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Intervention de Thomas Clay

Réunion du 10 septembre 2008 à 9h30
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Thomas Clay :

Le montant des frais alloués aux arbitres – 100 000 euros en tout– est également inhabituel ; il suppose en général un litige international qui implique des déplacements.

Enfin, la confidentialité de l'arbitrage a été violée, la sentence prononcée étant publiée sur le site Internet d'un hebdomadaire. Ce n'est pas la pratique habituelle en matière d'arbitrage, tant s'en faut.

J'en viens aux possibilités de recours.

L'arbitrage fonctionne en principe sans recours, sauf si les parties ont décidé de faire appel, ce qui est assez rare, si bien que le fait que les parties n'aient pas fait appel en l'espèce n'est pas étonnant. Cependant, le code de procédure civile laisse la possibilité de faire des recours dans les cas les plus graves, si graves qu'il est interdit de renoncer à cette possibilité par anticipation. Cette sécurité est conçue pour protéger l'ordre juridique et les parties de dysfonctionnements éventuels, très rares mais toujours possibles. Le système des recours est organisé différemment selon qu'il s'agit d'un arbitrage interne ou d'un arbitrage international. Qu'en est-il en l'espèce ? Très probablement, on est devant un arbitrage interne, même si une partie du différend porte sur l'acquisition de parts sociales de sociétés immatriculées à l'étranger. La sentence s'étant elle-même rangée sous l'application des articles du code de procédure civile relatifs à l'arbitrage interne, on peut s'en tenir là. En tout état de cause, s'il s'était agi d'un arbitrage international, aucun recours ne serait plus possible à ce jour.

En présence d'un arbitrage interne, quatre recours existent. Je citerai en premier lieu l'appel, auquel les parties ont renoncé. Il y a aussi le recours en annulation ; les parties ne l'ayant pas exercé dans le délai imparti, elles y ont renoncé de fait. Je tiens à ce sujet à apporter une précision à propos du délai. Il faut savoir que le CDR avait jusqu'au 15 août pour prendre la décision qu'il a prise le 28 juillet, car le délai n'est pas de dix jours après la reddition de la sentence, comme on a pu le croire, mais d'un mois après la signification de la sentence qui a obtenu l'exequatur. J'observe à ce sujet que la sentence, rendue le 7 juillet, a obtenu l'exequatur le 12 juillet, ce qui constitue un délai record, considérant en outre que le 12 juillet était un samedi. Elle a été signifiée au CDR le 15 juillet, premier jour ouvrable après le 14 juillet. La raison pour laquelle, dans une affaire de cette importance, la décision a été prise dès le 28 juillet est pour moi mystérieuse. Il y a là une certaine précipitation.

Le ministère des finances avait sollicité l'avis de quatre juristes sur l'opportunité d'un recours. Outre qu'ils ont dû travailler dans l'urgence, aucun n'était un spécialiste de l'arbitrage, alors même que la place de Paris n'en manque pas. Pourquoi donc ? On peut se le demander. Malgré cela, deux des experts consultés, en particulier mon collègue Nicolas Molfessis, avaient estimé que le recours en annulation méritait d'être tenté, jugeant que certains moyens de droit permettaient de le fonder – et il est surprenant de ne pas tenter un recours en annulation quand on est condamné à verser une somme aussi élevée. La volonté d'en finir devait-elle s'imposer à n'importe quel prix ?

De fait, quatre moyens sont possibles, que j'examinerai successivement. Certains ont prétendu que le principe de la contradiction aurait été violé au motif que M. Tapie avait été entendu par les arbitres et non M. Peyrelevade. À mon avis, ce moyen doit être écarté car il ne s'agit pas d'un litige entre les deux hommes ; parce que M. Peyrelevade est un témoin et que le contradictoire ne s'applique pas pour les témoins ; parce qu'il suffisait au CDR de solliciter l'audition de M. Peyrelevade, ce qu'il n'a manifestement pas fait. Il ne peut donc arguer de sa propre impéritie pour fonder un recours.

S'agissant du défaut d'indépendance supposé de certains arbitres, M. de Courson a exposé que le Professeur Jean-Denis Bredin « n'était pas à l'abri d'une contestation de son indépendance ». Or, le Professeur Bredin est un spécialiste internationalement reconnu de l'arbitrage et la pratique qu'il en a le met à l'abri de tout soupçon. De plus, il n'a jamais caché ce qui pourrait lui être reproché, c'est-à-dire d'avoir eu des fonctions politiques dans le passé. L'absence d'indépendance postulant la dissimulation, j'écarte également ce moyen.

S'agissant de la violation de l'autorité de la chose jugée, M. de Courson considère qu'il s'agit du cas le plus sérieux. Je ne partage pas cet avis, mais j'admets que la question est, de toutes, la plus délicate. La jurisprudence de la cour d'appel de Paris qui a eu à statuer sur le grief de violation de sa mission par l'arbitre n'a annulé les sentences que pour des violations flagrantes et considérables et je ne pense pas que l'on entre dans ce cas. Par ailleurs, le recours en annulation ne permet pas d'évaluer le bien-jugé ou le mal-jugé d'une sentence arbitrale ; s'il en était ainsi, il s'agirait d'un appel, que les parties ont choisi de ne pas former. J'écarte donc ce moyen aussi.

