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Intervention de Frédéric Péchenard

Réunion du 13 mai 2009 à 9h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Frédéric Péchenard, directeur général de la police nationale :

Le rapprochement entre la police et de la gendarmerie, qui a commencé bien avant le rattachement de cette dernière au ministre de l'intérieur, ne remet nullement en cause la coexistence des deux forces.

Bien que les médias et certains syndicats de police parlent parfois de fusion en évoquant la réforme en cours, il me faut rappeler que telle n'est pas la volonté du Président de la République ni celle du Gouvernement. Lors du discours qu'il a prononcé le 29 novembre, à La Défense, devant les préfets, les policiers et les gendarmes, le Président de la République a été très explicite : « Je veux vous dire clairement, pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, et honnêtement, le principe de l'existence de deux forces de sécurité dans notre pays, l'une à statut militaire, l'autre à statut civil, est et sera maintenu. ».

Ce statut a plusieurs justifications ; outre le fait qu'il est le fruit d'une longue tradition historique, il est lié à des modalités particulières d'exercice du métier, en particulier l'absence de droits syndicaux, la résidence en caserne et l'obligation de disponibilité qui en est indissociable. Il est également considéré par certains, mais c'est discutable, comme une garantie au regard des libertés publiques, toute la force publique n'étant pas placée entre les mains d'un seul service. Enfin, il faut souligner que la gendarmerie est aussi une force de défense, non seulement sur le territoire national mais aussi dans le cadre des opérations extérieures (OPEX).

La véritable justification « philosophique » du statut militaire réside évidemment dans ce dernier point : c'est parce que la gendarmerie occupe une place particulière dans le dispositif de sécurité intérieure et extérieure de la France que son statut doit être original. Sa nature mixte, mi-civile, mi-militaire, en fait une force particulièrement adaptée aux situations intermédiaires que sont les crises aiguës entre état de guerre et paix civile, comme en Nouvelle-Calédonie dans les années 1980, au Kosovo dans les années 1990 ou bientôt en Afghanistan. Cette dimension particulière a été reconnue par la loi d'orientation pour la sécurité intérieure du 29 août 2002 qui relève que « cette spécificité permet à la gendarmerie nationale de constituer, au sein des forces de sécurité intérieure, un élément de continuité de l'action de l'État avec le domaine de la défense. ».

À l'inverse, si les missions de la gendarmerie étaient exactement identiques à celles de la police, la coexistence de deux forces à statuts différents n'aurait plus de réelle justification.

Pour autant aucun obstacle juridique ne s'oppose à ce qu'une force à statut militaire exerce des missions civiles. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, en particulier, n'a jamais exigé l'abandon du statut militaire.

Les choses sont donc claires : la fusion entre les deux grandes forces de sécurité intérieure française n'est pas un objectif et ne peut pas l'être. Ce principe étant rappelé, il est tout aussi important de bien identifier les enjeux du statut militaire de la gendarmerie. Il convient d'abord d'expliquer ce que le statut militaire de la gendarmerie n'est pas.

Les travaux du Sénat concernant la gendarmerie ont fait apparaître des interrogations parfois surprenantes montrant que les véritables enjeux du statut militaire ne sont pas parfaitement clairs pour tout le monde. Lors de la discussion parlementaire, on a pu entendre un sénateur déclarer que la disposition plaçant les responsables locaux de la gendarmerie sous l'autorité directe des préfets constituait une « nouvelle atteinte à l'équilibre des pouvoirs » et que « l'autorité pleine et entière sur les unités de gendarmerie confiée aux préfets » était « de nature à renforcer le déséquilibre entre les deux forces de sécurité intérieure et à porter atteinte au statut militaire ». Dans le rapport de la commission des lois du Sénat, on peut lire par ailleurs que la direction générale de la gendarmerie nationale « sera une structure autonome au sein du ministère de l'intérieur ».

