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Intervention de Xavier Breton

Réunion du 4 décembre 2007 à 8h00
Commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaXavier Breton :

Je vous remercie, Monsieur le Président, de m'avoir convié, avec mes anciens collaborateurs, à revenir sur un sujet sur lequel beaucoup a été dit depuis deux mois. La quasi-totalité des réponses aux questions que vous avez posées a déjà été fournie, mais je m'efforcerai d'y revenir le plus précisément possible.

Il y a deux mois, je suis rapidement revenu des États-unis pour être auditionné par la commission des Finances du Sénat car je sentais que l'État était injustement attaqué. Je comprenais par ailleurs très bien l'émotion suscitée par ce dossier et il m'avait semblé indispensable de venir expliquer la position et le rôle de l'État à ce moment-là. Depuis, votre commission et celle du Sénat ont conduit de nombreuses auditions qui ont contribué, je l'espère, à mieux expliquer un processus dans lequel le rôle de chacun est strictement encadré. Cet encadrement prévaut d'ailleurs pour toutes les relations entre les entreprises ou entre les entreprises et l'État et, a fortiori, s'agissant d'entreprises cotées.

Premier volet de ce dossier : le rôle de l'État dans le pacte d'actionnaires d'EADS.

Ce cadre est donc fixé depuis 1999 et 2000 à travers un pacte d'actionnaires signé par MM. Strauss-Kahn et Fabius à l'issue d'une longue négociation qui a conduit à la création d'EADS. Je crois nécessaire d'en rappeler les principales dispositions.

Je rappelle tout d'abord que l'État n'a pas directement la faculté de nommer un représentant au sein du conseil d'administration d'EADS ; il est en outre seulement représenté au sein de la holding SOGEADE qui porte les actions de l'État et celles du groupe Lagardère. C'est le conseil d'administration de cette holding, composé paritairement d'administrateurs représentant l'État et le Groupe Lagardère, qui pouvait nommer quatre administrateurs d'EADS à parité avec la partie allemande. Le conseil d'administration de SOGEADE Gérance statuant en tenant compte des propositions formulées par le Groupe Lagardère, c'est aux partenaires privés qu'appartient le pouvoir de proposition. Il est de surcroît explicitement prévu que les administrateurs d'EADS nommés sur proposition de la SOGEADE ne peuvent recevoir aucune instruction de celle-ci, sauf sur un nombre très limité de sujets spécifiques.

Pour éviter toute ambiguïté et dans la mesure où j'ai cru comprendre que M. Strauss-Kahn a laissé entendre ici même que l'État aurait pu, par ce moyen, participer aux décisions de gestion d'EADS, je rappelle les seuls cas prévus par le pacte d'actionnaires dans lesquels une majorité des trois-quarts est requise au sein du conseil d'administration de la SOGEADE, donnant ainsi un pouvoir à l'État : acquisitions et cessions de participations ou d'actifs de plus de 500 millions d'euros ; accords stratégiques d'alliances et de coopérations industrielles ou financières ; augmentations de capital d'EADS sans droit préférentiel de souscription lorsqu'elles dépassent 500 millions d'euros ; opérations mettant potentiellement en jeu les engagements d'EADS envers l'État sur sa branche missile-balistique. À l'inverse, une décision de lancement d'un nouveau programme d'avions susceptible de représenter un ordre de grandeur de 10 milliards d'euros d'investissement, par exemple, n'entre pas dans la liste des cas dans lesquels SOGEADE doit être consultée et disposerait d'un pouvoir d'influence quelconque. Sur ces sujets, les administrateurs représentant SOGEADE au conseil d'administration d'EADS sont totalement libres de leur vote.

Deuxième volet : les droits de cession des différents actionnaires.

Chacun des actionnaires membres du pacte est libre de vendre ses actions à condition d'en informer les autres actionnaires qui peuvent seulement préempter la vente ou vendre simultanément le même nombre de titres. L'État s'était en outre engagé envers Daimler à ne jamais dépasser 15 % du capital d'EADS, ce qui est exactement la part de capital détenue par l'État depuis l'origine. L'État ne pouvait donc pas préempter une vente d'actions des autres actionnaires puisqu'il aurait ainsi dépassé le plafond convenu de sa participation.

