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Intervention de Jean-Louis Borloo

Réunion du 7 octobre 2009 à 18h00
Commission des affaires économiques

Jean-Louis Borloo, ministre d'état, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat :

La mutation de l'économie et des comportements dans laquelle nous sommes engagés entre aussi directement dans le champ de compétences de votre commission.

Proposant dans le projet de loi de finances pour 2010 d'instituer une contribution climat-énergie, appelée aussi taxe carbone ou anti-carbone, l'exécutif ne fait que mettre en oeuvre à la lettre une disposition votée par le Parlement, l'article 2 de la loi Grenelle I disposant en effet « que l'État étudiera la création d'une contribution, dite climat-énergie, en vue d'encourager les comportements sobres en carbone et en énergie. Cette contribution aura pour effet d'intégrer les émissions de gaz à effet de serre dans les systèmes de prix par la taxation des consommations d'énergies fossiles. Elle sera strictement compensée (…) de façon à préserver le pouvoir d'achat des ménages et la compétitivité des entreprises. »

Il y a là derrière deux idées asses simples. On ne peut pas continuer de faire croire que les émissions de CO2 ne sont pas fatales à notre planète ni que les énergies fossiles seraient inépuisables. Il faut adresser un signal clair sur ce point : personne ne le conteste, ni les experts du GIEC, ni Sir Nicholas Stern qui, dans un rapport, estime le coût de l'inaction dix fois supérieur à celui de l'action. Il serait irresponsable de ne pas anticiper les évolutions et de ne pas engager les mutations nécessaires. En effet, les plus vulnérables des continents et, en leur sein, les pays les plus fragiles, seraient les premiers à faire les frais de cette irresponsabilité, et partout dans le monde, les populations les plus pauvres en seraient aussi les premières victimes. Il n'est pas sérieux de prétendre que le prix actuel du baril de Brent pourrait se maintenir dans les cinquante ans à venir et l'on ne peut pas décider d'investir dans des équipements lourds de production d'énergies renouvelables en fonction des cours erratiques du pétrole. La première idée est qu'il faut taxer le carbone et les énergies fossiles, pas les ménages ni les entreprises.

La deuxième idée, tout aussi simple, est celle du bonus-malus. Si ce principe ne fait plus guère débat, demeurent les questions des modalités de sa mise en oeuvre et de son intensité. Lorsque nous avons institué le bonus-malus écologique sur les véhicules, nous avons été accusés, notamment par les médias, de réinstaurer la vignette. Il a fallu que le dispositif entre en vigueur pour que l'on comprenne qu'il ne s'agissait pas d'une nouvelle taxe – le dispositif coûterait même plutôt pour l'instant au budget de l'État ! – et que l'on constate qu'il a eu des effets sur le marché. Arguant qu'une réduction de quelques centaines d'euros sur une dépense de 10 000 à 15 000 euros ne modifierait pas les comportements des acheteurs d'automobiles, les constructeurs eux-mêmes, études à l'appui, expliquaient que le marché ne serait modifié qu'à la marge. Or, tout à l'inverse, 52 % du marché se sont déplacés – peut-être en aurait-il été d'ailleurs de même avec un bonus de quelques dizaines d'euros ! Qui jusque-là, entrant chez un concessionnaire automobile, se demandait combien de CO2 émettait le véhicule qu'il envisageait d'acheter ? Personne ! Dès l'institution du bonus-malus, qui a appelé l'attention des consommateurs sur cet élément à la fois vital et moral, cela est devenu un critère d'achat. Nul n'est donc en mesure aujourd'hui d'évaluer précisément l'incidence de la future contribution climat-énergie : la seule chose certaine, qui fait d'ailleurs l'objet d'un large consensus international, est qu'il faut qu'à l'horizon de quinze ou vingt ans, le prix de la tonne avoisine 100 euros.

Une conférence d'experts, sans se substituer en rien au Parlement, a été réunie pour formuler des recommandations sur cette contribution. Elle a pointé le risque d'une double peine pour les habitants des zones rurales, qui n'ont d'autre choix que d'utiliser leur véhicule et qui vivent le plus souvent en habitat individuel. Pour le reste, la contribution doit-elle progresser de manière linéaire, asymptotique ou exponentielle ? Il vous appartiendra d'en décider. Un consensus s'est en revanche fait jour sur la nécessité d'une compensation car il ne s'agit bien que de taxer le carbone. Le prix de départ de la tonne a fait l'objet de longs débats, certains souhaitant qu'il soit d'emblée assez haut, d'autres préférant qu'il soit plus bas et augmenté progressivement… L'important est de donner un signal prix clair et de prévoir une augmentation progressive.

Pour ce qui est d'une taxe aux frontières de l'Europe, la France était la seule à défendre un tel mécanisme dit d'inclusion carbone, au motif que les pays soucieux de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre ne sauraient être pénalisés par rapport à ceux qui s'en exonèrent. Si nous étions seuls sur cette ligne, c'est que nous étions les seuls à croire que le paquet climat-énergie serait adopté, lequel ne l'aurait d'ailleurs pas été sans la détermination de notre pays et du Président de la République. En effet, au moment de conclure, tous les pays avaient peur. Maintenant que le paquet a été signé, tous se rallient au mécanisme d'ajustement aux frontières que nous proposions et que l'OMC a déclaré totalement compatible avec ses règles. Certaines positions de façade ne traduisaient finalement que le sentiment que l'on n'aboutirait pas sur ce paquet. Les États-Unis ont voté la mise en place d'une taxe équivalente il y a quelques mois. L'idéal en réalité serait de s'en passer car cela signifierait que Copenhague a été un succès. Mais il nous faut garantir la loyauté des échanges et éviter le dumping environnemental.

