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Intervention de Luc Chatel

Réunion du 3 mars 2009 à 16h00
Commission des affaires économiques

Luc Chatel, secrétaire d'état chargé de l'industrie et de la consommation, porte-parole du Gouvernement :

Mon propos sera articulé en cinq parties : la situation de l'industrie française ; la politique menée par le Gouvernement depuis près de deux ans dans le domaine industriel ; les manifestations de la crise ; les pistes de sortie de crise que nous proposons ; la place de l'État dans la politique industrielle.

L'industrie française pèse lourd. Elle est officiellement à l'origine de 14 % du PIB, et même de 30 % en incluant toutes les activités connexes, en particulier celles qui sont externalisées. De même, elle emploie 12 % de la population active, mais en réalité 40 % en incluant les services externalisés. Elle représente 80 % des exportations de marchandises et 90 % de l'effort de la R&D – recherche et développement – privée. L'industrie reste donc plus que jamais la locomotive de l'économie française. Le Président de la République lui-même déclarait d'ailleurs, le 4 février dernier : « Un pays qui n'a plus d'usines est un pays qui n'a plus d'économie. » La politique industrielle n'appartient donc pas au passé.

L'industrie française dispose d'atouts : des champions nationaux, acteurs majeurs sur des marchés comme l'agro-alimentaire, l'aéronautique ou le luxe ; des infrastructures publiques considérées comme les meilleures mondiales par le baromètre Ernst & Young ; un savoir-faire technologique reconnu à travers le monde ; des grands projets comme l'EPR ou le TGV, ainsi que des constructions édifiantes comme le Viaduc de Millau.

Ces atouts ne doivent pas cacher des faiblesses. Le décrochage de notre compétitivité, il y a une quinzaine d'années, s'est traduit par la dégradation de notre balance commerciale et une chute de 15 % de nos parts de marché en dix ans. Le coût horaire du travail reste élevé : nous sommes au quatrième rang parmi les vingt-sept pays de l'Union européenne, ce qui pénalise évidemment notre activité industrielle. La R&D privée reste insuffisante, très loin de l'objectif de Lisbonne : elle s'établit a seulement 1,3 % du PIB, à comparer aux 3 % des pays scandinaves, aux 2,6 % du Japon ou au 1,8 % des États-Unis. Nous éprouvons des difficultés à faire émerger de nouveaux acteurs industriels : moins de 10 % des 150 premières entreprises françaises sont nées après 1950, contre 30 % aux États-Unis ; les vingt-cinq plus grosses entreprises françaises existaient déjà en 1960, contre six seulement d'entre elles aux États-Unis.

Des opportunités se présentent cependant à nous. C'est l'industrie qui apportera la réponse aux grands enjeux sociétaux mondiaux du XXIe siècle, dans les domaines de la santé, de la nutrition, du changement climatique ou de la sécurité, à travers l'innovation technologique. Or la France est présente et concurrentielle dans des secteurs à très fort potentiel de développement : les éco-industries, l'énergie, les industries de défense. Des pays émergents constituent de gros marchés potentiels, c'est-à-dire des réservoirs de croissance, comme nous le constatons dans le cadre de l'Union pour la Méditerranée. L'Europe est un atout considérable : c'est une solide base arrière pour partir à l'assaut du monde car son grand marché lui donne la taille critique pour mobiliser des investissements et élaborer des standards diffusés à travers le monde. La french touch – notre image et notre savoir-faire – est déclinable dans le secteur industriel, dans les secteurs du textile, du luxe ou du jeu vidéo : sur les treize marques les plus connues dans le monde, six sont françaises.

Ces opportunités ne pourront être exploitées que si nous endiguons certaines menaces. L'attitude des Français vis-à-vis de la mondialisation est frileuse, empruntée, alors que celle-ci présente souvent des perspectives de développement majeures pour notre industrie. Notre compétitivité est prise dans un effet de ciseau, avec une concurrence par le haut, par l'innovation, de la part des pays fortement industrialisés, en particulier les États-Unis et le Japon, et par le bas, par les coûts, de la part des pays émergents à bas coût. Nous éprouvons des difficultés à anticiper les besoins à venir en matière de matière grise, de compétences, de formation. Enfin, certains groupes français ont adopté une stratégie de délocalisation, au détriment de l'investissement, de la création de valeur et de l'emploi sur le territoire national.

Cet état des lieux me rend plutôt optimiste quant aux perspectives de développement industriel.

Le Gouvernement n'a pas attendu la crise pour agir dans le domaine industriel. Une bonne politique industrielle est avant tout une bonne politique économique, qui libère les énergies et favorise l'esprit d'entreprise. Depuis près de deux ans, pour conforter l'industrie, nous avons agi dans trois directions.

