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Intervention de Pierre-Alain Muet

Réunion du 13 octobre 2009 à 16h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre-Alain Muet, Rapporteur spécial :

Comme les années précédentes, mon rapport concerne les deux programmes Stratégie des finances publiques et modernisation de l'État et Conduite et pilotage des politiques économiques et financières.

Les administrations concernées par le programme Stratégie des finances publiques et modernisation de l'État sont, au sein du ministère du Budget, la direction du budget, la direction générale de la modernisation de l'État, l'agence pour l'informatisation financière de l'État, l'opérateur national de paie et l'autorité de régulation des jeux en ligne, en cours de création. En 2010 le programme couvre également la mission d'évaluation des politiques publiques, nouvellement créée, et l'activité du Conseil de normalisation des comptes publics, créé en décembre 2008.

Le programme Conduite et pilotage des politiques économique et financière regroupe les fonctions de soutien des ministères de l'Économie et du Budget – secrétariat général, logistique, achats, personnel, action sociale, informatique, immobilier, parc automobile.

Je vais essentiellement concentrer mon propos sur le premier programme, en commençant par quelques points positifs avant d'en venir aux critiques à l'encontre de ce qui aurait pu être une politique intelligente de réforme de l'État, la révision générale des politiques publiques (RGPP), mais qui a été dénaturée par l'objectif de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.

Je me félicite que le Gouvernement ait suivi l'une des préconisations des précédents rapports en constituant une structure en charge de l'évaluation des politiques publiques, après la suppression en début de législature du Conseil national de l'évaluation. Je continue à dire que l'évaluation des politiques publiques et la concertation avec les représentants des agents de l'État sont la clef de voûte d'une véritable modernisation de l'État. La première reste insuffisante, et, malgré cette création, la seconde est inexistante. J'y reviendrai.

Sur la stratégie de performance, j'avais regretté l'an dernier l'absence d'objectifs et d'indicateurs mesurant la performance des administrations d'état-major du ministère du budget (direction du budget, DGME, AIFE), alors qu'elles sont justement chargées d'impulser une telle démarche de performance dans les ministères. Le projet annuel de performances pour 2010 ne comporte toujours pas d'objectif ou d'indicateur sur le respect de la norme de dépense de l'État dans ses différents agrégats. Le seul indicateur sur lequel est jugée la direction du budget est celui relatif à la qualité du volet performance du budget de l'État, c'est-à-dire essentiellement un sondage sur la qualité des documents budgétaires.

Je me félicite en revanche que la DGME, l'AIFE et l'ONP aient accepté cette année de porter des indicateurs mesurant leur performance.

Je suis convaincu que l'on ne peut mener une réforme de l'État contre les fonctionnaires. J'ai consulté les huit organisations syndicales représentées au sein du Conseil supérieur de la fonction publique de l'État : plusieurs m'ont affirmé qu'elles « étaient d'accord avec l'utilité de moderniser les services publics français » et qu'elles étaient prêtes à accompagner une réforme de la fonction publique, mais pas sous la forme qu'elle a prise dans le cadre de la RGPP.

Toutes ont estimé qu'il aurait fallu commencer par organiser un débat sur les missions et ensuite statuer sur les effectifs et les moyens. Le rapport de l'an dernier avait montré l'absence d'évaluation préalable des équipes d'audit ; celles-ci s'étaient contentées d'une compilation des études déjà effectuées et avaient dû travailler dans le délai record de moins d'un an pour rendre leurs conclusions.

Une organisation syndicale indique qu'« il aurait fallu d'abord dresser un bilan des politiques publiques, puis dégager des perspectives à partir des besoins publics, mesurés dans le cadre de services publics de qualité et de proximité ». Au lieu de cela, on part des suppressions d'emplois imposées par le haut pour ensuite tenter de réorganiser les services afin qu'ils puissent continuer à remplir leurs tâches.

En lieu et place d'une véritable évaluation des politiques publiques, la RGPP s'est caractérisée par la prédominance d'un objectif unique, choquant, et même insultant pour les fonctionnaires, à savoir le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. L'exercice s'est alors limité à effectuer des coupes claires, là ou aurait dû prévaloir une vraie réflexion sur la réorganisation des missions de l'État. Ces coupes sont réalisées sans vision cohérente d'ensemble et sans que soit prise en compte la dimension de la qualité du service rendu.

Nous avons besoin d'un débat public sur le rôle de l'État, sur ses missions et sur le service public, avec une déclinaison par ministère. Dans toutes les auditions, les fonctionnaires insistent sur la nécessité de donner du sens à leur travail et d'expliquer la raison des réformes.

