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Intervention de André Kaspi

Réunion du 10 juin 2008 à 16h00
Mission d’information sur les questions mémorielles

André Kaspi :

Je vous suis particulièrement reconnaissant de l'accueil que vous me réservez.

La commission de modernisation des commémorations publiques, que le secrétaire d'État chargé des anciens combattants m'a demandé de présider, travaille depuis le mois de décembre 2007 et est sur le point de conclure sa réflexion, même si elle est censée prendre fin en décembre 2008. Elle poursuit trois objectifs.

Premièrement, nous réfléchissons au nombre de commémorations publiques, plus particulièrement de celles relevant du ministère de la défense, à travers le secrétariat d'État aux anciens combattants. Nous ne nous occupons donc ni du 14 juillet ni de la Journée commémorative de l'abolition de l'esclavage mais exclusivement des neuf ou dix commémorations nationales établies par une loi ou un décret. Elles commencent en avril avec la Journée nationale du souvenir de la Déportation et s'achèvent le 5 décembre avec la Journée d'hommage aux morts pour la France pendant la guerre d'Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie. Une dixième commémoration, passée dans l'usage, n'est pas tout à fait fixée : le 17 juin, en l'honneur de Jean Moulin. En ajoutant les deux journées ne relevant pas de notre compétence, cela fait douze, contre cinq ou six jusqu'en 1999 : leur nombre a donc doublé en dix ans. La France est-elle entrée dans une sorte de spirale commémorative ? Que signifie ce phénomène ?

Deuxièmement, nous réfléchissons aux publics auxquels ces journées s'adressent. La réponse est généralement « les jeunes », catégorie assez vague qui va jusque vingt-quatre ou vingt-cinq ans. À l'autre bout de l'échelle, les associations d'anciens combattants – que j'ai reçues l'une après l'autre, car il est très difficile de les faire se rencontrer – sont présentes aux cérémonies mais de moins en moins, par lassitude ou par incapacité physique. Entre les deux, la grande majorité de la population n'assiste plus guère aux cérémonies, surtout si elles sont nombreuses. Autrement dit, trop de commémoration tue la commémoration.

Troisièmement, nous réfléchissons au contenu des journées commémoratives, afin de rendre plus vivant ce rituel un peu pesant, fait de minutes de silences et d'interminables dépôts de gerbes. L'enjeu consiste à donner à ces événements la signification qu'ils méritent afin que les citoyens se les approprient.

Notre méthode de travail a été classique : nous avons auditionné des personnalités venues d'horizons divers, des administrateurs, préfets et sous-préfets, des enseignants, des journalistes, des élus, etc.

Vous souhaitez, monsieur le président, que je vous communique les conclusions de la commission… Je m'en garderai bien ! Non pas qu'elles soient secrètes, mais le consensus ou du moins l'accord très majoritaire est requis. Je peux en revanche vous en présenter les grandes lignes.

Il est impossible d'engager une révolution brutale car elle susciterait immédiatement une levée de boucliers, en particulier de la part des associations d'anciens combattants, mais il convient peut-être de privilégier certaines dates par rapport à d'autres. Outre le 14 juillet, nous avons pensé que deux dates, le 11 novembre et le 8 mai, méritent d'être mises en avant, l'une et l'autre faisant l'objet d'un large consensus dans l'opinion publique. Les autres commémorations perdureraient mais ne prendraient plus la même ampleur.

Par ailleurs, il nous semble que, pour telle ou telle commémoration, les lieux de mémoire devraient être précisés. Ainsi, au lieu de commémorer la guerre d'Indochine sur l'ensemble du territoire national, une ville pourrait être retenue, par exemple Fréjus.

Nous voudrions aussi que certaines commémorations n'aient pas lieu tous les ans mais tous les cinq ou dix ans. Le 6 juin n'est pas une commémoration nationale en France, ni même en Grande-Bretagne, mais le Débarquement revêt une importance régionale très marquée en Normandie, y compris pour le tourisme de mémoire ; sur le plan national, cette date pourrait être commémorée tous les cinq ou dix ans.

Nous devons procéder avec tact et non prendre des décisions immédiates, brutales. Lorsque nous interrogeons les associations d'anciens combattants, nous obtenons toujours la même réponse : « Vous pouvez changer quelque chose mais ne touchez pas à la date qui nous concerne et surtout attendez que nous ayons disparu ! » Ce raisonnement reporte bien loin les changements que nous pourrions imaginer, d'autant que certaines associations font adhérer les conjoints d'anciens combattants, voire leurs descendants. Quoi qu'il en soit, le système doit être modifié.

En ce qui concerne le déroulement des cérémonies, il faut distinguer la communion – c'est-à-dire la réunion des anciens combattants, qui savent de quoi il est question – et la transmission. Beaucoup de nos jeunes, contraints d'assister aux cérémonies, ignorent à quoi elles font allusion. Si la communion doit évidemment continuer à rassembler dans un rituel des personnes faisant partie intégrante de la mémoire, la transmission doit utiliser d'autres canaux : le cinéma, le théâtre, la chanson, le ravivage de la flamme de l'Arc de triomphe…

L'État joue un rôle important mais, au fond, les initiatives locales sont certainement plus importantes encore. Chaque commune est dépositaire d'une histoire, chaque région est pourvue de lieux de mémoire ; toutes doivent être animées par la volonté de développer le sentiment identitaire. C'est à partir de cette réalité parlante et émouvante, témoignage de l'existence d'une mémoire locale et régionale inscrite dans la mémoire nationale, que les esprits des jeunes pourront être formés. Surtout, il importe de ne pas imposer d'en haut des formules qui ne s'appliqueront pas nécessairement à toutes les communes de France et à tous les milieux de la population française, d'autant que celle-ci est en transformation profonde. L'intégration des populations arrivées depuis peu doit précisément se faire par la transmission.

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