Il est nécessaire de dissiper le malentendu que reflètent de tels propos : l'identité militaire de la gendarmerie ne repose nullement sur une quelconque autonomie à l'égard de l'autorité civile. L'idée même que cette autonomie puisse exister ou qu'on en fasse une composante de « l'équilibre des pouvoirs » est assez choquante : comme la police nationale et comme tout service public civil ou militaire, la gendarmerie est soumise à l'autorité légitime. Dans un État républicain, il serait inacceptable que l'autorité militaire ne soit pas entièrement responsable devant l'autorité civile. C'est pourquoi, en vertu de l'article 20 de la Constitution, le Gouvernement « dispose de l'administration et de la force armée ».

Cette soumission à l'autorité civile met-elle à mal le statut militaire ? Bien sûr que non ! Personne ne songe d'ailleurs à revendiquer pour les armées une quelconque autonomie vis-à-vis du ministre de la défense qui est pourtant une autorité civile. De surcroît, certaines forces armées sont déjà rattachées à d'autres autorités civiles que le ministre de la défense. L'article 2 du décret du 28 novembre 2000 relatif aux missions et à l'organisation de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris dispose, par exemple, qu'elle « est placée, pour emploi, sous l'autorité du préfet de police ». Ce rattachement n'a jamais empêché les sapeurs-pompiers de Paris de conserver leur spécificité militaire à laquelle ils sont très attachés et ils n'ont jamais vu dans l'autorité du préfet de police comme une menace pour leur statut. De même, les unités d'instruction et d'intervention de la sécurité civile sont des forces militaires placées sous l'autorité du ministre de l'intérieur.

En définitive, il n'y a aucune raison de penser que la gendarmerie doive être plus autonome que d'autres services à l'égard du ministre de l'intérieur et des préfets. Ceux-ci ne doivent certes pas s'immiscer dans la gestion quotidienne des services, mais cela vaut aussi bien pour la police que pour la gendarmerie.

Par ailleurs, le statut militaire n'est pas contradictoire avec les efforts de rapprochement et avec la construction d'un dispositif de sécurité intérieure cohérent. La cohérence d'ensemble de notre politique de sécurité intérieure, organisée autour du ministre de l'intérieur et des préfets, n'a cessé d'être réaffirmée ces dernières années : à l'échelon territorial, les pouvoirs des préfets ont été consacrés par la loi, qui place explicitement les services de police et de gendarmerie sous leur autorité ; à l'échelon central, la gendarmerie a été placée sous l'autorité du ministre de l'intérieur en 2002 et la réforme en cours doit permettre un rattachement organique à partir de cette année.

De manière générale, tous les efforts menés depuis quelques années dans le domaine de l'organisation de la sécurité intérieure, qu'ils concernent la police, la gendarmerie ou les deux, ont consisté à renforcer la cohérence de l'ensemble du dispositif. La création de la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) l'année dernière poursuivait cet objectif, puisqu'il s'agissait de construire un service unique du renseignement intérieur en France. Fidèles à cette logique, les directions générales de la police nationale et de la gendarmerie nationale mettent en oeuvre une politique de rapprochement qui s'est déjà traduite par de nombreuses initiatives.

J'en retiendrai quelques exemples. En matière d'équipement et de logistique, un conseil commun à la police et à la gendarmerie a été créé dès 1996 pour formuler des propositions en matière de coordination des recherches sur les équipements et les matériels de la police.

Dans le même esprit, la coopération entre les deux forces s'est considérablement renforcée en matière de logistique, par exemple pour les réparations de véhicules ou l'achat du pistolet Sig Sauer.

Le réseau des attachés de sécurité intérieure, désormais unique, comprend des policiers et des gendarmes.

Des passerelles entre les carrières de fonctionnaire de police et de militaire de la gendarmerie sont actuellement à l'étude.

Cette coopération accrue se manifeste également dans l'exercice des missions opérationnelles.

En matière de maintien de l'ordre, une unité unique de coordination des forces mobiles, placée au sein de mon cabinet, gère depuis 2002 la répartition des forces mobiles de police et de gendarmerie.

Depuis 2002 également, les groupements d'intervention régionaux, commandés soit par un policier soit par un gendarme, permettent aux services de police et de gendarmerie de travailler ensemble.

La mutualisation des fichiers de police, inscrite dans la loi d'orientation du 29 août 2002, se traduira dans les prochains mois par la mise en service d'ARIANE, qui se substituera aux fichiers STIC (Système de traitement des infractions constatées) de la police et JUDEX (Système judiciaire de documentation et d'exploitation) de la gendarmerie.

