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Intervention de Jaap de Hoop Scheffer

Réunion du 12 février 2009 à 10h30
Commission des affaires étrangères

Jaap de Hoop Scheffer, secrétaire général de l'OTAN :

Tout d'abord, je voudrais vous présenter mes condoléances pour la mort d'un soldat français hier en Afghanistan. Les soldats français accomplissent dans ce pays un travail remarquable.

Monsieur le président, monsieur le vice-président, mesdames et messieurs les députés, c'est avec un grand plaisir et une grande fierté que je m'adresse à vous ce matin. Comme vous le savez, j'ai été moi-même parlementaire durant de longues années dans mon pays, les Pays-Bas ; en tant que secrétaire général de l'OTAN, je me prête de temps en temps à l'exercice de l'audition devant le Parlement, dans les pays alliés comme dans les pays partenaires. Aussi, lorsque le président Poniatowski m'a proposé, en novembre dernier, lors de sa visite à Bruxelles, de venir parler aux commissions de l'Assemblée nationale française, j'ai accepté sans hésiter. Cette rencontre revêt cependant une importance toute particulière à mes yeux.

En premier lieu, j'étais le week-end dernier à la conférence de Munich sur la sécurité, et j'ai entendu le Président de la République française annoncer qu'il aurait un débat avec les Français – et donc aussi avec vous, leurs représentants – sur la rénovation de la relation entre la France et l'Alliance d'ici au sommet de Strasbourg-Kehl. Ma venue parmi vous était prévue de longue date, mais elle tombe à point nommé ! Voilà ce que l'on appelle le sens de l'anticipation – qui, vous en conviendrez, n'est pas une qualité inutile pour une organisation de sécurité.

Surtout, c'est la première fois que je suis amené à m'exprimer devant l'Assemblée nationale française en tant que secrétaire général de l'OTAN – et, je crois, la première fois depuis plus de quinze ans qu'un secrétaire général a cette chance. J'ignore si la France reprendra toute sa place dans l'OTAN – ce dont, à titre personnel, je me féliciterai – mais, en ce qui me concerne, je suis heureux de prendre toute ma place à l'Assemblée nationale.

Je sais que, dès la semaine prochaine, les ministres des affaires étrangères et européennes Bernard Kouchner, et de la défense Hervé Morin, viendront parler devant vous de l'avenir de la France dans l'OTAN. Il m'a donc semblé intéressant de vous faire part de mes propres réflexions sur cette relation et de vous montrer qu'une Alliance rénovée a besoin de la France et que la France aurait tout à gagner si elle menait jusqu'à son terme son rapprochement avec les structures de l'OTAN. Auparavant, permettez-moi de vous dire quelques mots de cette Alliance que j'ai le privilège de diriger depuis maintenant plus de cinq ans.

L'OTAN d'aujourd'hui n'est plus celle de 1966, ni même celle de 1995, lorsque la France a amorcé son premier mouvement de rapprochement. L'Alliance a quitté sa posture de guerre froide, centrée sur la défense du territoire, tout en conservant sa mission originelle, voire son fondement, qui est la défense collective en cas d'agression, établie par l'article 5 du traité de Washington. Elle a entrepris de contribuer à la stabilité internationale et de défendre les intérêts de ses membres au-delà du territoire de l'OTAN, en Bosnie, au Kosovo, en Afghanistan et, tout récemment, au large des côtes de la Somalie, dans le cadre de la lutte contre la piraterie. Le plus souvent, d'ailleurs, elle l'a fait en mettant en oeuvre des mandats des Nations Unies.

Cette évolution me semble logique. Que l'on ne s'y trompe pas, elle ne signifie nullement que l'OTAN a soudainement développé l'ambition de devenir le gendarme du monde. L'évolution était nécessaire parce que le monde lui-même a changé, et que les menaces ont changé. Le terrorisme, la prolifération des armes de destruction massive, les trafics transnationaux, la piraterie, les cyberattaques sont autant de nouvelles menaces pour les membres de l'OTAN. Celle-ci aurait failli à sa mission si elle ne s'était pas donné la possibilité de répondre à ces défis. Il s'agit, à bien des égards, d'un processus en cours, où l'Alliance doit définir avec justesse sa valeur ajoutée.