Le quatrième moyen me semble plus intéressant. Il s'agit de la capacité de compromettre du CDR et, par là, de la validité de la convention d'arbitrage. La question est très délicate, et M. de Courson a dressé un inventaire minutieux de l'état du droit en la matière. Il faudrait mener une investigation sur la nature précise des relations entre l'EPFR et le CDR. En effet, le principe est que les collectivités publiques ne peuvent pas compromettre. Pour autant, il existe de nombreuses exceptions à ce principe : si l'on est en matière internationale, comme je l'ai dit ; si le compromis conclut un contrat de partenariat au sens de l'ordonnance du 17 juin 2004 ; si une loi le prévoit expressément ; si un décret le prévoit pour les EPIC, ce qui, depuis 1972, n'a eu lieu qu'une fois.

En février 2007, le Parlement a voté le principe d'une extension très large du recours à l'arbitrage pour toutes les personnes morales de droit public mais cette réforme, parce qu'elle figurait dans la loi sur la protection juridique des majeurs, a été invalidée par le Conseil constitutionnel le 1er mars 2007 comme étant un cavalier législatif ; il est piquant de se souvenir qui présidait le Conseil constitutionnel à l'époque… Il en résulte que le principe demeure la prohibition mais que ce principe supporte de nombreuses exceptions. Le cas d'espèce entre-t-il dans l'une de ces exceptions ? Avant de répondre, on doit se souvenir que la question avait déjà été posée sous le gouvernement Jospin, dans la même affaire, et que la réponse apportée par les spécialistes alors consultés fut négative.

La loi du 28 novembre 1995 créant l'EPFR énonce qu'il s'agit d'un « établissement public administratif national » doté de l'autonomie financière et placé sous la tutelle du ministre chargé de l'économie. Comme il s'agit d'un EPA et non d'un EPIC, le recours à l'arbitrage ne lui est possible que s'il est autorisé par la loi, et la loi de 1995 ne le prévoit pas. Le CDR, qui est une émanation de l'EPFR, a-t-il la capacité de compromettre alors qu'il tient son pouvoir et son existence d'un organisme qui n'a pas cette capacité ? Selon moi la réponse est négative, à la fois parce que le CDR n'a pas d'autonomie et parce qu'un principe général du droit veut que l'on ne puisse transmettre plus de droits qu'on n'en a soi-même. Je conclurai donc sur ce point que, sans doute, le CDR n'avait pas la capacité de compromettre, sous réserve d'une plus ample analyse de l'articulation juridique entre l'EPFR et le CDR. La question, complexe et inédite, méritait d'être posée à la juridiction de contrôle et un recours en annulation aurait pu, à mes yeux, prospérer sur le fondement de l'article 1484 du code de procédure civile.

La tierce opposition constitue une autre possibilité de recours contre une sentence arbitrale. Elle est évoquée dans l'article 1481 du code de procédure pénale. La procédure ne se distingue pas de la tierce opposition contre les décisions judiciaires : il faut que le tiers n'ait été ni partie ni représenté à l'instance arbitrale ; il doit être intéressé par la décision ; l'action peut être intentée pendant trente ans ; si la tierce opposition aboutit, la décision est déclarée inopposable au tiers.

En l'espèce, une association de contribuables pourrait-elle agir ? A priori, rien ne l'empêche, car une telle association serait sans doute considérée comme ayant intérêt à agir, mais à la condition que les contribuables n'aient pas été représentés à l'instance – en d'autres termes, que l'État n'ait pas été partie. La question se pose donc à nouveau de savoir qui est engagé par la convention d'arbitrage, du CDR, société commerciale, ou de l'EPFR, établissement public. En effet, soit le CDR a conclu, la convention d'arbitrage est valable et dans ce cas une tierce opposition est possible pour une association de contribuables ; soit c'est l'EPFR qui a conclu et dans ce cas la convention d'arbitrage n'était sans doute pas valable, ce que le recours en annulation aurait peut-être montré, mais alors la tierce opposition n'est plus possible puisque les contribuables ont été représentés à l'instance par le biais de l'EPFR. Pour contrer une tierce opposition, les parties seraient donc dans la situation paradoxale de devoir défendre l'idée que la convention d'arbitrage n'était pas valable ! On notera que, dans un article publié par Le Monde au mois d'août, le conseil de M. Tapie a déclaré qu'il s'agissait d'un litige commercial, ce qui laisserait ouverte la possibilité d'une tierce opposition.

La dernière modalité de recours possible est le recours en révision, exorbitant du droit commun et très exceptionnel. Il est prévu par l'article 1491 du code de procédure pénale, qui le rend possible si un fait nouveau montre que la sentence n'a pas été rendue dans les conditions où l'on croit qu'elle a été rendue. Quatre conditions sont nécessaires : qu'il n'y ait plus de recours ordinaire possible ; que le fait litigieux soit apparu postérieurement à la forclusion du délai de recours en annulation ; qu'il soit intenté uniquement par les parties à l'instance, pendant un délai de deux mois après la découverte du fait nouveau ; que le fait soit grave - fraude, dissimulation d'une pièce décisive, production d'une pièce fausse ou formulation d'une fausse déclaration. J'insiste sur cette possibilité de recours au cas où un fait nouveau apparaîtrait prochainement.

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