Dans le domaine des transports aériens, un protocole permet depuis 2007 à la police de bénéficier des hélicoptères et des équipages de la gendarmerie. Cette coopération ne cesse de prendre de l'ampleur : elle s'était traduite par 105 heures de vol en 2007, pour passer à près de 830 heures en 2008 et devrait sans doute atteindre 1 300 heures en 2009.

En matière de police judiciaire, le ministre de l'intérieur a annoncé très récemment la création d'équipes communes d'enquête entre la police et la gendarmerie.

Ces efforts ne pourront qu'être accentués dans les années à venir. Ils ne représentent pas seulement un moyen d'économiser des crédits, ce qui serait déjà un objectif très suffisant ; ils sont le gage d'une meilleure cohésion de notre dispositif de sécurité intérieure, à l'échelon central comme à l'échelon territorial.

Alors que les efforts de rapprochement ont été constants ces dernières années, sans que personne y voie une menace contre le statut militaire de la gendarmerie, il serait étrange que, au moment même où la gendarmerie passe sous l'autorité complète du ministre de l'intérieur, le mot d'ordre devienne celui de l'autonomie. L'autonomie est un faux problème ou du moins un problème qui n'a aucune espèce de lien avec le statut civil ou militaire d'un service.

Les véritables enjeux du statut militaire de la gendarmerie résident dans la complémentarité entre les deux grandes forces de sécurité intérieure.

Même si, dans leurs activités quotidiennes, exception faite des forces spécialisées que sont la gendarmerie maritime ou la gendarmerie de l'air, la gendarmerie et la police exercent des missions presque identiques, elles n'ont pas tout à fait la même raison d'être. Comme l'a affirmé la loi d'orientation du 29 août 2002, le caractère spécifique des missions de la gendarmerie confère sa légitimité à son statut militaire. Le Président de la République l'a d'ailleurs rappelé le 29 novembre 2007 en indiquant que « c'est bien cette dimension “défense” de la gendarmerie qui exige de lui conserver le caractère militaire de son statut. »

C'est dire de la manière la plus claire que la spécificité militaire de la gendarmerie ne repose pas sur l'existence d'une organisation territoriale et hiérarchique propre, toutes les administrations centrales et territoriales de l'État sont dans le même cas, mais sur quelque chose de beaucoup plus intéressant et beaucoup plus fécond : la gendarmerie n'est pas une deuxième police nationale mais une force sui generis dotée de missions spécifiques.

Le corollaire paraît aller de soi : l'avenir de la gendarmerie n'est pas dans la duplication de ce que fait la police mais dans la complémentarité des deux forces. Pour qu'elles puissent durablement subsister, elles doivent démontrer qu'elles sont toutes deux utiles, chacune à sa manière. Pourquoi conserver deux forces si l'une et l'autre accomplissent les mêmes missions ? Pourquoi conserver le statut militaire s'il est la seule spécificité d'une force devenue sur tous les autres points identique à l'autre ?

Quelle grave erreur de croire que les efforts de rapprochement et de mutualisation accomplis depuis plusieurs années, consacrés par le projet de loi sur la gendarmerie, menacent la spécificité de la gendarmerie ! C'est même tout le contraire : c'est parce que les deux forces auront su supprimer les doublons tout en développant leurs complémentarités opérationnelles qu'elles seront toutes les deux conservées. Pour qu'une organisation soit conservée, il faut qu'elle fonctionne ; or, elle ne fonctionnera pas si les deux forces ne savent pas travailler ensemble et ne s'inscrivent pas dans une politique de sécurité intérieure cohérente, à l'échelon local comme à l'échelon national.

Ces deux thèmes de la complémentarité opérationnelle des deux forces et de la cohérence de la politique de sécurité intérieure devraient alimenter les réflexions actuelles, bien plus que les spéculations sur l'affaiblissement de la spécificité militaire. Cette dernière ne doit pas être considérée comme une fin ; que sa justification opérationnelle disparaisse et elle disparaîtra elle aussi.

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