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Intervention de Jean-Yves Le Bouillonnec

Réunion du 8 juillet 2008 à 15h00
Modernisation des institutions de la ve république — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Yves Le Bouillonnec :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le débat sur la réforme de nos institutions, je souhaite à nouveau évoquer la rénovation du Conseil supérieur de la magistrature et, à travers elle, l'indépendance de la justice, qui constitue l'un des piliers de l'État de droit, qui doit garantir à tout justiciable de pouvoir accéder à un juge impartial.

Je veux solennellement rappeler l'impérieuse obligation qui est la nôtre de franchir une nouvelle étape et de faire accomplir un nouveau progrès à notre pays : la démocratie et la justice ne doivent pas seulement être des principes inscrits dans les textes, mais des réalités quotidiennes pour nos concitoyens. Et dans notre réflexion de constituant, à condition de partager cette volonté de mieux garantir constitutionnellement l'indépendance de la justice, nous devons répondre aux questions relatives à la composition et à la définition des compétences du CSM, même si cet enjeu central s'accompagne d'autres exigences, telles que l'octroi des moyens institutionnels, administratifs et budgétaires, lui permettant d'exercer pleinement ses missions.

Dans notre débat constitutionnel, vos questionnements et vos prudences, illustrent la défiance dans laquelle vous tenez l'ordre judiciaire, qui contribue pourtant, avec le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, au maintien du pacte républicain et de la cohésion sociale. C'est pour briser cette défiance, point d'ancrage de tant de difficultés, de crises et de confusion, que nous aurions souhaité de la part du Gouvernement une solution plus juste et plus équilibrée, à la hauteur d'un double enjeu : redonner confiance à l'institution judiciaire, en lui assurant les moyens de remplir sa mission constitutionnelle de gardienne de la liberté individuelle, conformément à l'article 66 de la Constitution, tout en la préservant, dans l'intérêt des justiciables, du corporatisme et de la politisation. Force est de constater, avec regret et déception, que le texte proposé est loin de répondre aux objectifs annoncés.

La double présidence du CSM confiée au premier président de la Cour de cassation et au Procureur général traduit une volonté d'affaiblir sa place institutionnelle, en compromettant le principe constitutionnel d'unité du corps judiciaire et en générant des difficultés pratiques, notamment en termes de fonctionnement et de cohérence. Nous avons proposé que la présidence plénière soit confiée à un des membres non-magistrat, élu par les deux formations réunies en séance plénière, pour préserver l'unité de l'institution judiciaire et renforcer son indépendance. Nous sommes attachés au principe de la formation plénière du CSM, qui existe de fait et manifeste une grande utilité pour coordonner les jurisprudences en matière de nominations entre les formations du siège et du parquet, pour donner les avis de l'article 64. Mais dans l'esprit de votre projet, la formation plénière ne peut pas s'autosaisir, ce qui est très dommageable, car les avis spontanés du CSM au cours des années passées ont présenté beaucoup d'intérêt. Avec votre réforme, il ne serait, en quelque sorte, autorisé à s'exprimer que sur sollicitations de l'exécutif. Par ailleurs, il paraît invraisemblable que les membres du CSM ne puissent pas tous appartenir à la formation plénière, en vertu de l'utilité coordinatrice de cette dernière.

En outre, en ces temps d'hyperprésidentialisation, il est devenu inacceptable de continuer à faire du Président de la République le garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire. C'était une illusion lors de l'écriture en 1958 de la Constitution ; cela s'est révélé une fiction dans la pratique et même une grave inconséquence aujourd'hui. C'est dans cet esprit et par souci de cohérence, que nous proposons que ce soit désormais le CSM qui assume ce rôle.

De même, nous ne pourrons pas utiliser le mot « réforme » en l'absence d'une réelle volonté politique de rénover la composition du CSM et de garantir un pluralisme effectif de ses membres. La réforme prive toujours le CSM du pouvoir de nomination et ne permet pas d'éviter le risque de politisation. L'extension de l'avis simple à la nomination des procureurs généraux doit être appréciée à l'aune de la pratique de ces dernières années où l'exécutif n'a pas suivi, sur chaque nomination importante du parquet, les avis défavorables du CSM. Le pouvoir exécutif garde donc la main sur la procédure de nomination et le garde des sceaux peut assister aux séances des formations du CSM : où est le progrès ? Où est le changement ?

Nous continuons à demander que la formation du CSM compétente à l'égard des magistrats du parquet puisse rendre des avis conformes, d'autant que le procureur de la République est progressivement devenu, après les réformes successives, le seul arbitre d'une grande partie du contentieux pénal. À ce titre, son impartialité et son objectivité n'en sont que plus déterminantes.

Dans votre projet, les magistrats seront minoritaires, ce qui constitue une double exception par rapport à nos voisins européens et par rapport aux autres organes professionnels disciplinaires. D'une part, cette conception est isolée au niveau européen. Votre projet est en totale contradiction avec les nombreux textes européens qui consacrent au moins la parité, au plus, la majorité. Le respect de ces recommandations a d'ailleurs fait partie des critères d'adhésion à l'Union européenne de la Bulgarie et la Roumanie ! D'autre part, cet article fait de la magistrature le seul corps français à être sanctionné par une minorité de ses membres. Ainsi, tous les organes équivalents sont composés d'une majorité des membres du corps concerné.

À la lumière de tous ces éléments, nous vous demandons la parité, seule à même d'assurer le nécessaire équilibre qui sied à cet organe et qui assure, aux yeux des citoyens son indépendance.

Quant aux personnalités extérieures, notre déception est grande, leur mode de désignation n'offrant pas toutes les garanties d'impartialité nécessaires.

« Nos concitoyens soupçonnent la justice d'être parfois soumise à l'influence du Gouvernement et de ne pas suffisamment garantir le respect des libertés individuelles ». Cette citation est de Jacques Chirac dans sa lettre de mission du 21 janvier 1997 à la commission de réflexion sur la justice présidée par M. Pierre Truche. Pensez-vous sincèrement, plus de dix après, que la réforme proposée est à la hauteur des enjeux et des exigences d'une société démocratique ?

À l'occasion de cette deuxième lecture, nous pouvons encore corriger la réponse négative à cette interrogation ; nos amendements vous y aideront ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

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