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Intervention de Thierry Mariani

Réunion du 30 janvier 2008 à 15h00
Nationalité des équipages de navires — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaThierry Mariani :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j'avais jusqu'à présent l'habitude de dire, dans les réunions publiques que j'organise chaque mois dans ma circonscription, que l'on peut expliquer l'apparente absence des députés dans l'hémicycle, à certains moments, par leur spécialisation.

Je n'hésitais alors pas à démontrer que l'on a plus de compétence pour discuter des textes portant sur la viticulture française quand on est élu dans la Beauce et que, réciproquement, mes collègues députés du littoral français ont, sinon une légitimité, tout au moins une connaissance plus grande pour discourir sur nos bancs des quotas de pêche ou de la taille des filets.

Le Vaucluse n'étant pas connu pour ses jolis ports de pêche, je vais prendre le contre-pied de l'argument que je viens d'évoquer, non par esprit de contradiction, mais parce qu'il me semble sérieusement que le projet de loi qui nous est soumis est une illustration parfaite des enjeux de notre temps et de la manière dont nous devons les aborder. J'aurais pu résumer le tout en parlant de « pragmatisme » ou de « réalisme ». Mais, puisque dix minutes me sont accordées, je vais m'efforcer de pousser un peu plus loin mon propos. Je vais donc m'expliquer.

Je ne reviendrai pas longuement sur le coeur du problème posé par ce texte, si ce n'est pour souligner que le dispositif qui nous est proposé me semble être suffisamment encadré pour que nous l'acceptions. C'est d'ailleurs ce que nous a rappelé le rapporteur, spécialiste de ces questions, et dont chacun dans notre hémicycle connaît le travail.

L'ouverture, puisque c'est ce dont il s'agit, des fonctions de capitaine et de second des navires battant pavillon français aux ressortissants de la Communauté européenne, ainsi qu'aux ressortissants de l'Islande, de la Norvège, du Liechtenstein, sans oublier nos amis suisses, est en effet encadrée.

La première condition posée est la détention par le capitaine d'un brevet reconnu par la France. Il ne s'agit pas de confier un porte-conteneurs long de 400 mètres à n'importe qui. Les mécanismes de reconnaissance mutuelle des brevets de pilotage existent, et ils sont bien entendu pleinement pris en compte dans le dispositif qui nous est proposé.

D'autre part, le projet de loi dispose que les prétendants étrangers au poste de capitaine et de second devront justifier d'un niveau de langue française et de la possession de connaissances juridiques permettant la tenue des documents de bord et l'exercice des prérogatives de puissance publique. À ce sujet, monsieur le secrétaire d'État, j'ai constaté que la liasse contenait une série d'amendements du Gouvernement visant à revenir sur la modification apportée par nos collègues sénateurs, qui proposait de sanctionner la connaissance de la langue française par un diplôme. Je les voterai, naturellement, mais, je l'avoue, je pense à titre personnel qu'une solution intermédiaire aurait pu être trouvée. Exiger que l'on connaisse la langue française est une chose ; vérifier que cette exigence est bien remplie en est une autre.

Sur le dispositif, je n'ai donc aucun grief majeur à formuler dans la mesure où, je le répète, il me paraît particulièrement bien encadré. Pour parler clairement, la modification de notre législation n'entraînera pas, demain, une arrivée massive de capitaines étrangers inexpérimentés.

Néanmoins, monsieur le rapporteur, j'ai suivi votre démonstration, qui a du moins le mérite d'apporter un éclairage historique sur un sujet où votre compétence est reconnue sur tous les bancs de notre hémicycle. J'ai aussi compris les craintes de certains de nos collègues, qui voient dans cette mesure une perte de l'influence de la France et, disons-le franchement, de sa souveraineté. J'ai pu ainsi noter que, sur le sujet qui nous intéresse, deux écoles se font face. La première, appelons-la « colbertiste », considère que, à bord d'un navire battant pavillon français, le capitaine et son adjoint doivent être obligatoirement de nationalité française. La seconde école, inspirée du droit européen, considère en revanche que la France doit s'adapter au principe de libre circulation des travailleurs en acceptant toutes les nationalités européennes aux postes de capitaine ou de second à bord d'un navire français.

