Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Alfred Almont

Réunion du 4 novembre 2009 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2010 — Outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlfred Almont, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, avant toute chose je veux, à mon tour, exprimer mon émotion face au décès de notre collègue Jean-Paul Charié, avec lequel nous sommes nombreux, dans cet hémicycle, à avoir entretenu des relations très étroites de travail et d'amitié. Je veux assurer toute sa famille de mes sentiments très attristés.

La commission des affaires économiques m'a confié le soin de rapporter son avis sur le projet de budget affecté à l'outre-mer pour 2010. Comme vient de l'indiquer mon talentueux collègue Jérôme Cahuzac, nous sommes invités à nous prononcer sur les crédits de la mission « Outre-mer », laquelle se décline en deux programmes certes de grande importance pour nos régions, notamment dans ce contexte de crise, mais qui ne représentent que 12 % environ de l'effort financier de l'État envers les outre-mer. Cette situation, évidemment, conduit les députés ultramarins à se faire d'autant plus entendre, aujourd'hui, sur d'autres missions qui intéressent leurs territoires.

L'expérience de ces dernières années a conduit la commission à conclure, madame la secrétaire d'État, que le présent budget, dans ses deux programmes – « Emploi outre-mer » et « Conditions de vie outre-mer » – prenait malgré tout en compte nos demandes récurrentes. Il est en progression pour la troisième année consécutive, ce qui montre que le Gouvernement considère l'outre-mer comme une priorité, en dépit du contexte de rigueur budgétaire. Néanmoins, des attentes restent à satisfaire.

Nous n'avons d'ailleurs pas à constater cette année, comme cela fut malheureusement le cas l'an dernier, l'inscription dans le budget général d'articles de nature à réduire la portée de dispositifs que la loi prévoit pour le développement économique et social de nos régions éloignées. Il faut s'en féliciter, car les handicaps auxquels sont confrontés nos territoires sont structurels, autrement dit invariables ; ils justifient donc indiscutablement, au nom de cette cohésion dont l'Union européenne a fait son objectif majeur, l'intervention à un niveau constant du budget national, afin de permettre à nos territoires d'assurer au mieux leur croissance et d'accéder à ce modèle économique et de société auquel ils aspirent plus que jamais, comme les événements du début de l'année 2009 l'ont amplement montré.

Oui, madame la secrétaire d'État, au début de cette année, l'outre-mer a poussé un cri d'alarme devant une accumulation de difficultés économiques et sociales qui ont fait monter très haut le niveau de l'angoisse des populations. À la crise économique générale venaient en effet s'ajouter les faiblesses propres à l'outre-mer : un chômage très élevé, des prix trop hauts, la faiblesse des bas salaires, des marchés trop étroits et une formation professionnelle encore insuffisante.

Certes, le Gouvernement a, dans l'urgence, mis en oeuvre les premières mesures nécessaires. Une partie significative des crédits de la relance a été dirigée vers l'outre-mer, notamment pour la mise en place du RSTA, le revenu supplémentaire temporaire d'activité. Les zones franches d'activité et la réforme de la défiscalisation, inscrites dans la récente LODEOM, semblent pouvoir devenir de vrais leviers de croissance. Les états généraux de l'outre mer, sérieusement organisés, sont quant à eux appelés à déboucher sur des mesures de fond, inscrites dans la durée dans des conditions auxquelles nous serons très attentifs.

Mais venons-en à la mission « Outre-mer » proprement dite. Les crédits qui lui sont affectés en 2010 s'appliquent à répondre à un double défi, à commencer par la mise en oeuvre sans délai la nouvelle loi d'orientation pour le développement économique, dont nous attendons tous qu'elle devienne très rapidement opérationnelle. Il s'agit en effet de renforcer la compétitivité de nos entreprises, laquelle demeure encore faible, pour assurer ainsi l'activité et procurer l'emploi. En second lieu, les crédits prévus s'appliquent à tirer les conséquences de la crise du début de l'année ; à cet égard, je note que le projet annuel de performances intègre bien une partie de l'effort supplémentaire consenti pour sortir de la crise, avec une augmentation de 4,4 % des autorisations d'engagements et de 3,1 % des crédits de paiement.

Rappelons que le budget de la mission s'insère heureusement dans une construction triennale – de 2009 à 2011 –, qui dresse une perspective enfin compatible avec les exigences de vision à moyen terme indispensables sur bien des points au développement de nos régions : je pense par exemple au logement social et à la réhabilitation de l'habitat ancien. En outre, la stabilité du périmètre du ministère est une bonne chose car elle permet – ce qui n'était pas le cas précédemment – de comparer plus facilement deux exercices budgétaires.