Comment vois-je le sommet de Copenhague qui va s'ouvrir dans sept semaines sur le sujet le plus important pour le monde aujourd'hui ? En octobre 2008, personne n'aurait misé un kopeck sur le fait que les vingt-sept pays européens, à l'unanimité, s'imposeraient des règles de réduction d'émissions de CO2 année après année, secteur par secteur, sous contrôle d'une Cour de justice, avec des pénalités en cas de non-respect de ces obligations. Il n'était pas évident de le faire accepter à un pays comme la Pologne qui devra, plus que tout autre, réduire ses émissions alors que son économie dépend du charbon et qu'elle compte encore 180 000 mineurs en Silésie ! Il fallait prévoir des mécanismes de solidarité afin que nul ne soit lésé et cela était si compliqué que le découragement aurait pu l'emporter.

Heureusement, la présidence de l'Union était alors assurée par la France et jamais je ne vous remercierai assez du soutien que vous m'avez manifesté certain vendredi au petit matin, qui m'a permis ensuite de négocier de manière beaucoup plus détendue avec mes homologues européens. Si la loi Grenelle I n'avait pas été adoptée à l'unanimité et si les partis d'opposition et les syndicats avaient manifesté le moindre désaccord sur le plan national, notre position aurait été beaucoup plus difficile à tenir.

Forts de notre consensus national, nous avons pu être beaucoup plus convaincants vis-à-vis de nos partenaires européens. Je pense qu'il en va de même pour Copenhague. Tous les chefs d'État du monde sont désormais convaincus de la nécessité d'agir en matière de climat, sauf que devant la nécessité d'expliquer à leurs peuples l'urgence d'engager la mutation indispensable, tous ont peur, ce qui est compréhensible. Nous aussi aurions peur en France, quel que soit d'ailleurs l'exécutif, si nous n'avions pas mené la réflexion qui a précédé l'adoption de la loi Grenelle I.

Je ne suspecte pas une seconde le président Obama de ne pas vouloir agir – il a même fait campagne sur le thème du changement climatique -, mais il n'est pas en état de proposer à la nation américaine de réduire de 25 % à 40 % ses émissions de CO2 – au mieux, pourra-t-il proposer 5 %, et encore devra-t-il obtenir l'aval du Sénat, autant dire que ce sera zéro au final. Et tous les autres pays en sont là eux aussi. Ils n'ont pas compris que c'était une formidable opportunité, indépendamment d'une absolue nécessité.

Les négociateurs, actuellement réunis à Bangkok, y débattent de cinq axes stratégiques avec chiffrages afférents, sur lesquels les dirigeants eux-mêmes ne se sont pas encore mis d'accord. Je pense être le ministre de l'écologie qui a relativement le plus de poids dans son gouvernement de tous les titulaires de ce portefeuille de par le monde. Pour autant, tout se jouera au niveau des chefs d'État. La mutation demandée est gigantesque. Le succès de Copenhague passera par un franc leadership franco-européen. Il suppose aussi de simplifier considérablement les enjeux et d'accepter que les choses soient réglées différemment selon les pays, tant dans la forme que dans le niveau des engagements. La Chine, par exemple, ne veut pas d'un traité à l'européenne parce que ce type d'engagement n'est pas dans sa culture : il faudra pour elle plutôt mettre au point un engagement unilatéral contraignant.

Même s'il n'y a qu'une chance sur dix mille que Copenhague aboutisse, je veux y croire, comme j'ai cru à la magie du Grenelle en France et du paquet climat-énergie en Europe. L'engagement de la France sera décisif : il n'y a pas d'autre pays au monde aujourd'hui capable de faire réussir ce sommet. Je rencontrerai après-demain à Addis-Abeba le Premier ministre éthiopien, qui représentera l'Afrique à Copenhague. Si un programme de développement des énergies renouvelables sur le continent africain ne devait pas y être aussi adopté, Copenhague serait un échec.

Moins de 20 % des Africains ont aujourd'hui accès à l'énergie. Cela est d'autant plus inacceptable que le continent possède un potentiel considérable d'énergies renouvelables. La solidarité climatique est une obligation morale à l'endroit de l'Afrique, de tous les pays les plus pauvres, des îles les plus vulnérables. Ce plan justice-climat doit être financé exclusivement par des fonds publics. Je fais ici le pari que l'on trouvera des financements innovants ou alternatifs. La puissance de la proposition à l'endroit des pays les plus pauvres sera telle qu'elle ne pourra être contestée et comme elle ne sera pas financée directement par les budgets, elle le sera par des financements innovants.

Un mot sur les pointes de consommation d'électricité que vous avez évoquées, M. le président. Un groupe de travail a en effet été mis en place qui réfléchit à une gestion par les tarifs et une gestion technique. Ce travail est d'autant plus crucial que je crois au projet français de développement des véhicules électriques, après les accords signés entre les constructeurs, les distributeurs, les énergéticiens et l'État. Le problème ne pourra que s'accentuer : il faut donc trouver des solutions.

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