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Intervention de Nicolas Perruchot

Réunion du 7 octobre 2009 à 15h00
Ouverture à la concurrence des jeux d'argent en ligne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNicolas Perruchot :

En effet, le marché des jeux en ligne existe ; nous sommes nombreux, ici, à en être convaincus. On estime qu'il pourrait peser entre 300 et 350 millions d'euros de chiffre d'affaires au moment de son ouverture, dont 100 à 150 millions pour les nouveaux entrants. Or il est impensable, a fortiori en période de crise, de renoncer aux nouvelles perspectives qui pourraient être ainsi offertes à l'économie de notre pays. Je pense notamment, bien sûr, aux bénéfices fiscaux qui découleront de cette ouverture et dont on ne peut négliger l'importance quand on sait l'ampleur des déficits de l'État.

La deuxième raison tient au fait que la France est confrontée, depuis quelques années, à une très importante offre illégale de jeux d'argent et de hasard sur internet. On dénombre ainsi à peu près 25 000 sites illégaux de jeux, dont un quart environ est en langue française. Cette situation n'est évidemment plus admissible. J'ai bien conscience de la difficulté qui est celle du législateur lorsqu'il s'agit de réglementer un espace, l'internet, qui est par définition déterritorialisé. En témoigne la loi HADOPI, dont on se souvient qu'elle a fait l'objet de nombreuses critiques, notamment de ce côté-ci de l'hémicycle. Pourtant, on s'aperçoit aujourd'hui que d'autres pays européens ont adopté la même démarche que la France dans ce domaine. Sans doute s'inspireront-ils également de ce texte pour légaliser ces dispositifs.

La troisième raison, c'est l'absolue nécessité de responsabiliser les futurs acteurs du marché. On se trouve là au coeur même du principe de l'ouverture maîtrisée de ce marché : la responsabilisation des parties prenantes me paraît être l'indispensable corollaire de la régulation de ce domaine d'activité.

Il y a enfin une question essentielle, qui, j'en suis sûr, animera nos débats, celle de la conformité des dispositions dont nous allons débattre avec le droit européen. À ce stade, je souhaiterais rappeler deux points.

Le premier concerne l'avis circonstancié rendu par la Commission européenne, qui, en juin dernier, a notamment critiqué trois points clés du texte préparé par le Gouvernement. Nous en avons largement tenu compte lors de nos débats en commission, mais nous devons garder ces remarques à l'esprit lors de notre discussion. Je les rappelle rapidement.

S'agissant, premièrement, du système d'autorisation des nouveaux opérateurs, la Commission a demandé que soient pris en considération les opérateurs disposant déjà d'agréments dans d'autres États membres.

Deuxièmement, Bruxelles a jugé disproportionnée la disposition française obligeant les opérateurs à avoir un représentant fiscal en France, afin de les limiter dans leur taux de retour aux joueurs, ceci pour compenser une fiscalité élevée.

Troisièmement, l'obligation d'obtenir le consentement des fédérations sportives pour proposer des paris sur les événements qu'elles organisent entraînerait, selon la Commission, la reconnaissance d'un droit de propriété sur les événements sportifs. On pourrait assister alors à l'élargissement du modèle des droits de retransmission télévisée du football à l'ensemble du monde sportif.

Le second point que je souhaite évoquer concerne l'arrêt rendu le 9 septembre dernier par la Cour de justice européenne dans l'affaire opposant la loterie nationale du Portugal, Santa Casa, au site internet Bwin, arrêt dans lequel elle a reconnu à un État le droit d'interdire son territoire aux sites internet de jeux d'argent. La Cour a en effet estimé qu'une telle interdiction pouvait être « justifiée par l'objectif de lutter contre la fraude et la criminalité ». Ce jugement, qui pourrait faire jurisprudence, doit nous inciter à être particulièrement attentifs aux « risques élevés de délits et de fraudes » évoqués par la Cour, et non réveiller certaines velléités de préserver une situation trop longtemps monopolistique.

J'en viens maintenant aux principaux amendements que le groupe Nouveau Centre compte défendre. Je prendrai ici trois exemples, qui concernent respectivement la responsabilisation des futures parties prenantes, la lutte contre la fraude et l'établissement d'une concurrence loyale entre les opérateurs.