Sur le fond, le budget global de l'outre-mer est donc encore en progression, puisque les crédits qui lui sont affectés augmentent, à périmètre constant, de 6,3 %. Ce budget atteint ainsi 17,2 milliards d'euros, dont 13,4 milliards d'efforts financiers et 3,6 milliards de dépenses fiscales, celles-ci étant elles-mêmes en augmentation : voilà qui rassurera ceux qui avait pu craindre que la récente LODEOM ne se traduise par un recul financier de l'État.

Il ressort par ailleurs du large débat de notre commission que les objectifs de la mission sont, cette année, mieux marqués encore que par le passé. Trois priorités sont clairement mises en avant : le soutien aux entreprises, essentiellement via des exonérations de charges sociales destinées à diminuer le coût du travail ; l'aide à l'insertion et à la qualification professionnelle, afin d'augmenter le volume de l'emploi qualifié, cette aide se traduisant notamment par la réforme du service militaire adapté, dont les effectifs seront doublés et les formations densifiées et mieux articulées avec celles, complémentaires, dispensées par les entreprises ; enfin, l'amélioration de l'accès au logement, domaine qui, nous le savons, accuse un grave déficit.

C'est pourquoi nous attendons que, sur ce point particulier, l'articulation entre la défiscalisation, outil désormais majeur du soutien au logement social, et la ligne budgétaire unique – la LBU –, s'opère sans ambiguïté ni tentative de transfert : la LBU doit, à notre sens, rester le socle de l'aide publique au financement du logement social et intervenir en amont de la défiscalisation. Vous savez, madame la secrétaire d'État, que nous y sommes très attachés, car rien ne serait pire, pour la crédibilité des pouvoirs publics en général et pour l'assurance de leur détermination pour l'outre-mer, que de prêter le flanc à une quelconque suspicion.

Cette question est d'ailleurs de portée similaire à celle que soulève, dans le cadre du soutien aux entreprises, l'impact de la prime pour l'emploi sur le RSTA et la non-application du RSA, jugée plus juste sur le plan social. Sur ce point, vous nous avez rassurés en commission des affaires économiques par la promesse d'une évaluation réaliste au cours du premier semestre de l'année 2010 et d'une mise au point en conséquence.

J'entends maintenant mettre l'accent sur d'autres directions où l'intervention de notre budget suscite des attentes. À cet égard, les différentes missions parlementaires – ou confiées à des parlementaires – qui ont été réalisées ces derniers temps sont de nature à consolider le travail entrepris sur ces questions. Je tiens à cette occasion à saluer la qualité des travaux effectués par le président Ollier, par Jérôme Cahuzac, Jacques Le Guen, Jean-Yves Le Déaut, René-Paul Victoria et Serge Letchimy, dont les analyses et les propositions pourraient utilement être prises en compte par le Gouvernement. Ce ne fut pas toujours le cas dans le passé.

Trois questions nous paraissent devoir retenir l'attention. S'agissant tout d'abord des carburants, vous avez engagé, madame la secrétaire d'État, une réforme du mode de fixation de leur prix, à travers la mise en place d'une structure appelée à assurer la transparence. Vous travaillez à un redéploiement de l'opérateur pétrolier. Je crois que vous allez dans le bon sens, nous nous félicitons d'avoir pu vous y aider en amont et sommes dans l'attente des décisions annoncées.

Pour ce qui est, ensuite, du chlordécone, le Gouvernement a également réagi de façon appropriée. Toutefois, deux doutes subsistent. D'une part, si, j'en conviens, le plan d'action est par nature interministériel, ne devrait-il pas être piloté directement par le ministère chargé de l'outre-mer qui a, par nature, une vocation transversale ? D'autre part, les mesures prises au titre de la précaution s'imposent évidemment dans l'intérêt de la santé publique, mais elles ne doivent pas cacher un problème économique majeur : les agriculteurs et les pêcheurs ultramarins ont, comme tous les professionnels, besoin de visibilité. En d'autres termes, au-delà des questions de santé publique, le plan chlordécone prend-il suffisamment en compte le souci du développement économique, qui nous paraît tout aussi déterminant ?

Enfin, en ce qui concerne la mission sur le logement insalubre et indigne, notre collègue Serge Letchimy a remarquablement analysé la situation et judicieusement fait observer qu'il s'agissait moins d'un problème de financement que d'une question de gouvernance. Ses propositions me paraissent à la fois sages, concrètes et largement consensuelles. Nous comptons sur vous, madame le secrétaire d'État, pour poursuivre dans cette voie, en collaboration avec la représentation nationale, afin d'apporter aux problèmes posés les solutions appropriées.

