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Intervention de Xavier Darcos

Réunion du 28 octobre 2008 à 17h00
Mission d’information sur les questions mémorielles

Xavier Darcos, ministre de l'éducation nationale :

Cette occasion qui m'est donnée de vous rencontrer sur le thème de la transmission de la mémoire, mais aussi sur celui de l'enseignement de l'histoire, car l'un ne va pas sans l'autre, me permettra de rappeler comment s'organise notre réflexion sur l'enseignement de l'histoire à l'école, et comment nous concevons sa place tout au long de la scolarité, dans les programmes et les grilles horaires. Cette mission parlementaire est tout à fait utile car certains débats assez vifs ont eu lieu ces derniers mois au sein même de la communauté éducative, précisément à propos de la manière dont l'histoire devait être enseignée et dont certains événements historiques devaient devenir des moments d'éducation et de réflexion partagée. Je vous parlerai donc de ces deux aspects.

Sur les programmes, je peux être bref, bien que la conception que nous en avons ait un rapport avec la question mémorielle.

S'agissant de l'école primaire, nous avons souhaité que l'histoire y fasse l'objet d'un véritable enseignement et qu'elle soit réinstallée dans une dimension chronologique, permettant à l'enfant de se repérer dans le temps grâce à une bonne connaissance des grandes dates et des personnages de l'histoire. Ce n'est pas là – comme on l'a souvent dit – une manière de revenir au passé : il nous paraît essentiel que, même petits, les enfants se situent dans l'histoire, que leur soit proposés quelques jalons – des personnalités, des figures –, ce qui nous ramène évidemment à la question mémorielle. Évoquer Clovis, Clemenceau, la découverte de l'Amérique par Christophe Colomb, celle du vaccin contre la rage par Pasteur, c'est organiser un système de jalons qui permet à l'élève de se repérer très tôt dans la chronologie. C'est dans ce cadre aussi que les nouveaux programmes à l'école primaire font une place explicite à la question de la traite des Noirs et de l'esclavage, ainsi qu'à l'extermination des Juifs et des Tsiganes par les Nazis, alors qu'à mon arrivée, l'enseignement de la Shoah ne figurait plus, à ma grande surprise, dans les enseignements du CM2.

L'instruction civique et morale s'ajoute à l'histoire et à la géographie, ce qui représente beaucoup de temps. De fait nous ne distinguons pas vraiment les questions civiques et morales des questions historiques dans nos programmes. Lire l'histoire, c'est comprendre le sens des choses, et donc former le citoyen, et c'est évidemment porter un jugement sur ce qui s'est passé. Pas plus que les historiens de tous les temps, nous n'imaginons de séparer morale et histoire. Cet enseignement se prolonge au collège avec 81 heures d'enseignement par an, trois heures par semaine de la sixième à la quatrième et trois heures et demi en classe de troisième. Pour tenir compte des exigences du socle commun des connaissances défini par la loi de 2005, les programmes ont été adaptés et entrent progressivement en vigueur. Ainsi, les nouveaux programmes seront définitivement mis en place à la rentrée 2009.

Au lycée, l'histoire sera évidemment maintenue. J'ai été très étonné – encore que je connaisse bien la capacité de la maison Éducation nationale à produire des rumeurs infondées – d'entendre que je souhaitais supprimer l'histoire au lycée. Non seulement je ne le souhaite pas, mais je continue à penser – par rapport à mon passé personnel, mais aussi à mes missions actuelles – que l'enseignement de l'histoire est central dans la formation, que l'histoire est la maîtresse des sciences. Nous voulons qu'elle retrouve toute sa place dans les enseignements fondamentaux au lycée et n'entendons nullement revenir sur cette évidence.

Fonder les relations entre les citoyens, rendre claires les valeurs de la République qui nous soudent suppose de connaître l'histoire, mais aussi les méthodes historiques, en particulier l'esprit critique, l'examen des sources, de manière à ne pas se laisser prendre par les préjugés, les idées reçues, la force de l'opinion.

Enfin nous affirmons de plus en plus la dimension européenne dans l'enseignement de l'histoire. Cet enseignement est désormais présent dès l'école primaire jusqu'au lycée. Les nouveaux programmes du collège permettent de comprendre la civilisation européenne, par exemple. Je sais que vous avez évoqué avec M. Bronislaw Geremek au mois de juin, peu avant sa brutale disparition, la question de la mémoire collective européenne. Nous encourageons les opérations qui permettent de partager avec nos partenaires européens une conception de l'histoire, d'où l'édition d'un manuel d'histoire franco-allemand pour les classes de lycée – dont Jean-Louis Nembrini, et je tiens à l'en féliciter, est l'un des coauteurs. C'est ainsi qu'en première et en terminale, les Allemands et les Français apprennent l'histoire avec le même livre, y compris sur des périodes dont la lecture commune est difficile, en particulier la Seconde guerre mondiale. Le projet européen se construit aussi très tôt dans nos enseignements.

Cette expérience commune avec les Allemands en intéresse d'ailleurs d'autres, les Tchèques notamment, et certains de mes homologues européens, dans le cadre de la conférence des ministres de l'éducation des Vingt-sept que je préside, ont exprimé leur souhait de la prolonger. Beaucoup d'États d'Europe centrale sont très attachés à reconstituer leurs origines, leur passé, au travers des symboles qui rappellent leur gloire d'antan. Bien évidemment, nous avons intérêt, en commun, à faire en sorte que le retour de l'histoire dans ces pays ne traduise pas seulement une histoire nationale, voire nationaliste, mais qu'elle soit aussi réinscrite dans le contexte européen.

