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Intervention de Jérôme Cahuzac

Réunion du 17 décembre 2008 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2009 — Exception d'irrecevabilité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJérôme Cahuzac :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'exception d'irrecevabilité est un exercice difficile, comme le savent tous les parlementaires qui s'y sont déjà livré ; il est d'autant plus difficile lorsqu'il porte sur une loi de finances, tant il est rare qu'un texte de cette nature soit déclaré non conforme à la Constitution. Certes, il y a eu par le passé quelques rares exceptions, mais nul doute que le juge constitutionnel, s'il était saisi, validerait l'essentiel des articles de ce projet de loi de finances – ce que nous regrettons, tout en le reconnaissant lucidement.

Il est difficile également de s'exprimer au sujet d'une loi de finances comportant près de 90 articles lorsqu'on ne dispose que d'un quart d'heure pour cela. Je ne pourrai donc pas m'étendre sur le détail de telle ou telle mesure, comme l'ont fait M. le ministre, M. le rapporteur général et M. le président de la commission des finances. Je crois que nous pouvons d'ores et déjà nous accorder sur certaines données objectives, notamment celles relatives au déficit du budget de l'État. Voté initialement à une cinquantaine de milliards d'euros, ce déficit s'établira à un peu moins de 60 milliards d'euros si nous votons ce texte et, comme nous en sommes malheureusement tous convaincus, il atteindra au moins 80 milliards d'euros à la fin de l'année prochaine. C'est donc à un doublement du déficit budgétaire en deux ans que nous allons assister. Je ne suis pas sûr qu'une telle situation se soit déjà produite en France, même si, j'en conviens, il faut y voir pour partie les effets de la crise.

La crise est là, en effet, une crise que le pouvoir exécutif refusait encore de reconnaître il y a un an. Il y a quelques mois, certains membres éminents du Gouvernement nous expliquaient que la croissance ne serait pas touchée par la crise financière, de la même manière qu'ils avaient été incapables de prévoir l'ampleur de la crise économique et sociale qui avait précédé en début d'année, en dépit de l'explosion des chiffres du chômage au premier trimestre.

Face à la crise, tous les pays font jouer ce qu'il est pudiquement convenu d'appeler les stabilisateurs automatiques, admettant le principe qu'à défaut de disposer des ressources suffisantes pour relancer l'économie, il faut se résoudre à emprunter, donc à accroître les déficits. Au terme de ce processus, l'ensemble des États concernés – à l'exception de l'Italie – parviendront au niveau de déficit où nous nous situons actuellement. Cela est dû au fait que, ces dernières années, nous n'avons pas été aussi sages que la plupart de nos voisins européens. Nous sommes ainsi passés d'un stock de dettes inférieur à 57 % du PIB en 2001 à un stock qui atteindra probablement 70 % dans deux ans, voire dès l'année prochaine.

Au moment où la majorité précédant celle d'aujourd'hui – c'est-à-dire pratiquement la même – et les ministres d'alors laissaient déjà filer les finances publiques de la France, d'autres pays faisaient déjà preuve d'une plus grande sagesse, qu'il s'agisse de l'Allemagne, de l'Espagne ou de la Grande-Bretagne. Cette sagesse est aujourd'hui récompensée puisque, pour les pays concernés, le fait de laisser jouer les stabilisateurs automatiques portera la dette à un niveau très inférieur à celui que nous allons malheureusement atteindre au terme de plusieurs années d'imprévoyance, et que nous laisserons en héritage aux générations futures.

Il est d'ailleurs étonnant de constater un tel processus, car il est rare de voir les dettes s'accroître alors que les prélèvements augmentent en nombre ou en volume. Même si ce n'est pas la majorité actuelle qui a voté toutes les augmentations d'impôts et toutes les taxes mises en oeuvre depuis 2002, reconnaissez, mes chers collègues, que vous ne vous êtes pas montrés avares sur ce point ! (« Et les régions socialistes ? » sur les bancs du groupe UMP.) Vous avez décidé en 2004 d'augmenter la CSG pour les retraités imposables, d'augmenter la TIPP sur le gazole – c'est, me semble-t-il, à un ministre de l'économie nommé Nicolas Sarkozy que nous devons cette hausse de 2,50 euros par hectolitre, qui rapporte à peu près un milliard d'euros par an au budget –, d'augmenter le forfait hospitalier de près de 15 %, d'instituer un forfait d'un euro non remboursé par consultation, de mettre en oeuvre les franchises médicales, d'instaurer une taxe sur les mutuelles et une autre sur les fonds de participation débloqués par les salariés. Vous venez de voter, il y a quelques instants, deux nouvelles taxes sur la téléphonie mobile et sur Internet. Enfin, vous avez instauré, afin de financer le RSA, une taxe dite « sur le capital » mais touchant en réalité essentiellement les classes moyennes, puisqu'elle porte sur les assurances-vie et les loyers de petits appartements.

Tout cela fait beaucoup, l'énumération à laquelle j'ai procédé n'étant d'ailleurs pas exhaustive : on pourrait encore citer la taxe sur les véhicules polluants ou celle sur les crustacés, poissons et mollusques – puisque même ces créatures n'ont pu échapper à votre opiniâtreté. Il n'y a guère que les gobelets en plastique qui, jusqu'à présent, y aient échappé – très provisoirement, sans doute, car il vous faut bien trouver sans cesse de nouvelles ressources si vous ne voulez pas que la France reste le plus mauvais élève de la Communauté européenne.

Les déficits filent, les taxes s'accumulent, les prélèvements augmentent, et il paraît d'ores et déjà acquis que la promesse du candidat Nicolas Sarkozy de réduire les prélèvements obligatoires de quatre points de PIB – soit 76 milliards d'euros – ne sera pas tenue. Il serait temps que le Gouvernement reconnaisse clairement que cette promesse ne sera pas tenue lors de la mandature actuelle – à moins, monsieur le ministre, que la perspective de passer de 80 à 150 milliards d'euros de déficit budgétaire ne vous effraie pas. Les premiers milliards de déficit sont sans doute plus pénibles,mais une fois que le pli est pris… Il n'est donc pas exclu, au point où nous en sommes, qu'il se trouve une majorité parlementaire pour laisser les finances de l'État se dégrader à un tel point. Pour ma part, toutefois, je ne crois pas que nous en arriverons à cette situation, car je vous sais responsable, monsieur le ministre. J'espère donc que vous préférerez reconnaître clairement que cette promesse ne sera pas tenue.

Le déficit de la sécurité sociale va également s'aggraver, car ses finances sont extrêmement sensibles à l'évolution de la masse salariale. Alors que les déficits filent et que les taxes s'accumulent, les plans de licenciement sont chaque jour plus nombreux. On le constate dans tous les secteurs, qu'il s'agisse de la pharmacie – 700 emplois supprimés chez Pfizer, 900 chez Sanofi –, de l'informatique – 300 ou 400 emplois supprimés chez Hewlett Packard –, de l'industrie alimentaire – 300 emplois supprimés chez Amora –, du travail temporaire – près de 500 emplois supprimés chez Adecco –, de l'automobile – sans doute 15 000 à 20 000 emplois prochainement supprimés –, sans parler du chômage technique, avec les conséquences que l'on imagine sur la rémunération des salariés concernés, qui ne sont pas près de faire les heures supplémentaires dont vous attendiez tant de miracles pour la consommation et pour l'économie en général !

C'est également vrai pour Alcaltel-Lucent, qui s'apprête à licencier un millier de cadres. Il est à noter que tous ne sont pas remerciés dans les mêmes conditions, puisque Mme Patricia Russo devrait recevoir, pour prix de son incurie, quelque 6 millions d'euros sous forme de parachutes dorés et autres bonus.

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