La RGPP donne l'impression d'avoir été conçue et mise en oeuvre dans le seul but de réduire les dépenses. « L'arrêt de la politique aveugle de suppression d'emplois est un point dur de la négociation avec les organisations syndicales » a-t-on entendu de façon unanime. Le cas a même été porté à la connaissance de votre rapporteur spécial que, dans une direction locale de la jeunesse et des sports, le financement insuffisant consacré aux primes de restructuration dont bénéficient les agents touchés par les réorganisations, a entraîné une suppression supplémentaire de huit postes pour financer ces primes. La mise sous plafond des crédits et des emplois entraîne une multiplication des coupes budgétaires et des suppressions de personnel.

Plusieurs organisations syndicales ont regretté « le rythme rapide, voire précipité, avec lequel les réorganisations sont en train d'être effectuées, ainsi que le caractère brutal de leur mise en oeuvre ». Les risques de désorganisation ont été mentionnés, avec une baisse de la qualité et une rupture dans la continuité du service. Les réformes donnent l'impression que les suppressions massives d'emplois sont d'abord effectuées, avant qu'il soit tenté d'adapter le fonctionnement des services, « de façon bâclée », avec « une gestion à la petite semaine ».

Les organisations syndicales consultées ont toutes évoqué la réforme de l'administration territoriale de l'État. Plus que dans les services centraux des ministères, c'est sans doute là que se situent les tensions les plus fortes en termes d'adaptation des personnels. Les services déconcentrés rassemblent en effet la plus grande partie des fonctionnaires de l'État. La plupart des directions régionales ou départementales sont touchées par les changements de nom, les éclatements ou les fusions. Une organisation syndicale a déclaré que l'on assistait à « une véritable destruction de services entiers comme l'inspection du travail ou la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes ».

Selon les décisions prises dans le cadre de la RGPP, la réforme de l'administration territoriale de l'État doit s'appliquer au 1er janvier 2010. Or de nombreux problèmes ne sont pas résolus, en particulier le fait que dans les fusions des nouvelles structures déconcentrées de l'État, les fonctionnaires resteront rattachés statutairement à leurs ministères mais dépendront hiérarchiquement des préfets.

Les chartes de gestion qui doivent régir ces situations complexes n'étaient pas encore écrites au début du mois d'octobre 2009. Une organisation syndicale estime qu'il est important que les fonctionnaires gardent un lien fort avec leur ministère et ne se fondent pas dans une interministérialité placée, de fait, sous l'autorité du ministère de l'intérieur.

C'est ainsi que, dans les services locaux de la protection judiciaire de la jeunesse, la vocation éducative et les prises en charge civiles sont délaissées et transférées de fait aux conseils généraux. Cette modification profonde du mode d'action de l'État n'a jamais donné lieu à débat et n'a jamais été expliquée aux quelque 800 agents publics potentiellement concernés et qui sont en charge de la mettre en oeuvre.

La réforme des services chargés de l'organisation des examens scolaires et universitaires et le transfert des TOS aux conseils généraux sont également évoqués. Si certains départements ont conservé l'organisation du travail et les personnels qui prévalaient dans l'administration d'État, d'autres ont décidé de privatiser ces tâches. Il en résulte une « baisse de la qualité du service par rapport à une situation où les fonctionnaires TOS assuraient une présence tout au long de la journée scolaire. Les TOS faisaient partie intégrante de l'équipe éducative, en participant par exemple à l'apprentissage de la civilité. » Il s'agit d'une transformation de la nature du service public pour un gain en termes de coût qui n'est d'ailleurs guère démontré.

Il faudra un jour dresser le bilan de tous les secteurs où, par le biais de la RGPP, le Gouvernement s'est défaussé de pans entiers de son action sur les collectivités locales ou sur le secteur privé.

Dans tous ces cas, votre rapporteur spécial a l'impression que les réformes en cours en arrivent à détruire ce qui a fait la force de notre service public, du haut en bas de l'échelle hiérarchique. La finalité de la fonction publique semble oubliée, avec le lien citoyen, la dimension des territoires, la solidarité, l'égalité de traitement ou la proximité. Or comme le rappelle une organisation syndicale, « le service public doit être rendu partout et pour tous. »

Toutes les organisations syndicales rencontrées ont affirmé que la concertation sur la RGPP n'avait jamais réellement eu lieu. « Les comités techniques paritaires n'ont pas été réunis sur le sujet de la RGPP et le point de vue des fonctionnaires n'a jamais été entendu ». Une commission de modernisation des services publics, composée, au niveau national, de représentants de l'administration, de représentants des personnels et de représentants des usagers, s'est réunie les 19 mars et 27 juin 2008, à l'occasion d'un débat sur la nouvelle organisation de l'État au niveau territorial. Mais c'est à peu près tout. De même, il existe des commissions départementales de modernisation des services publics, mais elles sont rarement réunies par les préfets.