Mais, comme toujours, les questions techniques et financières que nous évoquons ici ne représentent qu'une partie de la problématique générale de l'outre-mer. Celle-ci fut longtemps soumise à la toise de l'examen rituel et annuel du projet de loi de finances avec, le plus souvent, un manque de vue à long terme. Je me demande d'ailleurs, devant les présidents de commission et les collègues ici présents, si nos rapports pour avis ne devraient pas être confortés, au nom de l'efficacité, par des rapports plus spécialisés, présentés par exemple tous les trois ans, et dressant l'état complet de questions particulières, déterminantes pour l'outre-mer, comme le logement social, l'aide à l'insertion et à la formation professionnelle, la continuité territoriale, la coopération régionale, notamment les relations commerciales avec les pays ACP, la défiscalisation des investissements. Trop souvent, nous autres, parlementaires, nous avons ressenti avec nos populations l'étonnement d'être confrontés à des tâtonnements, à des dérogations ou à des initiatives à caractère exceptionnel, à une perpétuelle recherche de dispositifs législatifs possibles et réalistes. On ne saurait pour autant ignorer ce principe fort : une discrimination consiste à traiter de manière uniforme des situations différentes.

Vous le savez, notre commission s'est prononcée en faveur de la reconnaissance d'une politique de cohésion territoriale prenant en compte la diversité des territoires, et appelle la mise en oeuvre de dispositifs appropriés. C'est pourquoi, madame le secrétaire d'État, au-delà de l'exercice, un peu formel, qui consiste à décortiquer un budget, j'appelle de mes voeux, conformes d'ailleurs à l'esprit de la LOLF, un autre exercice qui nous ferait encore progresser pour atteindre enfin un modèle de croissance véritablement endogène. J'en choisirai deux illustrations, qui nous paraissent fondamentales pour l'avenir de l'outre-mer.

La première concerne le champ et la mesure de la défiscalisation, qui, depuis la loi Pons de 1986, s'est révélée un outil privilégié du soutien aux économies ultramarines, et dont la dernière pierre est la création des zones franches d'activité. Toutefois, devons-nous considérer le nouveau tableau fiscal comme un aboutissement ? Avons-nous su tirer toutes les conséquences de la spécificité de nos régions sur ce point particulier ? Nous nous félicitons naturellement du report à 2013 de l'application en outre-mer de la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP. Mais ne faudrait-il pas mener une réflexion plus globale sur l'adaptation de notre fiscalité, en nous appuyant tout naturellement sur l'article 299-2 du traité de l'Union Européenne qui incite à ces adaptations ? L'un des points d'application possible en serait, par exemple, la nouvelle taxe carbone, pour la mise en oeuvre de laquelle nous approuvons bien sûr qu'ait été prévu un décalage. Ne devrions-nous pas saisir l'occasion pour entamer une réflexion plus globale sur l'énergie outre-mer, intégrant, certes, prix des carburants, fiscalité et conditions de la concurrence, mais aussi développement des énergies alternatives, qui, pour l'outre-mer, constituent des atouts concurrentiels ?

Mon deuxième exemple a trait à la compréhension des crédits de l'outre-mer dans leur pleine acception. Malgré la qualité des documents produits, elle ne peut plus se satisfaire des seuls chiffres du projet annuel de performances et du document dit de politique transversale. Celui-ci a beau être éclairant et, pour la première fois, cette année, communiqué à l'Assemblée dans des délais raisonnables, il ne permet toujours pas de disposer d'informations simples et de nature à lever toute ambiguïté sur ce qu'on appelle, bien souvent à tort, « le coût de l'outre-mer ».

Il faut donc en sortir et mettre cartes sur table, car, selon nos propres calculs, le niveau de la dépense publique par habitant n'est pas supérieur outre-mer à ce qu'il est dans l'hexagone. Il faut bien sûr en apporter la démonstration, car ce qu'il convient d'admettre de manière définitive est que l'outre-mer est habité d'irréductibles particularités que le budget de l'État doit prendre en considération, toutes proportions gardées, au nom des droits fondamentaux qui lui reviennent.

Cela étant, au vu du caractère déterminé et adapté du projet de budget de l'outre-mer pour 2010 et à la faveur des précisions qui lui ont été transmises par Mme la secrétaire d'État, la commission des affaires économiques a émis un avis favorable aux crédits qui ont été soumis. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP.)

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion