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Intervention de Jean-Louis Borloo

Réunion du 18 novembre 2008 à 9h30
Paquet énergie-climat — Déclaration du gouvernement et débat sur cette déclaration

Jean-Louis Borloo, ministre d'état, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire :

Madame la présidente, mesdames, messieurs, permettez-moi d'abord, au nom de Jean-Pierre Jouyet et de moi-même, de remercier le président de la commission des affaires économiques, Patrick Ollier, et le président de la commission des affaires européennes, Pierre Lequiller, ainsi que les membres de ces deux commissions d'avoir voulu ce débat à quelques semaines de négociations capitales pour l'avenir de l'Europe et, probablement, du reste du monde.

Je voudrais associer à ces remerciements Bernard Deflesselles et Jérôme Lambert, rapporteurs au nom de la commission des affaires européennes de la mission « Énergie-climat », pour leur travail très approfondi – comprenant plusieurs voyages assez passionnants, destinés notamment à anticiper le comportement de la future administration américaine –, leur engagement et leur soutien.

Nous entrons dans la dernière ligne droite, avant les rendez-vous de Poznan en décembre 2008 et de Copenhague en décembre 2009, à un moment où le monde hésite encore entre l'aurore et le crépuscule, où de nombreux États se disent prêts à s'engager mais pas tout seuls, à accélérer la mutation mais à condition qu'on les accompagne, à revoir leurs modes de production et de consommation mais à condition de ne pas risquer de perdre de la compétitivité.

Oui, le monde a les yeux rivés sur l'Europe en fin de présidence française de l'Union européenne, car ce qui va se passer dans les semaines qui viennent en Europe sera au fond une sorte de répétition, une anticipation de ce qui se passera dans la grande négociation mondiale.

Le « paquet énergie-climat », c'est le paquet du « comment faire », le paquet d'une transition énergétique, économique et technologique à la fois massive et maîtrisée, avec un mode opératoire, des mécanismes de solidarité et une méthode partagée.

Pour la première fois de l'histoire moderne, des économies différentes tentent de changer leurs paradigmes. Jamais un développement économique n'aura été aussi lié à ses conditions énergétiques.

Le « paquet énergie-climat », c'est la première économie du monde – 450 millions de consommateurs, 15 % des émissions de gaz à effet de serre – qui tente de démontrer que le développement durable est possible à l'échelle de vingt-sept États, et ce en dépit d'histoires industrielles, climatiques, géographiques, économiques très différentes. C'est, pour les autres continents, la démonstration qu'un de leurs principaux partenaires est d'ores et déjà engagé, la prueve que c'est possible.

Les trois objectifs, vous les connaissez, ce sont les fameux « trois fois vingt » : 20 % de réduction des émissions par rapport à 1990, 20 % d'énergies renouvelables et 20 % de l'amélioration de l'efficacité énergétique en 2020.

La Commission européenne a traduit ces objectifs en cinq grands projets de réglementation : la directive ETS, ou système d'échange de quotas de CO2 pour l'industrie et les fournisseurs d'énergie, qui vise à réduire de 21 % d'ici à 2020 les émissions des industries ; la directive dite du partage de l'effort, dont l'objectif est de réduire de 10 % d'ici à 2020 les émissions de gaz à effet de serre des secteurs non soumis au système ETS tels que le bâtiment, les transports ou l'agriculture ; la directive sur les énergies renouvelables, dont le but est de porter la part de ces énergies d'un peu plus de 8 % en 2006 à 20 % – 10 % dans les transports – d'ici à 2020 ; la directive sur le captage et le stockage du carbone, qui vise à encadrer les conditions de stockage du carbone ; enfin, la réglementation des émissions de CO2 des véhicules automobiles, dont l'objectif est de ramener de 160 à 120 grammes entre 2006 et 2012 les émissions de CO2.

Avant d'entrer dans le détail de négociations qui, par nature, sont mouvantes, on peut faire quatre séries de remarques d'ordre général.

Tout d'abord, ce paquet, qui est complexe, forme un tout cohérent, indépendant et équitable, où chacun doit pouvoir trouver sa place et apporter sa contribution en fonction de ses caractéristiques industrielles, énergétiques ou géographiques.

L'objectif de la présidence française est clair. Un paquet de cette importance aurait normalement nécessité plusieurs années. En raison du calendrier mondial – les échéances démocratiques au Parlement européen et, surtout, les rendez-vous de Poznan et de Copenhague –, tous les acteurs souhaitent essayer d'obtenir un accord d'ici au 11 ou au 12 décembre. C'est une tâche évidemment très difficile, mais nous n'avons pas d'échappatoire.

Cet objectif, qui avait été fixé lors du Conseil européen sous présidence allemande, a été réitéré en octobre sous la présidence de Nicolas Sarkozy, alors même que certains États, devant la crise, manifestaient leur inquiétude et souhaitaient différer toute décision. Il y avait indiscutablement des tensions, et il a fallu un engagement très fort du président français pour que nous continuions à avancer dans ce domaine. L'accord d'octobre a donc été la confirmation de celui qui avait été obtenu sous présidence allemande.

Le Parlement européen, quant à lui, a souhaité avancer son vote en plénière, après l'adoption d'un certain nombre de rapports. Il a tendance, parce qu'il entre lui-même dans une phase particulière de son calendrier, à adresser des signaux aux différents gouvernements. Il y a donc un risque, du fait de l'existence, d'un côté, d'un Parlement très engagé et, de l'autre, de gouvernements inquiets sur les conséquences à court terme d'une telle transition, même si personne ne conteste que celle-ci soit absolument nécessaire et qu'elle permette sans doute, à terme, d'améliorer la compétitivité de l'industrie européenne.

Nous sommes entrés dans une phase cruciale de cette discussion. Je vais rencontrer cet après-midi les différents rapporteurs, en compagnie de Jean-Pierre Jouyet, sous l'autorité de qui la présidence française, je le souligne, a fait un travail essentiel, à la fois technique et politique dans toute la noblesse du terme.

Il n'y a pas, dans cette affaire, de posture politique ou politicienne des États membres. Nous ne sommes pas dans une négociation comme celles portant, par exemple, sur les fonds structurels, où chacun prend des positions susceptibles de lui permettre d'obtenir davantage d'argent. Nous sommes dans une sorte de paradoxe positif : nous sommes conscients de devoir agir parce que l'enjeu est vital, mais de devoir le faire dans des conditions telles que le résultat de chaque directive soit socialement acceptable et positif.

Nous voyons bien qu'il faut trouver, dans le cadre de la directive ETS, des systèmes de progressivité et de solidarité financière permettant d'assurer la transition énergétique des pays aux économies les plus « carbonées ». Les performances énergétiques de l'industrie vont, en Europe, du simple au triple selon les pays, les émissions de carbone du simple au quadruple, voire au quintuple dans certains secteurs. Cela donne une idée de la difficulté à laquelle nous sommes confrontés.

Oui, des enchères de l'électricité doivent être organisées, mais il faut trouver un mode de régulation qui n'entraîne pas une augmentation massive des tarifs pour le consommateur final, qu'il s'agisse des ménages ou de l'industrie. Nous sommes en train de tracer des voies de passage qui assurent cette transition sans créer un risque de concurrence déloyale sur le marché intérieur.

En ce qui concerne les risques de « fuite de carbone », nous travaillons sur deux hypothèses, non exclusives l'une de l'autre : celle d'une progressivité des enchères et celle d'un mécanisme d'inclusion carbone tel que l'envisagent les États-Unis dans le cadre de leur propre paquet – M. Deflesselles l'évoquait avec moi l'autre jour, lorsque nous nous sommes rencontrés. L'argument selon lequel cela poserait un problème de liberté commerciale ne nous paraît pas pertinent ; le choix des mécanismes devra simplement être arrêté ultérieurement.

Pour le moment, il s'agit essentiellement de déterminer ce qui est souhaitable pour des secteurs particulièrement vulnérables car exposés à des surcoûts potentiellement très élevés en termes de compétitivité ainsi qu'à des risques de délocalisation. Certains, comme nos amis allemands, souhaiteraient que ne soit retenu qu'un seul critère, et que nous renoncions à la progressivité ; il convient de trouver une solution acceptable par tous.

En sommes, nous nous trouvons, en l'état actuel de la négociation, en présence de trois grands blocs. Le premier est notamment constitué des pays Baltes, qui se sont engagés, aux termes du traité, à démanteler leurs centrales nucléaires et constituent, en raison de leur situation géographique particulière, une véritable île énergétique. Ces pays posent un certain nombre de problèmes techniques, matériels et financiers spécifiques.

Le deuxième bloc englobe des pays dont l'industrie est sensiblement moins performante au plan énergétique, car très « carbonée ». L'exemple le plus criant est la Pologne. Il nous incombe de trouver pour ces pays des systèmes de progressivité qui ne modifient en aucun cas les objectifs globaux ni le calendrier final, c'est-à-dire l'échéance de 2020, mais qui restent acceptables par les autres pays.

Enfin, les pays du troisième bloc, s'ils n'ont pas de soucis majeurs dans le cadre de ce processus, sont très attentifs au coût de la solidarité et à l'utilisation des deniers issus des différentes mises aux enchères, et en particulier au choix, ou non, de la pré-affectation.

Mesdames et messieurs les députés, je vous remercie pour notre présent échange. Le Gouvernement sera très attentif à votre regard, à vos avis et à vos conseils, après toutes les auditions que vous avez pu conduire, y compris au niveau international. Nous débattrons cet après-midi du calendrier avec les rapporteurs et les présidents des groupes politiques. Est-il nécessaire que le Parlement européen se prononce d'abord en « mini-plénière », au risque de mettre à jour des divergences d'appréciation importantes avec un certain nombre de pays, voire de fournir des prétextes à ceux qui ne souhaitent pas que le « paquet énergie-climat » soit adopté ? Nous en parlerons très librement. Je sais que les parlementaires sont très attachés à ce paquet, et je suis donc sûr que nos conversations, cet après-midi, seront très utiles.

La suite du processus sera marquée par une réunion avec les nouveaux États membres le 6 décembre, à Poznan, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, après que se seront tenus, les jours précédents, les conseils des ministres de l'énergie et de l'environnement. La réunion des chefs d'État et de gouvernement aura lieu, quant à elle, peu avant la fin de la conférence de Poznan.

Les « trilogues » entre la Commission, le Parlement et le conseil se passent formidablement bien sur le plan technique. Il y a quelques mois, le dossier paraissait techniquement insurmontable, et je dois dire que notre représentation permanente est vraiment à la hauteur des enjeux et a accompli un travail éblouissant.

En fin de processus, il y aura forcément un engagement fort des chefs d'État et de gouvernement. Ce paquet ne peut en effet fonctionner sans l'engagement unanime des États ; nous ne pouvons proposer une telle modification du fondement économique et social de la vie de 450 000 citoyens européens sans un processus politiquement engagé.

La tentation est forcément grande, dans tous les parlements nationaux, voire au Parlement européen, de refuser l'obstacle, de se dire : « à quoi bon ? », « attendons Copenhague », « attendons la formation de la nouvelle administration américaine », ou encore : « étant donné la crise financière, industrielle et sociale, ce n'est pas le moment »... C'est ne pas comprendre que ce qui ne sera pas fait aujourd'hui coûtera beaucoup plus cher demain en termes de productivité et de compétitivité. Si nous n'agissons pas aujourd'hui, dans des conditions qui restent parfaitement supportables par nos économies et nos démocraties, nous entrerons dans l'irréversible et toute évolution deviendra impossible.

En tout état de cause, comment pourrions-nous rencontrer à Alger, jeudi, nos homologues africains – dont nous espérons qu'ils parviendront à des positions communes à Poznan, puis à Copenhague – et leur parler de changement de paradigme au niveau mondial si l'Europe, qui est en cette affaire, qu'on le veuille ou non – nous l'avons vu à Bali –, le chevalier blanc, n'adopte pas ce paquet ? Je ne vois pas comment un accord serait possible à Copenhague sans ce préalable.

En revanche, si nos vingt-sept pays, qui présentent des écarts de richesse de un à dix et des histoires industrielles et énergétiques mais aussi des climats très différents, parviennent à se mettre d'accord sur un processus public évaluable, contrôlable et financé, enclenchant ainsi un changement de tendance historique, je crois que ce serait un grand espoir pour Copenhague. (Applaudissements sur les bancs des groupes UMP et NC.)

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