Telles sont les principales dispositions du pacte qui ont été prévues à la demande des actionnaires industriels, notamment Daimler-Chrysler, à l'époque de la constitution d'EADS. Elles visaient à établir une asymétrie nette entre, d'une part, les actionnaires industriels auxquels le pacte conférait le rôle et les moyens de conduire l'entreprise et, d'autre part, l'État qui disposait seulement de la faculté encadrée de préserver ses intérêts stratégiques en cas d'évolution majeure du périmètre et de préserver sa seule participation en cas d'augmentation du capital.

Par ailleurs, aucune date de révision ou de fin du pacte n'a été prévue. Il n'était donc envisageable de le modifier qu'avec l'accord unanime des trois parties. Je ne critique pas ceux qui ont accepté ces conditions, en 2000, au nom de l'État, car la négociation était sans doute complexe et l'enjeu industriel de création du Groupe EADS était majeur. Je constate simplement que la règle ainsi fixée privait l'État de jouer normalement son rôle d'actionnaire et que rien ne permettait de revenir sur ce point sans l'accord des deux autres parties. L'État n'avait donc pas d'autres options que de respecter les règles qu'il avait acceptées.

Lorsque j'étais au gouvernement, la position de l'État a toujours été de considérer EADS comme une participation stratégique : il n'a donc été procédé à la cession d'aucun titre. Les actionnaires industriels, conformément au pacte d'actionnaires, étaient tenus d'informer l'État de leurs intentions de céder les titres pour lui donner la possibilité de procéder également à des cessions. C'est en application de cette obligation que des contacts ont eu lieu entre novembre 2005 et avril 2006 entre les groupes Lagardère et Daimler puis l'État. Ceux-ci ont connu deux phases : de novembre à février, où les groupes industriels ont évoqué le principe d'une cession partielle de leurs titres – et ils souhaitaient qu'elle soit accompagnée d'une cession par l'État – sans en expliquer les modalités, puis de mars à début avril, où ils ont décidé la mise en oeuvre effective d'une cession partielle de leurs titres.

J'ai quant à moi été informé pour la première fois de l'intention de principe des actionnaires industriels de réduire leur participation au cours d'une réunion que j'ai tenue à leur demande avec MM. Lagardère et Bischoff le 28 novembre 2005 en présence de mon directeur-adjoint de cabinet, M. Rémont. Les actionnaires industriels souhaitaient éventuellement réduire partiellement leurs participations pour faire face à des besoins d'investissement dans les autres métiers de leurs groupes respectifs. Ils m'ont suggéré que l'État cède conjointement une partie de ses propres titres s'ils décidaient in fine de mettre en oeuvre leur intention. Je leur ai indiqué que la participation de l'État était stratégique et que ce dernier ne céderait donc aucune action. Je leur ai également fait part de mes réserves sur leur projet, considérant qu'un désengagement, même partiel, des actionnaires industriels, pourrait être interprété comme un signal négatif pour l'entreprise. Cela étant, l'État n'avait ni la possibilité de s'opposer à cette cession, ni la faculté de préempter les titres comme l'a rappelé le représentant de Daimler lors de cette réunion.

Des contacts ont eu lieu par la suite en janvier et février 2006 entre le groupe Lagardère et le cabinet du Premier ministre, à qui mes services avaient rappelé les termes du pacte d'actionnaires. Le cabinet a réitéré la position que j'avais exprimée concernant la participation stratégique de l'État. Au terme de ces échanges de principe, dans un mémo daté du 21 février, remis au cabinet du Premier ministre à la fin de ce mois-là – lequel mémo a été ensuite transmis pour information à mon cabinet puis, par ce dernier, à l'APE – le groupe Lagardère suggérait que l'État puisse lever le nantissement de la moitié de ses actions pour les rendre libres à la vente en les sortant du cadre du pacte en vue de faciliter une éventuelle cession ultérieure concomitamment à la baisse de la participation du groupe Lagardère dans SOGEADE. La position de l'État est restée identique, la participation de l'État n'ayant pas vocation à être réduite ni à sortir du périmètre de la SOGEADE.

Une deuxième phase a alors commencé qui a conduit les actionnaires industriels à mettre en oeuvre la cession de leurs actions. Le groupe Lagardère a, dans ce but, contacté mon directeur-adjoint de cabinet le 8 mars 2006 pour lui faire part de la décision des actionnaires industriels de mettre en oeuvre une réduction partielle de leur participation et demander à ce que cette opération soit examinée dans le cadre du pacte d'actionnaires. Les modalités de la cession envisagée par les actionnaires industriels ont donc été présentées à l'APE au cours d'une réunion qui a eu lieu le 20 mars 2006. Les actionnaires privés ont ensuite notifié formellement leur intention de céder, comme le prévoit le pacte d'actionnaires. Le conseil d'administration de SOGEADE Gérance s'est tenu le 3 avril pour constater l'absence de préemption ou de cession conjointe de l'État. En application du pacte, ce conseil d'administration, tout comme l'État, n'avait aucune autorisation à donner ni aucune possibilité de bloquer une cession des actionnaires industriels.

Le pacte d'actionnaire traite donc différemment l'État des autres actionnaires en le tenant à distance de l'entreprise, conformément à la volonté originelle des actionnaires industriels. Airbus a annoncé à ses clients des retards de livraison de l'A 380 en juin 2005 au salon du Bourget. Un programme de rattrapage a alors été élaboré et annoncé. Ce n'est que le 18 mai 2006 que la direction d'EADS a évoqué pour la première fois avec l'APE le fait que l'industrialisation de l'A 380, je cite, « se passait moyennement », avant que nous ne soyons informés, la veille de l'annonce du 13 juin 2006, de nouveaux retards dans la construction de l'A 380.

Il est exact que l'APE, fin janvier 2006, a procédé à une analyse de la valorisation d'EADS. L'APE a pris l'initiative de cette note, compte tenu de rumeurs de marché évoquant la possibilité d'une cession partielle par les actionnaires industriels. L'APE y fait état d'un ensemble de considérations qui ont trait à des facteurs exogènes – impact de la baisse du dollar sur les résultats d'EADS, agressivité de la concurrence de Boeing, conjoncture générale du cycle aéronautique – pour estimer que le titre EADS est bien valorisé. Compte tenu de cela, elle recommande d'étudier une éventuelle cession. Cette note ne mentionne à aucun moment d'éventuels nouveaux retards de l'A 380 ni la situation industrielle d'Airbus. La réponse que mon directeur-adjoint a adressée à l'APE en mon nom était sans ambiguïté : l'État n'avait pas de raison de se préparer à vendre. Ma position était donc claire.

Le cadre qui s'imposait à l'État était tel que l'État n'avait qu'une seule décision à prendre, sans aucune autre capacité d'appréciation : celle de vendre ou de ne pas vendre d‘actions. C'est sur cette décision qu'il faut juger l'action de l'État à cette période, et celui-ci n'a pas vendu une seule action.

Troisième volet : la décision d'investissement de la Caisse des dépôts.

Il est parfaitement naturel que le groupe Lagardère souhaite proposer ses titres aux investisseurs institutionnels de long terme, parmi lesquels la Caisse des dépôts. Ce groupe a d'ailleurs annoncé son intention de viser cette classe d'investisseurs dans le mémo de principe du 21 février remis au cabinet du Premier ministre et transmis à Bercy. Cela constitue une approche normale et usuelle pour n'importe quelle opération de placement et il est naturel que la Caisse des dépôts soit approchée comme les autres investisseurs. L'opération de placement relevait de la responsabilité des seuls groupes Lagardère et Daimler puis des banques qu'ils avaient mandatées. Dans cette opération sur des titres d'une société cotée à laquelle l'État n'était pas partie prenante, ce dernier, gardien du bon fonctionnement des règles de marché, n'avait en aucun cas à interférer ; s'il l'avait fait, il aurait été fautif. En particulier, l'État n'avait pas à chercher à connaître les intentions ni, a fortiori, à influencer le choix des investisseurs dans un sens ou dans un autre et ce, quels que soient les investisseurs. Il est donc normal que la Caisse des dépôts n'ait ni demandé, ni reçu d'instructions, ni sollicité d'autorisation de l'État. Comme l'a rappelé devant vous M. Dominique Marcel, directeur financier du groupe Caisse des dépôts, conformément à ses procédures internes, la Caisse des dépôts n'a pas informé l'État de ses intentions avant de rendre elle-même sa décision publique le 10 avril 2006.

Même s'il était normal que la Caisse des dépôts soit approchée, au même titre que les autres investisseurs institutionnels, je n'avais pas connaissance de ses intentions d'acquérir des participations non plus que du niveau de participation qu'elle souhaitait atteindre. Pour ma part, j'ai seulement regretté de ne pas pouvoir informer nos partenaires allemands de cette décision quelques heures avant qu'elle ne soit rendue publique afin de prévenir toute réaction négative de leur part. Sur le fond, je n'avais pas plus d'avis à émettre sur cette décision d'investissement prise par la Caisse des dépôts dans le cadre de ses règles de gouvernance interne que pour les autres investisseurs.

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