C'est aussi un processus que l'OTAN mène en ayant une conscience aiguë de la nécessité de s'intégrer dans un ensemble plus vaste d'organisations internationales et régionales, dans une « approche globale ». L'OTAN ne peut, ni ne veut, tout faire. C'est actuellement l'une des limites en Afghanistan : on ne peut stabiliser – ce qui est la mission de l'OTAN – que si l'on reconstruit – ce qui est la mission de l'ONU, de l'Union européenne, du gouvernement afghan, de la Banque mondiale et des ONG. L'OTAN doit apprendre à travailler avec tous ces acteurs, dans une démarche cohérente.

J'ai personnellement oeuvré à l'amélioration des relations entre l'OTAN et l'ONU : j'ai été le premier secrétaire général de l'OTAN à m'exprimer devant le Conseil de sécurité à New York ; j'ai été parmi les premiers à promouvoir le poste de grand coordonnateur de l'aide internationale en Afghanistan – poste créé et actuellement occupé par Kai Eide, représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies ; et j'ai travaillé sans relâche à une déclaration sur la coopération entre l'OTAN et l'ONU, que j'ai signée avec Ban Ki-moon en septembre dernier, lors de mon déplacement annuel à l'Assemblée générale des Nations Unies.

Ses missions ayant changé, l'OTAN a revu ses structures en conséquence. C'est ce que l'on appelle dans notre jargon la « transformation » : simplification des chaînes de commandement, encouragement de nouvelles initiatives capacitaires tournées vers la déployabilité des forces, création de la Force de réaction rapide de l'OTAN, la NRF. Les forces intégrées n'existent plus : les capacités sont mises à la disposition de l'OTAN pour une mission déterminée par les nations ; seules demeurent quelques forces dédiées, pour des raisons de cohérence, comme en matière de défense aérienne. Il me tient à coeur de poursuivre cet effort réformateur, quand bien même ce serait à mon successeur de le mener à terme et, je l'espère, d'en tirer les bénéfices. Ainsi, dès la semaine prochaine, à Cracovie, je proposerai aux vingt-six ministres de la défense un nouvel ensemble de réformes du fonctionnement du siège de l'OTAN et du secrétariat international. Cette action est fortement encouragée et soutenue par les autorités françaises, ce dont je les remercie.

Pendant que l'OTAN accomplissait sa mue, la France n'est pas restée immobile, loin de là. Membre fondateur toujours actif dans la structure civile – j'en veux pour preuve la présence à mes côtés de l'un de mes plus proches collaborateurs, le secrétaire général adjoint pour la diplomatie publique, M. Jean-François Bureau –, la France s'est depuis 1991 progressivement rapprochée de la structure militaire qu'elle avait quittée.

Depuis 1993, le chef d'état-major des armées a, d'abord au cas par cas, participé à nouveau aux réunions du comité militaire, puis, à partir de 1996, de manière systématique. Depuis 1994, le ministre français de la défense prend une part active aux réunions ministérielles du Conseil de l'Atlantique Nord. Et depuis 2003, ce ne sont pas moins de cent dix officiers français qui sont présents dans les commandements alliés « Transformation » – ACT, à Norfolk – et « Opérations » – ACO, au SHAPE, près de Mons.

À cela s'ajoute une participation forte, voire déterminante, de la France dans les opérations. La France est aujourd'hui le cinquième fournisseur de troupes de l'OTAN ; il y a davantage de troupes françaises sous commandement de l'OTAN que sous commandement de l'Union européenne ou de l'ONU. La France a même commandé des opérations de l'Alliance, comme, récemment, au Kosovo – le général Bout de Marnhac y commandait la KFOR – ou, par le passé, en Afghanistan. L'OTAN ne pourrait se passer de ces contributions.

Ce faisant, la France n'a rien perdu de sa souveraineté, et elle n'en perdrait pas davantage si elle décidait de reprendre toute sa place au sein de l'Alliance. En effet, la décision de participer à une opération ainsi que la nature de l'engagement restent nationales. C'est d'ailleurs le défi quotidien du secrétaire général : faire en sorte que chacun, quel que soit son degré d'engagement, contribue à la bonne marche de l'Alliance, au consensus et à la solidarité globale. L'Espagne ne participe pas aux nouvelles tâches de l'OTAN au Kosovo ; la Kosovo Security Force n'en a pas moins été mise sur pied, il y a quelques semaines, avec l'appui et l'expertise de l'OTAN.

Enfin, la France est pour moi un acteur clef, car elle est la seule à pouvoir symboliser la complémentarité entre l'OTAN et la politique européenne de sécurité et de défense, la PESD. M'étant toujours défini comme européen et atlantiste, cette notion de complémentarité m'est particulièrement chère.

Le besoin d'une PESD forte est en effet devenu une évidence. Une Europe de la défense est dans l'intérêt de l'OTAN. Je dirais même que pour l'OTAN, l'enjeu, ce n'est pas moins d'Europe, comme certains pouvaient le croire il y a dix ans ; c'est au contraire plus d'Europe, en particulier en ce qui concerne les capacités militaires. Le renforcement des capacités de l'OTAN et de l'Union européenne doit être mutuel car, le plus souvent, ces efforts visent à remédier à des lacunes similaires. Je souscris donc pleinement à la tribune publiée la semaine dernière dans Le Monde par le président Sarkozy et la chancelière Merkel.

Ils ont cent fois raison lorsqu'ils écrivent que « nous devons aller vers une véritable coopération, fondée sur une nécessaire complémentarité ». Ce constat est pleinement partagé outre-Atlantique ; je le constate tous les jours : le débat théologique qui avait cours aux États-Unis sur ce sujet est mort. Le président Bush avait eu des mots très forts au sommet de Bucarest, l'année dernière ; il y a quelques jours, à Munich, le vice-président Biden s'est inscrit dans la même ligne.

La présidence française de l'Union européenne, au semestre dernier, a elle-même beaucoup contribué à rehausser le profil de la PESD et à la relancer. Au plan opérationnel d'abord, avec la Géorgie, le lancement de la mission Eulex au Kosovo et celui de l'opération Atalanta au large de la Somalie, qui a pris le relais de la force navale déployée en urgence par l'OTAN. Le bilan n'est pas mince. S'y ajoutent des initiatives de long terme sur les capacités qui me semblent très positives et un vrai souci de développer la coopération entre l'OTAN et l'Union européenne.

C'est ainsi que le secrétaire d'État aux affaires européennes, Jean-Pierre Jouyet, est venu présenter les priorités françaises devant le Conseil de l'Atlantique Nord – une vraie novation ! La présidence française m'a également invité à venir parler de l'Afghanistan au conseil Affaires générales et relations extérieures de l'Union européenne : c'était une première ! Les Alliés ont perçu ces initiatives très positivement, non seulement en raison de leur portée sur le fond, mais aussi parce que, sur la forme, elles ont contribué à dissiper l'impression que, parfois, la France jouait une organisation contre l'autre, que tout progrès de l'Union européenne devait s'accomplir au détriment de l'OTAN, et qu'il y avait des arrière-pensées.

Une OTAN qui change, une France qui évolue : voilà deux mouvements convergents, qui me semblent pouvoir se renforcer mutuellement davantage encore si la France choisit d'achever la rénovation de ses relations avec l'OTAN – une décision qui, cela va de soi, lui appartient souverainement.

Ils se renforceraient, tout d'abord, parce que l'Alliance bénéficierait d'une plus grande implication de la France dans ses travaux. La France vient ainsi d'élaborer son Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale – je sais que plusieurs d'entre vous, mesdames et messieurs les députés, y ont été personnellement associés ; j'ai également eu l'occasion d'exposer mes vues à la commission Mallet lors de ma visite officielle à Paris l'an dernier. La France est désormais dotée d'une doctrine stratégique rénovée, cohérente et globale. De ce fait, ses analyses vont incontestablement enrichir les débats au sein du Conseil. Il ne s'agit nullement de « noyer » les idées françaises dans une « pensée unique otanienne », mais, au contraire, de contribuer à l'amélioration de l'efficacité de l'Alliance dans tous les domaines.

Autre exemple illustrant la spécificité française sur un sujet déterminant : nos relations avec la Russie. La sécurité et la stabilité de la zone euro-atlantique sont directement liées à une coopération saine et équilibrée entre l'OTAN et la Russie. Malheureusement, la crise en Géorgie a porté un coup à cette exigence. Suite à la réunion ministérielle de décembre dernier, les Alliés ont adopté une « approche mesurée et progressive » dans leurs relations avec la Russie. Suivant ce mandat, j'ai renoué le dialogue au niveau politique en rencontrant à Munich, le week-end dernier, M. Serguei Ivanov, le vice-Premier ministre russe. J'espère que le sommet de Strasbourg-Kehl permettra de poursuivre dans la voie d'un dialogue sans concessions mais positif et tourné vers l'avenir. Forte de sa médiation dans la crise géorgienne en tant que présidente de l'Union européenne et de sa connaissance de la Russie, la France a joué un rôle moteur dans ce processus.

J'ai évoqué un enrichissement mutuel : le retour complet de la France dans les structures militaires permanentes et dans les mécanismes de planification de défense de l'Alliance apporterait en effet, me semble-t-il, de nombreuses plus-values pour la France ; leur dénominateur commun est une meilleure cohérence, sans contraintes supplémentaires. Si l'on prend, par exemple, la planification de défense, la France pourrait participer à la définition du niveau d'ambition de l'Alliance, c'est-à-dire du nombre et du type de missions que l'Alliance est en mesure de conduire ; ce faisant, elle pourrait assurer une concordance entre les niveaux d'engagement de l'Union européenne et de l'OTAN. Elle pourrait aussi contribuer à la définition des besoins capacitaires des alliés à moyen et à long termes, ainsi qu'à celle des capacités dont l'Alliance a besoin collectivement. La France gagnerait en visibilité sur les plans de défense des alliés et elle aurait la possibilité d'influer sur eux. Cela ne peut qu'être très positif pour un pays comme le vôtre, qui encourage ses partenaires européens à en faire toujours plus dans le domaine des investissements de défense.

J'ajouterai, pour prendre un dernier exemple, qu'en raison de sa faible représentation dans la structure militaire, la France ne participe pas à la rédaction d'une grande partie des scénarios de gestion de crise dans lesquels elle se trouve par la suite impliquée – ce qui est tout de même paradoxal, compte tenu de la place éminente prise par la France lorsque des opérations sont lancées ! La présence d'experts français à tous les échelons des structures militaires permettrait à la France d'être directement impliquée tant dans la préparation de l'avenir – les travaux d'ACT – que dans la rédaction des scénarios de gestion de crise, la préparation des plans d'opérations et la conduite des opérations sur le terrain – le rôle d'ACO et des commandements subordonnés.

La France, avec l'Allemagne, s'apprête à accueillir, les 3 et 4 avril prochains, le sommet du soixantième anniversaire de l'OTAN, à Strasbourg et Kehl. Cette perspective me réjouit, car je ne vois pas de meilleure concrétisation de la promesse initiale des rédacteurs du traité de Washington : une Europe libre et unie, ayant surmonté ses divisions historiques. Cela aura une portée symbolique. Toutefois, ce sommet ne sera pas seulement pour l'Alliance l'occasion de fêter un anniversaire et d'accueillir en son sein un nouveau président des États-Unis, mais aussi de faire des choix concernant son avenir et le XXIesiècle. Les chefs d'État et de gouvernement adopteront une Déclaration sur la sécurité de l'Alliance, qui devrait traduire cette vision. Ils devraient aussi, je l'espère, donner le coup d'envoi à l'élaboration d'un nouveau concept stratégique de l'OTAN – l'actuel remontant à 1999. La France doit prendre toute sa part dans cet important débat. Je ne doute pas qu'elle sera au rendez-vous.

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