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Intervention de François Asensi

Réunion du 14 octobre 2009 à 15h00
Délimitation des circonscriptions des députés — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Asensi :

Informez-vous, jeune homme !

D'un côté, une formation politique obtient, avec 19 % des voix au premier tour, dix sièges de députés et de l'autre, une autre formation, avec 17 % des voix au premier tour, en obtient 189. La démonstration est limpide !

J'entends fort bien la nécessité d'assurer une stabilité et une efficience à l'exécutif, mais cette stabilité est depuis fort longtemps atteinte et elle confine désormais à la sclérose et à l'irresponsabilité.

J'insiste sur le fait que le mode de scrutin a pour fonction de représenter la population, non de réguler le système politique et partisan. Ramener cette question au mode de scrutin est par ailleurs trompeur, car il existe d'autres outils permettant de poursuivre cet objectif, que vous ne vous privez d'ailleurs pas d'utiliser.

Le mode de scrutin, c'est ma conviction, doit être la photographie fidèle des options politiques choisies par les Français, faute de quoi nous recréons un monde social imaginaire d'où sont exclus de larges courants de pensée. J'ai peur que nous vivions actuellement dans cette bulle institutionnelle qui nous préserve de la conflictualité sociale laquelle, plus que jamais, demande à s'exprimer et à trouver une traduction dans le champ politique. Il nous faut donc faire éclater cette bulle.

De quoi avez-vous peur, monsieur le secrétaire d'État, si ce n'est que le peuple puisse porter plus fortement ces exigences au coeur de notre Assemblée ?

Le scrutin majoritaire fonctionne actuellement comme une rente de situation inacceptable pour les partis hégémoniques. Par les effets de seuil et le couperet du deuxième tour de l'élection, un seul candidat sort vainqueur, quand toutes les autres voix, parfois majoritaires, sont des voix perdues. Les partis arrivés au-delà de la deuxième position sont ainsi privés de toute représentation.

En 1993, la droite a ainsi raflé 82 % des sièges de députés en n'obtenant que 40 % des voix au premier tour. En 2002, un candidat UMP devait réunir 23 000 voix pour être élu, contre 43 000 voix pour un candidat PS, 58 000 pour un candidat communiste et 380 000 pour un représentant des Verts. Où est le principe d'égalité des citoyens devant le suffrage, inscrit dans la Déclaration des droits de l'homme de 1789 ?

Une conception avancée de la démocratie ne peut accepter un tel mécanisme excluant dans lequel le vainqueur s'arroge tous les pouvoirs et dénie aux défaits toute légitimité à faire valoir ses idées. C'est pourtant le modèle de concentration autoritaire des pouvoirs que le Président de la République nous propose.

Ce mode de scrutin, accompagné de seuils élevés, est un rouleau compresseur qui élimine le pluralisme de nos institutions. Hors des alliances avec les grands partis, point de salut. Les formations minoritaires se retrouvent sous la férule des appareils partisans pour négocier la survie de leur représentation politique sur ces bancs, souvent au prix d'une perte d'identité et de renoncements. Les directions successives du parti communiste français, conscientes ou non, en ont payé un lourd tribut. Est-il démocratique que le parti communiste doive se désister dans 550 circonscriptions – sur 577 – au profit du PS, pour espérer conserver une représentation à l'Assemblée nationale ?

Il n'est pas question de défendre sa chapelle ou son mandat, mais de défendre le droit des formations politiques de droite ou de gauche à disposer d'une voix dans notre démocratie. Cette donne politique détourne durablement les citoyens de la politique, qui constatent, à juste titre, que leur vote n'obtient pas de traduction.

Élections après élections, les nouvelles formations et courants de pensée, malgré des résultats prometteurs, demeurent à l'extérieur du Parlement. Peut-être est-ce d'ailleurs le but de la manoeuvre ? J'estime, pour ma part, que les plus radicaux devraient pouvoir siéger dans notre assemblée. Pourquoi ne pas élire M. Besancenot ? Il serait, en effet, bon que tous les courants de pensée politique soient représentés.

