibilité de s'autosaisir d'une question – par exemple en cas d'incident –, il travaille le plus souvent sur saisine de l'Autorité. Il rend ainsi plus de mille avis par an. Nos ingénieurs ont donc entrepris l'expertise du système de contrôle-commande de l'EPR et ont rapidement jugé nécessaire d'accéder au code source du programme, détenu par Siemens. EDF ayant d'abord refusé, l'ASN a dû exiger que l'opérateur nous transmette toutes les données disponibles. Nos experts ont alors découvert des failles dans le système informatique, et demandé en conséquence que la démonstration de sûreté soit complétée, ce qui impliquera sans doute des modifications du système.

Je le répète, en France, il n'existe pas réellement de réglementation détaillée sur le plan technique. Dès lors qu'il en démontre la sûreté, l'exploitant peut donc choisir de développer un système entièrement numérique, comme il peut aussi choisir de recourir à un système électromécanique. Grâce au rôle d'évaluation joué par l'IRSN, cette liberté laissée à l'exploitant est non seulement bénéfique à l'innovation industrielle, mais aussi à la sûreté. En revanche, l'Angleterre et la Finlande ont adopté des réglementations détaillées, qui interdisent de facto le tout-numérique. Les autorités de sûreté de ces deux pays ont donc prescrit un système plus traditionnel, c'est-à-dire en partie câblé, même si nos ingénieurs estiment qu'il sera de moins bonne qualité – cet avis étant partagé par les experts Américains. Quoi qu'il en soit, lorsque les autorités de sûreté finlandaise, britannique et française ont publié une déclaration commune, les médias l'ont interprétée à tort comme un avis conjoint jugeant que la solution retenue pour l'EPR n'était pas satisfaisante. En réalité, les Finlandais et les Anglais réclament simplement une solution plus conforme à leur propre réglementation. Mais en France, nous ne réclamons pas une autre solution ; nous souhaitons seulement qu'EDF modifie et simplifie son système pour permettre de compléter de manière convaincante sa démonstration de sûreté. Il en coûtera quelques mois de travail supplémentaires à AREVA ou à Siemens, mais le produit qui en résultera sera, du point de vue de la sûreté, d'un très bon niveau.

J'en viens aux questions posées par M. Pancher. La quantité de plutonium en rétention à Cadarache est de l'ordre de 39 kg. Cette estimation résulte des mesures effectuées dans les boîtes à gants qui ont été démantelées, mais aussi d'une observation des boîtes restantes. Elle n'est en aucun cas le résultat d'une différence comptable.

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