Je salue votre travail et l'intérêt intellectuel de la démonstration que vous menez dans votre rapport sur un sujet aussi délicat. J'ai par ailleurs parfaitement compris le dispositif que vous avez proposé devant la commission des affaires économiques et qui consiste, pour résumer, à distinguer le trafic maritime de courte distance et le commerce de long cours.

Je ne crois pas faire partie des parlementaires enclins à brader notre souveraineté, pas plus que je ne figure parmi les euroconvaincus de la première heure que compte l'Assemblée. Je suis donc d'autant plus à l'aise pour soutenir le projet de loi, qui ne consiste en fait qu'à mettre en application l'un de nos engagements européens. Il est donc inutile que je rappelle à mon tour la chronologie des événements qui ont conduit la Commission européenne à introduire, le 15 février 2007, un recours en manquement contre la France.

Mais c'est dans cette mesure que la distinction entre l'école colbertiste et l'école européenne est la clé de notre débat. L'école colbertiste repose sur un système historique, qui existe depuis bientôt plus de quatre siècles et demi, mais qui n'est, précisément, qu'historique. La thèse colbertiste ne vient pas s'opposer à l'idée d'une France intégrée dans un ensemble européen. Il s'agit là de deux thèses qui ne s'opposent pas, mais qui se suivent dans le temps, qui succèdent l'une à l'autre. Et c'est précisément parce que la France a fait le choix politique de l'Europe que nous ne pouvons nous extraire des règles communautaires relatives à la liberté de circulation des travailleurs européens.

Je ne suis pas, loin s'en faut, en train d'expliquer que nous, Français, devons tout accepter au nom de l'Europe. Le député vauclusien qui est devant vous n'a pas, selon sa propre démonstration, à s'en tenir aux dossiers viticoles. Je ne pense pas – je l'ai montré – que nous devions céder sur tous les sujets, quand l'Europe nous fait des propositions dans ce domaine. Mais je crois, dans le même temps, et ce projet de loi en est l'illustration, qu'il ne sert à rien de s'accrocher à des sujets qui ne relèvent pour l'essentiel – pardon de vous le dire – que de la symbolique. Je ne vois pas, en effet, en dehors du symbole, ce qui différencie, aux commandes d'un navire, un bon capitaine d'un autre, quand bien même l'un d'entre eux ne serait pas français mais, par exemple, suisse. Je ne prétends pas, répétons-le, que la symbolique ou que l'image que l'on se fait de la France n'aient pas lieu d'être dans le débat public, mais je considère, dans le cas présent, que les enjeux que nous soulevons sont bien plus importants encore.

Force est de constater en effet que la France, grande puissance maritime historique, n'occupe pas aujourd'hui le rang qui devrait être le sien. Placé, dans les années 60, au quatrième rang mondial, le pavillon français n'occupe plus aujourd'hui que la vingt-neuvième place. Par ailleurs, la loi sur le Registre international français, le RIF, n'a pas encore permis d'attirer sous pavillon français un nombre suffisant de navires. En outre, la situation de l'emploi maritime est marquée par une crise de vocations qui doit faire l'objet d'une attention particulière de la part des pouvoirs publics. Voilà pour le tableau non de la symbolique mais de la réalité. Il est intéressant d'examiner le présent projet de loi à la lumière de ces éléments cruciaux pour l'avenir du monde maritime français.

S'agissant du Registre international français, par exemple, je crois que l'ouverture aux capitaines européens est de nature à préserver son attractivité. En effet, la Commission européenne a lié la validation du système d'exonération fiscale du RIF à l'ouverture des fonctions de capitaine aux ressortissants communautaires. Récemment encore, quelques jours avant Noël, la Commission a rappelé que, si les autorités françaises ne modifiaient pas leur législation, elle ouvrirait contre elles une procédure pour aide d'État illicite. La France devra alors rembourser des sommes très importantes, et l'avenir du RIF, pensé comme le dispositif principal pour développer la flotte française, sera sérieusement remis en cause.

De même, pour rester dans le registre de la réalité, j'analyse ce projet de loi comme un moyen d'éviter le dépavillonnement des navires…

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