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Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 4 novembre 2009 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2010 — Outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristiane Taubira :

…mais bien d'une exception au droit commun, d'une exemption de ses obligations générales que l'État s'arroge.

Les illustrations sont multiples, qu'il s'agisse des aménagements fiscaux, plus complaisants qu'efficaces, du recours abusif aux ordonnances, de dispositifs plus favorables aux prébendiers, d'arrangements politico-administratifs, juridico-administratifs, de distorsions dans les rémunérations, de primes et d'indemnités sélectives, de disparités dans les revenus sociaux, d'une péréquation territoriale systématiquement défavorable, d'une continuité territoriale au rabais et du logement social livré aux aléas de stratégies fiscales individuelles.

Depuis 1946, nous savons – Babeuf l'a dit bien avant –, que, finalement, l'égalité n'est qu'une belle et stérile fiction de la loi. Et par ce principe inégalitaire, les outre-mer se trouvent maintenus comme des enclaves dérogatoires dans le champ symbolique de la République. Par leur isolement institutionnel et logistique, ils sont maintenus comme des anomalies dans le champ géopolitique. L'approvisionnement en carburant en est la caricature, cumulant coût maximal, transports insensés, pollutions inutiles, tout ce que proscrit formellement le Grenelle de l'environnement.

Dans des domaines cruciaux et vitaux pour nos sociétés, comme la connaissance de notre milieu physique et le traitement conjoint de maladies d'environnement, l'espèce d'extraterritorialité paradoxale de nos bassins régionaux entretient un monde factice de concurrence mortifère, de rivalités périlleuses contre des complémentarités stimulantes qui auraient pu être induites par la régionalisation rationnelle de nos économies.

Même si votre budget fait mine de l'ignorer, vous savez que nous avons avec les pays de notre voisinage des problématiques communes. Elles sont économiques pour la connaissance et la gestion des ressources terrestres – pour le sol et le sous-sol –, des ressources marines – halieutiques, énergétiques ou minérales –, et même pour la diversification de nos économies, y compris de l'économie touristique qui doit s'ouvrir à la culture, à l'histoire et au patrimoine.

Ces problématiques communes sont aussi écologiques, pour la connaissance et la gestion d'écosystèmes riches mais fragiles, qu'ils soient forestiers ou hydrographiques.

Elles sont encore juridiques sur la question foncière, que sa rareté soit artificielle ou réelle. Elles le sont aussi pour les ajustements nécessaires dans le cadre de la coopération.

Même si votre budget l'ignore également, nous avons des thématiques communes. Elles sont sociologiques autour de ces économies qui s'inventent en dehors de la puissance d'État, de ces migrations qui traitent les frontières pour ce qu'elles sont – des lieux de circulation.

Elles sont culturelles autour des langues et des représentations et de toutes ces ressources symboliques qui façonnent les consciences, les mémoires, les histoires.

Nous avons donc, même si votre budget n'en tient pas compte, élaboré des politiques publiques communes. Des politiques de sécurité, sur ces espaces partagés, dans la lutte contre les drogues, les alcools, les armes, les médicaments, les contrefaçons ; mais aussi dans nos eaux territoriales et dans ces zones économiques exclusives qui se situent dans la continuité les unes des autres, contre le bio-piratage – qui est aussi le fait de multinationales françaises –, contre le pillage des ressources et des savoirs, contre le rapt de la pharmacopée traditionnelle et des tradithérapies. Et pour la prise en compte de ce que nos modes de vie ont préservé en capacité de séquestration du carbone et en relation de voisinage avec les pays limitrophes.

Madame la secrétaire d'État, je sais bien que la tâche est difficile parce que les injustices et les inégalités prospèrent partout et que le marché mondial, dans sa dimension dévastatrice, écrase partout. Je sais bien que nous devons nous-mêmes, d'ailleurs, en outre-mer, apprendre à exprimer plus ouvertement et plus collectivement notre solidarité avec ceux que ce marché mondial écrase ici aussi sur la terre de France.

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