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Intervention de Jean-Jacques Jordi

Réunion du 30 septembre 2008 à 15h00
Mission d’information sur les questions mémorielles

Jean-Jacques Jordi :

Les propos de Mme Fort et de M. Vanneste renvoyaient à la question de la différence entre mémoire et histoire. Selon moi, la mémoire concerne chacun et il y a autant de mémoires que de personnes. Il peut arriver que des groupes de personnes se réunissent pour commémorer un évènement commun auquel ils ont participé de manière différente. L'histoire, quant à elle, peut être un remède aux turbulences de la mémoire.

Dans les années soixante-dix, l'État a fait preuve d'une certaine incapacité à mobiliser le savoir historique pour construire un discours scientifique intégré dans l'école, qu'il s'agisse de la colonisation, de l'esclavage, des phénomènes migratoires. La conséquence en fut que chaque groupe porteur d'une mémoire commune s'est érigé en porteur d'une histoire : « son » histoire contre « l'autre » histoire. Ce fut le cas pour les Pieds-noirs d'un côté, et les immigrés algériens, de l'autre.

Petit à petit, chaque groupe revendique des dates, fait de la surenchère, y va de sa « commémoration univoque », parlant d'une seule voix, la sienne, pro domo sua. Et la commémoration perd de son caractère national. C'est dommageable.

Je n'aurais pas été Français en 1789. Mon origine catalane fait que j'aurais sans doute été sujet du roi d'Espagne. Il n'empêche que j'ai intégré dans ma culture les mots « Liberté, égalité, fraternité ». Je n'aurais toujours pas été Français en 1848, au moment de l'abolition de l'esclavage. Il n'empêche que je l'ai intégrée également. Je me souviens qu'on en a parlé en classe, mais c'était avant les années soixante-dix. Mes filles, pour leur part, n'ont jamais, ou très peu, entendu parler de l'esclavage en classe.

D'où vient ce « trou », qui fait que maintenant on est obligé de repartir à zéro et de recréer une histoire qui était pourtant connue, même si elle l'était insuffisamment ? On connaît en effet beaucoup mieux aujourd'hui l'histoire de l'esclavage ou de la colonisation et cette histoire est davantage libérée des idéologies dominantes. Il y a soixante-dix ans, si vous n'étiez pas partisan de l'Empire colonial, vous étiez un mauvais Français ; il y a quarante ans, il « fallait » être anticolonial. Il existe des mouvements de balancier de mémoire. Voilà d'ailleurs pourquoi il faut faire appel à l'histoire : l'historien peut permettre de donner des dates et des éléments sur lesquels fonder un jugement.

La date du 19 mars fait débat. Mais la mère, dont le fils est en Algérie et à laquelle on annonce la fin de la guerre, est heureuse : elle respire. Pas ceux qui restent. Comment faire ?

Des dates existent. Plutôt que d'en créer qui n'ont aucun sens, mieux vaudrait retenir celles qui pourraient être l'occasion d'une réflexion. Pourquoi celle de 1789 a-t-elle subsisté ? Parce qu'elle n'engage pas que la France, mais une vision de l'humanité. On sait très bien qu'il y a eu des massacres en Vendée et pendant la Terreur. Pour autant, 1789 impose un changement de vision, de la même façon que 1945 par rapport aux régimes totalitaires, à la Shoah, etc.

On peut faire confiance aux dates, qui sont peut-être le premier degré de l'historien. Il faut s'appuyer sur des dates, sur des chiffres et sur des faits.

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