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Intervention de André Chassaigne

Réunion du 22 septembre 2009 à 9h30
Parcs et ateliers — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Ce texte est important, plus encore qu'il n'en peut laisser paraître même s'il concerne, – ne concerne, pourrait-on dire – que 5000 ouvriers d'État remplissant leur mission dans les parcs et ateliers de l'équipement.

En préambule aux amendements que je défendrai dans le cadre de l'examen des articles, j'orienterai mon intervention autour de trois questions à mes yeux déterminantes ; elles devraient éclairer nos échanges et nos décisions.

Premièrement, cette loi permettra-t-elle de répondre correctement aux missions de service public assumées par les services et agents concernés, un outil industriel reconnu et apprécié qu'il s'agir de transférer aux départements ? Cette question est essentielle, pour ne pas dire prioritaire. Elle est le fondement d'un service public.

Deuxièmement, assurera-t-elle aux personnels concernés des garanties de même niveau que celles accordées aux différentes catégories de personnels déjà transférées en application des précédentes lois de décentralisation, en particulier celle de 2004 organisant le transfert de compétences de l'État vers les départements ? Cette question est d'autant plus fondamentale qu'elle porte une valeur forte de notre République : l'égalité et l'absence de discriminations.

Troisièmement, quelles en seront les conséquences pour la vie des personnels concernés ? Quels pourraient être ses effets pour ces hommes et ces femmes appelés à subir une rupture forte dans leur existence et leurs conditions de travail, qu'il s'agisse de leur revenu, de leur évolution de carrière ou du montant de leur retraite ? Ne considérons pas trop hâtivement que le drame des salariés de France Télécom se limite à cette seule entreprise : un document récemment rendu public sur l'augmentation des suicides au ministère de l'équipement est à cet égard édifiant…

La réponse à ces trois questions est fortement liée au parcours de ce texte. Alors que le projet de loi avait été longuement travaillé, je dirais même ciselé, en amont, en concertation avec les différents partenaires sociaux, il a été profondément bouleversé au Sénat sur l'aspect statutaire des personnels.

La décision prise par le Sénat d'abandonner le projet de créer un cadre statutaire commun État-collectivités tel qu'il était initialement prévu et de le remplacer par une mise à disposition sans limitation de durée, avec un droit d'option dans un cadre d'emploi existant, ne manquera pas de poser des problèmes pour que les OPA qui feront ce choix préservent leurs acquis.

Certes, chacun en convient, la double autorité de l'État et de la collectivité sur les emplois ne devrait pas perdurer ; encore faut-il que les conditions d'intégration ne joue pas en défaveur des OPA, qu'il s'agisse des évolutions de carrière, du maintien des rémunérations ou des retraites, d'où les amendements que nous avons déposés pour améliorer le texte. Mais l'affaire s'annonce mal : aucune nouvelle concertation n'a été engagée avec les partenaires sociaux malgré de multiples relances. Vous avez construit une maison ensemble, vous en avez complètement modifié l'architecture sans rediscuter ensuite du résultat final. Les amendements que nous avons déposés ont subi le couperet de l'article 40.

À ma première question sur le maintien d'un outil performant susceptible de répondre aux tâches assurées par les parcs et ateliers, la réponse est négative si le texte reste en l'état.

Un transfert à géométrie variable déstructurera le matériel et l'immobilier et cassera l'efficacité des équipes en place. Il limitera les moyens d'action, ce qui ne sera pas sans conséquences – on connaît les effets des cessions d'activité au privé, notamment en termes de régulation des prix. Au final, les possibilités de concours apporté aux communes et aux intercommunalités se réduiront, voire disparaîtront. Et la situation ne pourra que s'aggraver si de nombreux OPA, compte tenu des conditions d'intégration, refusent d'opter pour la mise à disposition puis pour le statut de fonctionnaire territorial.

Une belle cacophonie se prépare avec la véritable usine à gaz que vous vous apprêtez à créer. À moins que l'on cherche à cela n'aboutisse, dans certains départements, à créer des coquilles vides, par carence de personnels acceptant la mise à disposition.

À ma deuxième question, sur les garanties apportées au personnel, la réponse est tout aussi négative. Les OPA perdent dans trop de domaines : le projet de loi est bien éloigné de l'esprit qui a animé les précédents transferts, à savoir une intégration sans perte de salaire ni effets d'aubaine.

La distorsion de traitement est flagrante – j'irais jusqu'à parler de discrimination, liée certes à des statuts qui ne sont pas homologues mais dont on ne saurait négliger conséquences, s'agissant plus particulièrement du traitement indiciaire de l'intégration dans la fonction publique territoriale et la nature du cadre d'emploi. Ce qui, dans les faits, se traduira pas des blocages des déroulements de carrière, avec toutes les conséquences que l'on sait sur les salaires et les retraites.

Ce phénomène ne s'était pas fait sentir lors des précédents transferts de l'État vers les collectivités, puisqu'il s'agissait de fonctionnaires. Or celui des OPA est différent : c'est la première fois que des ouvriers d'État seront intégrés en tant que fonctionnaires. Dans ces conditions, quel OPA acceptera de subir la triple peine, en termes de déroulement de carrière, moins favorable lors d'une intégration en haut d'une grille dite « cul de sac », en termes de maintien de la rémunération, en termes enfin de retraite, puisque l'option proposée de double retraite sera celle qui aura l'impact le plus négatif sur le niveau de la future pension ?

Quant à ma troisième question, sur les conséquences sur le personnel, chacun a conscience de la gravité des décisions que nous allons prendre pour l'avenir des familles des 5000 OPA.

Les échanges que j'ai eus avec les ouvriers des parcs et ateliers et parfois même leurs familles, puisqu'un parc de l'équipement avoisine la commune dont je suis maire, m'ont permis de constater à quel point l'angoisse du lendemain était forte. Rupture d'une carrière, dégradation d'un itinéraire professionnel, manque de reconnaissance, problème des titres et diplômes, menace de mobilité liée à la loi adoptée cet été pour ceux qui resteront au service de l'État et passeraient par exemple au service des directions interdépartementales des routes : autant d'ingrédients d'une bombe à retardement qui n'est pas sans rappeler le drame des salariés de France Télécom. Un document rendu public récemment alerte déjà sur l'augmentation du nombre de tentatives de suicides chez les agents de l'équipement et de l'environnement – de 150 à 250 par an. Quant au nombre de décès par suicide – entre 15 et 25 par an –, il est bien supérieur à la moyenne française. Or les « causes précipitantes reconnues », pour reprendre les termes du document ministériel, sont justement celles que je viens de mettre en évidence : rupture de carrière, dégradation d'itinéraire professionnel, manque de reconnaissance, risque de mobilité géographique.

Vous en serez persuadé, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, que ce texte appelle nombre de modifications. Plus que jamais aujourd'hui, pour reprendre la célèbre expression de Portalis, il faut légiférer d'une main tremblante.

Le bon sens l'emportera-t-il pour que ce projet de loi soit efficace, utile au service public, respectueux des agents concernés, facile à mettre en oeuvre ? Au final, aurons-nous une bonne loi que nous pourrons voter ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe SRC.)

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