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Intervention de Jean-Paul Lecoq

Réunion du 14 octobre 2009 à 15h00
Délimitation des circonscriptions des députés — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Paul Lecoq :

Le choix de ne pas les publier tient plutôt à l'objectif que s'est fixé le Président de la République : assurer une majorité parlementaire à droite, même quand celle-ci est minoritaire dans le pays. On comprend mieux votre silence lors de votre dernière audition, alors qu'un collègue de la majorité, mécontent, vous invitait à davantage communiquer sur cette question fondamentale du redécoupage.

Mais revenons à l'objectif réel de votre projet. Permettez-moi de prendre l'exemple, non de ma situation, mais de celle de la Seine-Maritime, département dont je suis député. Elle est révélatrice des objectifs non affichés et des exceptions aux critères que vous dites avoir retenus.

La sixième circonscription de Seine-Maritime compte actuellement 115 816 habitants. Circonscription la plus industrielle de France, elle comprend une grande ville, Le Havre, des villes moyennes, mais aussi un territoire rural important, et ces caractères urbain, rural et industriel y cohabitent en harmonie. Le Gouvernement a jugé qu'il fallait progressivement réduire l'écart entre cette circonscription et les autres du département. Progressivement ? Elle est totalement disloquée, elle a disparu ! J'oubliais : cette circonscription est la seule qui ait été gagnée sur l'UMP par un député communiste. Ceci explique peut-être cela.

Dans le nord du département, c'est la onzième circonscription qui, avec 100 616 habitants, est remaniée. Elle deviendrait la sixième circonscription en titre. S'il ne fallait que l'agrandir, il suffisait d'y ajouter un des cantons qui la bordaient. Mais peut-être fallait-il aussi que, conformément au principe républicain de M. le secrétaire d'État, le canton et la ville du député UMP à qui elle est destinée y soient intégrés. Avec ce redécoupage, la nouvelle sixième circonscription s'étendra de la zone côtière du nord du département jusqu'aux limites du département de l'Eure, soit pratiquement 100 kilomètres. Elle franchira ainsi allègrement les pays et les limites d'arrondissements et comptera 146 025 habitants, ce qui en fera la plus peuplée de France. Rien dans cette circonscription, ni montagne ni vallée, n'interdirait un autre découpage.

Quant à l'arrondissement de Rouen, tout proche, trois de ses quatre circonscriptions seront les moins peuplées de Seine-Maritime, comptant de 113 531 à 117 019 habitants. C'est ce qui s'appelle tourner le dos aux prétendus critères de choix démographiques tant vantés. Dans le respect des équilibres des populations, on aurait assurément pu mieux faire !

Dans ce département également, on voit ce que vaut la tradition républicaine que vous invoquez. Vous avez indiqué en commission que « vous vous êtes simplement efforcé de respecter la tradition républicaine voulant que l'on ne sépare pas un député de son canton ou de sa commune ». Qu'en est-il dans la réalité ? Là encore, c'est à géométrie variable.

Le député de l'actuelle neuvième circonscription occupe déjà le terrain dans la nouvelle neuvième circonscription où ne figurent ni sa ville ni son canton.

M. Rufenacht, maire du Havre, ne pouvant garantir à la fois le niveau de population de la circonscription détenue par son parti et l'élection de son représentant, on a donc attribué le canton et la ville de l'actuel titulaire de la neuvième circonscription à la septième circonscription.

Si votre projet fait de la future sixième circonscription la plus peuplée de France, c'est pour assurer l'élection d'un de vos candidats : on a dû y ajouter cinq cantons pour qu'elle englobe la mairie et le canton de l'actuel député de l'une des deux circonscriptions fusionnées.

Dans ce département de la Seine-Maritime, qui compte actuellement douze circonscriptions, deux de gauche disparaissent et les quatre de droite sont confortées. Pur hasard ? Mauvaise connaissance du territoire électoral ? Je n'y crois guère !

Quelle conclusion tirer de cet exemple ? Que le principe que vous énoncez est à géométrie variable. Qu'est-ce qui guide son application ? Au-delà de tout autre principe, c'est son degré d'utilité à votre parti. D'ailleurs, là est votre seul principe. Pour le reste, vous vous arrangez pour que cela ne se voie pas trop. Le pire, c'est que le principe que vous invoquez – vous vous êtes « simplement efforcé de respecter la tradition républicaine voulant que l'on ne sépare pas un député de son canton ou de sa commune » – n'est pas inscrit dans la loi d'habilitation, ni dans aucune autre d'ailleurs.

On sait votre expertise en matière électorale. Vous avez déjà désigné les candidats qui bénéficieront de votre application particulière des principes inscrits dans la loi et de ceux qui n'y sont pas inscrits. Force est de le constater, tous ces arrangements avec la loi d'habilitation sont permis par la loi elle-même. Celle-ci résorbe des inégalités mais en crée d'autres qui ne sont pas moins insupportables pour l'égalité de représentation des citoyens au Parlement.

Michel Vaxès l'avait dit en séance : « Nous nous sommes opposés à une telle loi d'habilitation par ordonnance dans ce domaine, comme d'ailleurs dans tous les autres. » Les faits nous donnent raison.

Monsieur le secrétaire d'État, vous n'êtes ni le seul ni le premier responsable. C'est Nicolas Sarkozy qui vous a imposé un chiffre – 577, quels que soient l'accroissement de la population et la diversité des lieux d'habitation – et un mandat : lui assurer la majorité.

La logique aurait voulu que, avec presque 8 millions de Français de plus qu'en 1986, il y ait davantage de députés pour les représenter. Mais augmenter le nombre de circonscriptions n'aurait pas servi les intérêts de votre majorité, nous l'avons bien compris. Vous allez cependant très loin dans la représentation des Français de l'étranger – nouveauté institutionnelle de la réforme constitutionnelle de 2008. Accorder onze circonscriptions sur les 577, c'est tout simplement scandaleux. Si ces personnes ont le droit légitime de s'exprimer lors des élections, elles devaient continuer à le faire en votant dans leur circonscription d'origine. D'ailleurs, vous aimez à rappeler que c'est le Sénat, et non l'Assemblée nationale, qui représente les territoires.

Cette mesure aurait été juste. Pourquoi inventer des circonscriptions qui ne serviront à rien alors qu'il existe un réel besoin sur notre territoire de davantage de députés – même si nous en contestons toujours le mode d'élection ? Et, pour ce qui est de la répartition des sièges, vous n'avez pas de souci à vous faire : ils sont quasiment réservés à votre majorité.

« Ce n'est pas que l'on ne veuille pas, me répondrez-vous, c'est que l'Assemblée manque de fauteuils pour accueillir davantage d'élus. » Soit. C'est un argument qui, je l'espère, ne convaincra personne. Quand on veut, on peut décider de quelques aménagements. À bonne volonté, rien d'impossible !

Ainsi, dans sa forme comme dans son fond, une loi d'habilitation visant à laisser les mains libres à l'exécutif, en l'occurrence le Président de la République, contre le législatif a conduit à votre charcutage. Bien sûr, vous êtes un habile charcutier, monsieur le ministre, mais le produit de votre travail reste un charcutage. Ce n'est certes pas le premier : en 1986, M. Pasqua avait fort bien découpé les circonscriptions, puisque son charcutage avait été incontestablement davantage favorable à la droite qu'à la gauche.

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