Dans cette République où les contre-pouvoirs sont insuffisants, ceux-là même qui ont intérêt à ce que rien ne change – et surtout pas le mode de scrutin – sont les seuls à pouvoir le faire évoluer. Là réside le drame. Les petites formations dont la mienne fait partie n'ont pas le pouvoir de changer le mode de scrutin. Je ne prône pas un scrutin proportionnel intégral – que l'on agite pour faire peur –, mais un scrutin mixte. Le président Ayrault a évoqué le système qui prévaut en Allemagne et qui permet à la fois d'obtenir des majorités stables pour gouverner et la représentation de toutes les opinions.

Au-delà des différences programmatiques et des luttes électorales se dessine ainsi un intérêt commun, objectif des deux grands partis hégémoniques : tacitement, c'est à un partage des fruits du pouvoir auquel nous assistons. Pourquoi scieraient-ils la branche sur laquelle repose leur domination en modifiant le mode de scrutin ? J'aurais souhaité que le débat sur le pluralisme ait lieu.

C'est ainsi qu'il faut décrypter le peu d'empressement de Lionel Jospin et du parti socialiste à ouvrir le chantier du redécoupage et de la réforme des scrutins, sans doute par crainte d'un rééquilibrage de la gauche au sein du Parlement au bénéfice des verts et des communistes. Il aurait été bénéfique que la gauche procède à la modification du mode de scrutin pour faire respirer la démocratie française.

L'autre conséquence de ce mode de scrutin est de provoquer, inévitablement, le bipartisme. Le constitutionnaliste Maurice Duverger évoquait d'ailleurs à ce sujet une « véritable loi sociologique ». Peu à peu, l'UMP et le PS sont inéluctablement devenus des partis dominants, hégémoniques dans leur camp. Le but était d'avoir deux grandes formations calquées sur le modèle anglo-saxon. Si elles disposent de 496 députés sur 577, ce n'est pas leur faire injure que d'affirmer que leur influence à l'Assemblée n'est pas le reflet de leur influence dans la société française.

Ce bipartisme étouffant la démocratie va de pair avec un regrettable nivellement des valeurs et une course perpétuelle au centre. L'effet pervers de ce mode de scrutin laisse la porte ouverte à toutes les entreprises politiciennes. Au centre, en effet, on peut plus facilement construire des alliances propres à imposer une hégémonie et pratiquer le débauchage de militants de l'autre rive.

Nous touchons là au coeur de la stratégie d'ouverture du président Nicolas Sarkozy, qui sème la confusion chez les militants et décourage les électeurs. Cette stratégie produit un marasme idéologique sans précédent, où la seule communication règne en maître, vidée de toute substance. Plus grave encore, le scrutin majoritaire est un véritable frein au renouvellement du personnel politique.

Je vous le demande : où est la parité entre hommes et femmes dans cette assemblée ? Où sont les enfants de l'immigration africaine sur nos bancs ? Le scrutin majoritaire, par sa personnalisation extrême, est une puissante incitation à maintenir les sortants, les personnalités populaires en n'ouvrant la porte ni à la parité, ni à la diversité, ni au renouvellement

Certaines études ont ainsi montré que la proportion des femmes élues était trois fois plus importante dans les systèmes à proportionnelle que dans les systèmes majoritaires. Je rappelle, monsieur le secrétaire d'État, que la France arrive en soixante-quatrième position mondiale pour la place des femmes au Parlement, avec seulement 18 % d'élues. La comparaison avec l'Allemagne – 32 % – ou l'Espagne – 36 % – est une honte pour notre République. Peut-on se satisfaire d'une représentation inférieure à celle du Parlement de la République afghane où siègent 27 % de femmes ?