La responsabilité de la phase de mise en oeuvre des réformes a été confiée aux secrétaires généraux des ministères. Ces derniers doivent rendre compte régulièrement à la DGME et sont redevables du bon avancement des réformes. La phase de mise en oeuvre s'est accompagnée le plus souvent de deux ou trois réunions entre les secrétaires généraux et les organisations syndicales. Ces réunions officielles se limitent la plupart du temps à une présentation générale de la réforme, sans que les personnels soient informés précisément de l'organigramme des nouvelles structures.

Les fonctionnaires ont en général appris par la presse les décisions prises dans le cadre de la RGPP et par voie de circulaires les modalités de mise en oeuvre des réformes. L'information manque et même les hauts fonctionnaires sont demandeurs d'explications. Très souvent, l'encadrement n'a pas été plus consulté que les services qu'il a sous ses ordres. Les cadres de la fonction publique sont souvent mal à l'aise et ne comprennent pas toujours ce qu'ils doivent mettre en oeuvre. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que la majorité des fonctionnaires se déclare hostile à la RGPP, comme le montrent plusieurs enquêtes et sondages commandés par le ministère du budget.

Un représentant syndical cite les nombreux cas où des fonctionnaires sont informés de la fermeture de leur direction régionale ou départementale par la lecture d'un arrêté au Journal officiel. Le cas a été cité de la direction régionale de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) de Picardie où une unité de vingt personnes a été dissoute. L'administration a seulement organisé une réunion avec la cellule d'accompagnement pour les personnes qui avaient perdu leur poste.

Plusieurs organisations syndicales indiquent que les cas se multiplient où les focntionnaires qui perdent leur poste dans une restructuration doivent procéder eux-mêmes à la recherche d'un nouveau poste. Certains ont été contactés par leur directeur, de façon informelle et avant toute décision de restructuration, pour leur conseiller de rechercher par eux-mêmes une affectation ailleurs. Ces agents n'ont alors pas accès à l'information sur la nature précise des réformes prévues et ne peuvent pas faire valoir leurs droits.

Plusieurs organisations syndicales ont estimé que l'on assistait de fait à la multiplication de cas de « mobilité non souhaitée ou contrainte ». Des cas de mobilité géographique forcée ont été mentionnés. Les contacts informels avec la hiérarchie administrative donnent souvent l'impression que le fonctionnaire est incité à demander son transfert dans les services du conseil général, dans la fonction publique hospitalière, voire pour certains cas dans le privé. Or la réorganisation des filières administrative se fait par une diminution importante du nombre des agents de catégorie B et C en raison de l'externalisation des missions de l'État.

Un problème particulier se pose pour les agents de catégorie C, où la pratique grandissante de « postes profilés » donne l'impression que les choix de recrutement sont déjà effectués par les directeurs avant qu'ils ne fassent l'objet d'une publicité auprès de l'ensemble des agents.

Mon dernier point concerne les primes au mérite qui heurtent le sens du service public des fonctionnaires. Le ministère du Budget et certains ministères ont depuis plusieurs années développé les dispositifs de rémunération à la performance individuelle : primes de résultat pour les directeurs d'administration centrale, création de la prime de fidélité et de reconnaissance qui sera étendue progressivement à l'ensemble de la filière administrative. À la suite du rapport remis au Gouvernement par notre collègue Michel Diefenbacher, le Gouvernement envisage maintenant l'instauration d'un mécanisme d'intéressement collectif.

Certaines organisations syndicales consultées par votre rapporteur spécial se sont déclarées favorables seulement aux dispositifs d'intéressement collectif, dans la mesure où ils concourent à une meilleure qualité du service et participent au pouvoir d'achat des fonctionnaires. D'autres au contraire rappellent qu'elles n'étaient pas demandeuses et soulignent « les risques de systèmes de prime au mérite qui iraient à l'encontre de la vocation initiale des jeunes fonctionnaires quand ils ont fait le choix de la fonction publique ».

Un autre encore a déclaré : « Un sacrifice en termes de niveau de rémunération, par rapport au secteur privé, est compensé par le sentiment profond d'être au service de l'État pour remplir des missions d'intérêt général ». Ce propos traduit ce que ressentent la plupart des fonctionnaires et le Gouvernement en porte une lourde responsabilité. Comme le dit l'un d'eux, « les fonctionnaires lisent et entendent qu'ils sont le back office, qu'ils ne servent à rien, qu'ils sont trop souvent absents et qu'ils ne sont pas mobiles », alors même que « la motivation profonde des fonctionnaires repose d'abord sur le sens qu'ils donnent à leur mission ». Dans ce domaine, je crains que la politique de la RGPP ait été clairement un échec.

Nous avons une fonction publique remarquablement formée et performante, que de nombreux pays nous envient. Autant je suis partisan d'une gestion rigoureuse des finances publiques, autant je trouve absurde et choquant de conduire la réforme de l'État avec comme seul objectif le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, sans la concertation nécessaire à une véritable politique de modernisation de l'État.

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