Premièrement, nous avons mené une politique favorable au travail. Je le dis sans esprit de polémique, car cette analyse est partagée par beaucoup d'observateurs, la mise en oeuvre des 35 heures a eu un effet désastreux sur la compétitivité du pays. Ce n'est pas un hasard si le décrochage des exportations apparaît en 2000-2001. La loi relative à la défiscalisation des heures supplémentaires adoptée en tout début de législature a été une bonne réponse pour l'industrie, notamment pour l'automobile, premier secteur concerné, et pour les ouvriers, qui en ont été les premiers bénéficiaires. Nous avons également considérablement avancé dans la réforme de l'environnement social : la France est enfin sur la voie de la « flexi-sécurité », à l'image d'autres grands pays industriels du Nord de l'Europe ou de l'Allemagne. Je donnerai à cet égard trois exemples concrets : l'extension du contrat de transition professionnelle, l'obligation de revitalisation des territoires et la rupture du contrat de travail par accord mutuel.

Deuxièmement, nous avons conduit une politique d'innovation très ambitieuse, d'abord avec le triplement du crédit d'impôt recherche, qui a constitué un geste très fort avec des retombées considérables : l'engagement d'IBM à Crolles ; l'implantation par Microsoft d'un tiers de ses activités européennes de R&D en France ; la présélection par Google de la France, en compagnie de l'Autriche, comme destination de son futur centre européen de R&D ; le maintien en France par EADS ou Thales d'activités industrielles qu'ils avaient envisagé de délocaliser. Nous avons aussi pérennisé et conforté la politique des pôles de compétitivité : le Président de la République, à l'été 2008, a garanti que l'État engagerait 1,5 milliard d'euros sur trois ans. L'État doit aussi jouer un rôle de détonateur, notamment avec les fonds démonstrateurs : le secteur public donne un coup de pouce pour rendre des offres plus solvables. Mais rien ne sert d'innover si nous ne nous protégeons pas contre les contrefaçons : nous menons depuis deux ans une politique en faveur de la propriété industrielle, avec la ratification du protocole de Londres, la signature d'accords avec quatorze pays euro-méditerranéens pour combattre la contrefaçon, le lancement d'une mission pour lutter contre la contrefaçon sur Internet, confiée à votre collègue Bernard Brochand, et la création d'un observatoire européen de la contrefaçon.

Troisièmement, nous avons adopté des mesures en faveur de la compétitivité. Des mesures fiscales audacieuses impactent positivement notre industrie, notamment la mesure ISF-PME, qui a permis de collecter plus de 1 milliard d'euros, réinjectés en grande partie dans les petites et moyennes industries, ou les actions en faveur de la diffusion des technologies, comme le plan « Qualité et Performance 2010 », destiné au développement du lean management, via le financement d'experts mis à disposition des PMI.

La crise est le révélateur d'un besoin d'industrie.

L'industrie est la première victime de la crise parce qu'elle est touchée par l'assèchement du crédit bancaire : les impayés des entreprises industrielles ont explosé de 127 % entre octobre 2007 et 2008. Elle est aussi touchée de plein fouet au niveau des carnets de commandes : de moins 20 % à moins 40 % selon les secteurs, celui de l'automobile étant naturellement le plus atteint.

La réponse du Gouvernement a été triple.

Pour permettre à l'activité industrielle de redémarrer, il a répondu à l'urgence financière en réamorçant la pompe, avec le plan de sauvetage du système bancaire, la nomination d'un médiateur du crédit et la mobilisation d'OSÉO pour garantir la trésorerie de court terme, les prêts et l'investissement en fonds propres – 22 milliards ont ainsi été mobilisés pour financer les crédits de nos PME.

En cette période de crise, il est aussi nécessaire de consolider financièrement certaines entreprises. Ce sera l'objet du fonds stratégique d'investissement, le FSI, mais aussi du fonds de la sous-traitance automobile.

Il fallait ensuite répondre à l'urgence économique, à travers le plan de relance, centré sur l'investissement – infrastructures, projets de recherche –, et à travers des mesures conjoncturelles pour soutenir l'activité, dans le domaine du logement ou avec la prime à la casse, mais également avec la suppression de la taxe professionnelle, impôt que l'ensemble des responsables politiques, de droite et de gauche, jugent anti-économique, et qui pénalise l'industrie française.

Il fallait enfin répondre à l'urgence sociale. L'industrie française affronte des difficultés et connaît déjà des restructurations, elle subira des pertes d'emplois. Notre objectif est d'amortir le choc social. Cela passe par l'amélioration des systèmes d'indemnisation du chômage partiel, indemnisation qui est passée de 50 % à 75 %, afin de sauvegarder les compétences en maintenant un lien entre les salariés et leur entreprise. Cela passe aussi par l'anticipation des mutations territoriales et sectorielles, dans chaque filière industrielle. Nous l'avons fait pour l'automobile en signant dès l'été dernier la charte automobile, aujourd'hui mise en oeuvre dans sept régions. Le pacte automobile prévoit sa généralisation à l'ensemble de régions. Enfin, lorsque les restructurations deviennent inéluctables, nous nous attachons à préserver les personnes plutôt que les emplois ; perdre son emploi est toujours dramatique mais il est plus grave encore de n'avoir aucune perspective d'en retrouver un autre ; il convient donc de donner l'assurance aux personnes touchées par les restructurations industrielles qu'elles ne seront pas laissées au bord de la route.

Sur le plan sectoriel, nous sommes d'abord intervenus pour l'automobile, et je répondrai à vos questions à ce propos. Le président du groupe d'études sur l'automobile de l'Assemblée nationale, Jacques Masdeu-Arus, a participé à nos travaux. Nous avons cherché à agir dans plusieurs domaines. Il ne s'agit donc pas d'un plan à court terme de soutien financier, mais d'un plan global destiné à garantir la pérennité de l'industrie automobile en France, en la rendant plus compétitive, en lui donnant les moyens d'innover, de s'adapter dans le domaine de la formation, de préparer les défis de demain, et en soutenant la filière de sous-traitance.

D'autres secteurs stratégiques, porteurs au niveau mondial et dans lesquels nous possédons un savoir-faire, ont vocation à nous aider à sortir plus vite de la crise. Dans ces secteurs, l'engagement des pouvoirs publics peut générer un retour sur investissement.

Les technologies de l'information et de la communication représentent 40 % de la hausse de la productivité des entreprises. Nous nous sommes d'abord concentrés sur le déploiement du très haut débit, avec l'objectif de 4 millions d'abonnés en 2012. Nous avons travaillé à l'attribution d'une quatrième licence de téléphonie mobile pour aiguillonner le marché et favoriser l'investissement industriel. Nous avons obtenu un bel accord sur le paquet Télécoms, voté sous la Présidence française de l'Union, qui conduira à une harmonisation du cadre juridique, donc à une stabilisation du secteur, et à une baisse des prix, notamment des services transeuropéens, profitable aux consommateurs.

Avec le ministre d'État, M. Jean-Louis Borloo, nous avons réfléchi aux moyens d'exploiter les éco-industries, les « écotechs », ce réservoir de croissance industrielle, susceptible de créer 200 000 emplois et un point de PIB supplémentaire d'ici à 2015, à condition que nous mettions en oeuvre un plan ambitieux. C'est pourquoi le Gouvernement a créé le Comité stratégique des éco-industries, qui réunit tous les acteurs du secteur, avec trois priorités : imposer les standards technologiques français pour qu'ils deviennent demain des normes mondiales ; orienter les investissements en R&D vers les secteurs prometteurs et nouer des partenariats stratégiques entre le privé et le public ; lutter contre le dumping écologique.

Pour les nanotechnologies, nous avons créé un pôle de compétitivité de référence mondiale, premier employeur européen du secteur.

Nous travaillons donc actuellement à l'élaboration d'un plan de sortie de crise, autour de quatre ou cinq secteurs d'activité industrielle.

L'évolution de la situation économique, avec cette crise qui nous touche de plein fouet, doit nous conduire à nous interroger sur le rôle de l'État dans l'activité industrielle. Ces derniers mois ont montré que nous avons besoin de vision, de concertation et de réactivité.

Dans le management de la crise, nous avons besoin de plus de dialogue avec les parties prenantes : industriels – multinationales comme PME de proximité –, mais aussi représentants du personnel, experts et élus. Nous avons ainsi réuni l'ensemble des acteurs de la filière automobile, depuis les gros donneurs d'ordre aux petites PME, en passant par les élus, les pôles de compétitivité et les cinq syndicats représentatifs des salariés. C'est ce qui a permis de faire émerger un véritable plan stratégique.

Nous avons également besoin d'une logique de dialogue, un peu sur le mode du Grenelle de l'environnement. Dans le domaine de la chimie, par exemple, nous avons reproduit ce mode d'organisation. Nous ferons de même notamment pour les éco-industries.

Nous avons au surplus besoin de solutions public-privé, avec rédaction de cahiers des charges communs aux grands donneurs d'ordre privés et publics, comme nous l'avons fait pour les véhicules décarbonés.

Le tissu industriel doit être plus solidaire, sous l'impulsion de l'État. Depuis deux ans, nous avons notamment mis en oeuvre cette logique dans le domaine de l'aéronautique, en demandant aux constructeurs de prendre leurs responsabilités et de se montrer exemplaires dans la solidification de leurs filières, avec les fonds Aerofund I et II. Un fonds vient d'être constitué par Renault et PSA pour les équipementiers automobiles.

Il nous faut une logique donnant-donnant. L'engagement de l'État vis-à-vis des constructeurs automobiles repose ainsi sur trois contreparties, en matière de gouvernance, de soutien de la filière de sous-traitance et de pérennisation des sites industriels en France.

La crise a révélé un besoin de stratégie, de vision, d'engagement au service de l'industrie. Aucune politique économique n'est possible sans véritable politique industrielle. Nombre de pays frappés par la crise regrettent d'avoir laissé partir des pans industriels entiers.

L'objectif du Gouvernement, vous l'avez compris, est une mobilisation générale en faveur d'une politique industrielle. Nous considérons que l'industrie française n'est pas « foutue ».

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