J'en suis convaincu, les lois sur la parité dans les candidatures resteront inefficaces tant qu'il n'y aura pas de réforme du mode de scrutin. Je rejoins pleinement l'avis de Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, qui estime que le principe de parité « ne peut se réaliser, ou seulement très difficilement, dans le scrutin majoritaire mais uniquement à la proportionnelle ».

Chers collègues, la diversité sociale est tout aussi absente de notre assemblée qui ne comporte que 0,4 % d'ouvriers et 1,8 % d'employés – le plus souvent dans les groupes de la gauche, particulièrement dans le groupe communiste – contre 19 % de professions libérales et 13 % de cadres. Là encore, le scrutin majoritaire joue pleinement au profit des notables bien implantés localement.

S'il est difficile de mesurer la diversité des origines, un simple constat empirique permet de relever le manque de représentativité de notre assemblée. Cette diversité est quasiment invisible. Les partis ont – c'est regrettable – encore peur de présenter un candidat de couleur dans le cadre d'un scrutin majoritaire très personnalisé, alors que la France est définitivement, et pour toujours, une nation pluriethnique, ce dont nous ne pouvons que nous en féliciter.

Je terminerai en évoquant la question du cumul des mandats.

Je vois avec satisfaction qu'un débat salutaire s'est ouvert dernièrement à ce sujet. Nous allons peu à peu vers le constat partagé que notre démocratie souffre d'une trop grande concentration des mandats sur une poignée de personnalités. Or comment ne pas lier cette problématique avec le mode de scrutin majoritaire, qui encourage la personnalisation du vote ? Reconnaissons-le, dans ce type d'élections, être maire ou conseiller général est un atout précieux pour gagner un siège de député. Cela constitue aussi un obstacle fort au renouvellement de notre démocratie.

Pourquoi tant de réticences à faire évoluer notre mode de scrutin vers une part sensible de proportionnelle alors que l'ensemble des démocraties européennes s'y sont ralliées au cours des dernières décennies ? Si le scrutin majoritaire a été l'emblème des jeunes démocraties peu assurées de leur fait, menacées au XIXe par les forces réactionnaires, cléricales, royalistes, il a été abandonné dans la plupart des démocraties modernes ou sévèrement limité. Vous le savez sans doute mieux que moi, dix-sept pays européens ont adopté la proportionnelle et six un scrutin mixte ; en Allemagne, la moitié des députés est élue à la proportionnelle. La France est le seul pays européen, avec la Grande-Bretagne, à persister dans cette anomalie démocratique.

Dans de multiples domaines, l'adéquation avec nos partenaires européens est recherchée, pourquoi ce pan constitutionnel devrait demeurer une regrettable exception française ?

Le plaidoyer que je me suis efforcé de faire en faveur d'une démocratisation de nos institutions et de l'adoption d'une dose de proportionnelle n'est qu'une mesure de cohérence. Dans le cadre des élections locales, à la faveur d'un grand progrès démocratique, le système électoral a permis la représentation de tous les courants au sein des assemblées. Le Président de la République annonce l'introduction de la proportionnelle à un tour dans le cadre des élections régionales, où se pose également la question de la stabilité de l'exécutif. Pourquoi refuser cette proportionnelle au niveau national ?

Ne nous y trompons pas : il s'agira une nouvelle fois d'une manipulation électorale propre à avantager son camp, de la même manière que le texte qui nous est soumis à ratification vise à préserver une majorité de droite dans cet hémicycle.

En conclusion, j'espère avoir bien exposé les raisons pour lesquelles ce projet de redécoupage électoral masque les enjeux d'un renouvellement de notre démocratie sous le vernis d'une égalité prétendument retrouvée entre les circonscriptions françaises. Ce texte partial, qui assure à la majorité un matelas électoral dans la perspective de 2012, introduit de nouvelles inégalités entre les citoyens et détourne des véritables réformes nécessaires à la revitalisation de notre démocratie, à l'émergence tant attendue d'une VIe République.

Pour l'ensemble de ces raisons, les députés communistes, républicains et du Parti de gauche se prononceront contre la ratification de l'ordonnance du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés.

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