La première mesure a trait à la responsabilisation des futures parties prenantes du marché, ainsi qu'à la lutte contre la fraude qui lui est afférente. Il s'agit de la réécriture de l'article 52, qui, dans sa rédaction actuelle, pose un problème de droit à l'information et pourrait comporter un risque d'inconstitutionnalité. Cet élément ne pourra pas être ignoré lors de la discussion de cet article. En effet, les informations telles que mentionnées à l'article 52 du présent projet de loi me semblent relever du domaine public et non des propriétaires des droits d'exploitation, comme il en est fait mention dans le texte actuel. À dire vrai, l'obligation de consentement des fédérations sportives pour proposer des paris sur les événements qu'elles organisent entraînerait vraisemblablement la reconnaissance d'un droit de propriété sur ces événements.

Aussi suggérons-nous de remplacer l'article 52 du projet de loi tel que modifié par la commission des finances par un ensemble de dispositions relatives à la lutte contre la fraude et la tricherie dans le cadre de manifestations sportives. En effet, l'article tel qu'il est rédigé aujourd'hui ne permet pas, selon nous, d'assurer une sécurisation des jeux et des manifestations sportives. Indépendamment de l'obligation pesant sur les opérateurs d'informer les autorités compétentes d'une fraude, il est souhaitable d'encourager des partenariats avec les organisateurs d'événements sportifs pour combattre plus efficacement la tricherie dans le monde du sport.

Cet élément me permet d'en venir à la question de la lutte contre toute forme d'illégalité sur ce nouveau marché, en particulier contre une forme de distorsion de concurrence qui, si le texte était maintenu en l'état, pourrait voir le jour. Je pense à la question du taux de retour aux joueurs, le TRJ. Le II de l'article 8 prévoit qu'un décret fixera « la proportion maximale des mises reversées en moyenne aux joueurs par catégorie de paris ». Cette disposition vise notamment à limiter les pratiques de vente à perte ou de prix anormalement bas, afin de garantir une concurrence loyale entre les opérateurs.

Or, telle qu'elle est rédigée, cette disposition est aisément contournable, puisqu'elle est limitée à la proportion des mises reversées et non à celle des sommes versées aux joueurs. On sait que, dans la pratique, les opérateurs abondent les comptes de ces derniers au travers notamment d'offres promotionnelles, de bonus, de participations gratuites à des paris, d'abondements de mises ou de gains – en ce domaine, l'imagination n'a pas de limites. De tels abondements impactent, de fait, le taux effectif de retour aux joueurs. Ne pas tenir compte de ces versements dans le calcul du TRJ revient donc à vider de son sens un élément clé de l'ouverture maîtrisée : le plafonnement du taux de retour au joueur. Aussi nous semble-t-il indispensable d'inclure ces abondements dans le calcul de ce dernier pour que le cadre législatif soit en phase avec les réalités du marché.

Enfin, et je conclurai sur ce point, nous tenons à défendre le principe d'une interdiction de fait des pratiques dites de spread betting et de betting exchange. Nous pensons en effet que ce type de pratiques est incompatible avec le principe clairement défini par le projet de loi d'une ouverture « maîtrisée » du marché en question, d'autant plus qu'elles impactent, elles aussi, le taux de retour effectif aux joueurs.

L'autorisation du betting exchange, par exemple, nous semble introduite dans le texte actuel par la possibilité donnée à un opérateur de proposer au public une cote correspondant à une évaluation des résultats qui n'est pas la sienne, mais celle d'un joueur. Cette pratique transforme donc les joueurs en bookmakers, puisque ce sont eux qui fixent la cote et proposent les paris ; l'opérateur agréé et contrôlé par l'ARJEL ne sera donc pas le « joueur-bookmaker », mais un intermédiaire se contentant de relayer une offre de cote fixée par un autre. Dès lors, les gains étant versés par les joueurs, comment s'appréciera le TRJ et comment s'appliquera son plafonnement ? Comment une commission de 2 % à 5 % au profit de l'intermédiaire opérateur suffira-t-elle à maintenir le TRJ sous le plafond qui doit être défini entre 80 et 85 % selon le Gouvernement ? L'opérateur devra-t-il ponctionner ces gains pour faire respecter le plafonnement du TRJ, ces ponctions devront-elles fluctuer, le joueur en sera-t-il informé ? Autant de questions qui restent aujourd'hui sans réponse et qui nous imposent d'interdire clairement le principe de cette pratique.

Enfin, je conclurai en disant ceci : le projet de loi aujourd'hui présenté à périmètre restreint n'est, vraisemblablement, qu'une première étape en vue d'une ouverture globale du marché des jeux en ligne. Je souhaite donc que nous gardions à l'esprit, durant les débats qui vont nous animer dans les prochains jours, la nécessité de l'établissement d'une régulation forte pour prévenir les risques sous-jacents à l'ouverture de ce marché, mais assez souple pour favoriser les conditions d'émergence de son potentiel économique.

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