L'école n'est pas seulement un lieu de transmission de l'histoire, elle est aussi un lieu de transmission de la mémoire – c'est l'objet du travail que vous conduisez. De ce point de vue, sa mission est essentielle, surtout dans une société très évolutive comme la nôtre et plus composite qu'elle ne l'était naguère. Il faut que ce qui fait notre mémoire partagée, notre identité commune, si complexe soit-elle s'agissant de grands événements, soit connu ; je pense par exemple aux journées organisées le 2 décembre et le 10 mai en mémoire de la traite des Noirs et de l'esclavage, moments très importants de réflexion et d'échange sur ces questions centrales.

Dans quelques jours, nous commémorerons le 11 Novembre, le quatre-vingt-dixième anniversaire de l'armistice coïncidant avec la disparition du dernier poilu, Lazare Ponticelli. Quand il n'y a plus de témoin, nous nous sentons encore plus de responsabilité. Et lorsque l'histoire s'éloigne, le rôle de l'école devient encore plus nécessaire.

Certains sujets ont fait débat. Je pense à la volonté du Président de la République que soit évoquée la mémoire des jeunes résistants morts pour leurs convictions et leur engagement, à travers la lecture de la lettre de Guy Môquet. Jean-Louis Nembrini et moi-même avons rédigé en commun des textes, édités l'an dernier et cette année, indiquant comment les choses devaient être traitées : cette intuition du Président de la République qu'il y a là quelque chose d'essentiel pour les jeunes d'aujourd'hui doit s'inscrire dans un projet pédagogique, faisant appel à d'autres textes, d'autres témoignages, des exemples de résistance pris dans d'autres pays. Progressivement, nous sommes arrivés à intégrer dans un enseignement global ce qui aurait pu avoir un caractère seulement émotionnel.

Une autre polémique, injuste selon moi, s'est focalisée sur la manière de parler de la Shoah à des enfants de dix ans. A juste titre, le Président a pensé qu'on ne pouvait passer que par la mémoire des enfants disparus, comme le font le cinéma et la plupart des témoignages. Il nous incombait ensuite de transformer cette intuition en acte pédagogique, grâce à une commission présidée par Mme Hélène Waysbord-Loing, présidente de l'Association de la Maison d'Izieu et elle-même rescapée, et d'organiser un travail avec les associations mémorielles et la communauté juive, avec Serge Klarsfeld et Simone Veil, pour construire un savoir historique.

Parmi les commandes sur les événements mémoriels, j'ai en cité deux du Président de la République, mais nous en recevons assez souvent, y compris localement. Des événements locaux sont traités par l'école quand une mémoire existe dans telle région, tel département, dans telle ville ou dans certains territoires, en particulier les DOM. L'école prend en charge ces commandes, mais sa mission est d'en faire des actes pédagogiques qui s'inscrivent dans un enseignement, et pas simplement des cérémonies.

Ces commandes sont désormais plus pressantes, le travail de mémoire semblant s'être réactivé depuis quelques années pour diverses raisons, dont certainement la nécessité de souder nos jeunes autour de souvenirs et de valeurs. L'Éducation nationale sait répondre à ces commandes et dans une certaine mesure est satisfaite de les recevoir, étant conduite à se poser la question du sens de ce qu'elle enseigne et de la façon d'intégrer le souvenir, y compris dans son écho affectif, dans un acte pédagogique raisonné.

Saluons le travail accompli par nos professeurs d'histoire, certainement davantage mobilisés que d'autres sur ces questions. Certes, tous les professeurs enseignent les valeurs républicaines, mais les professeurs d'histoire sont très soucieux de ces approches historiographiques et de l'inscription – sans dérives – de leur enseignement dans des préoccupations contemporaines. Voilà pourquoi l'Éducation nationale est partenaire des rencontres entre historiens, comme les Rendez-vous de l'histoire à Blois, où certains historiens se sont d'ailleurs montrés assez sceptiques sur l'utilisation de la mémoire dans la politique. Mais nous encourageons et finançons pour une part ces rencontres car elles permettent à tous de débattre et de faire en sorte que l'enseignement de l'histoire soit évolutif et non figé.

L'Éducation nationale a parfaitement intégré les lois mémorielles : la loi Gayssot de 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe – j'ajouterai homophobe, ma circulaire de rentrée de cette année pour le lycée mentionnant explicitement cette discrimination car la difficulté de certains jeunes à faire accepter leur orientation sexuelle m'est insupportable –, la loi de janvier 2001 relative à la reconnaissance du génocide arménien de 1915, la loi Taubira de mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l'esclavage en tant que crime contre l'humanité, et la loi de février 2005 portant reconnaissance de la Nation en faveur des Français rapatriés aux termes de laquelle – mais le Conseil constitutionnel est intervenu depuis – les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer, notamment en Afrique du Nord, et accordent à l'histoire et aux sacrifices des combattants de l'armée française issus de ces territoires la place éminente à laquelle ils ont droit.

Quelles que soient les opinions émises sur ces lois, j'y suis favorable à titre personnel. L'école les intègre, ayant toujours le souci que la loi votée par la représentation nationale se traduise dans les circulaires et les textes publiés sous notre autorité.

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