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Intervention de Danielle Bousquet

Réunion du 26 juillet 2007 à 9h30
Convention sur la lutte contre la traite des êtres humains — Discussion d'un projet de loi adopté par le sénat

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Bousquet, rapporteure de la commission des affaires étrangères :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le Sénat a adopté, le 26 juin dernier, le projet de loi autorisant la ratification de la convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains du 16 mai 2005, que la France a signée le 22 mai 2006.

Il est rare qu'un délai aussi court sépare les étapes successives, de la procédure préalable à la ratification d'un accord international. Cette rapidité a été rendue possible par le fait que le droit et la pratique de notre pays dans ce domaine ont déjà, tout au moins en partie, anticipé les exigences de la convention, notamment sous l'influence du protocole de Palerme du 15 novembre 2000, dont la France était aussi l'un des premiers États parties.

La convention du Conseil de l'Europe vise à préciser, développer et compléter les stipulations de ce protocole des Nations unies à l'échelle de notre continent dont le niveau de vie moyen ne préserve nullement de la traite des êtres humains qui se nourrit, en effet, des inégalités de richesses entre continents, entre États, voire entre régions d'un même État.

La traite des êtres humains est un phénomène global qui constitue l'esclavage des temps modernes et qui implique le recrutement, le transport d'hommes ou de femmes ou d'enfants en vue de les exploiter, particulièrement dans deux domaines : le travail forcé et la prostitution.

Le Bureau international du travail estime que ce sont environ 2,5 millions de personnes qui, chaque année, sont victimes de ce trafic, qu'il soit transfrontalier ou interne. Selon le Département d'État américain, 800 000 à 900 000 personnes franchiraient chaque année une frontière internationale de manière frauduleuse dans le cadre de la traite.

Chaque année, ce sont entre 8 et 10 milliards de dollars que la traite des êtres humains rapporte à ceux qui l'organisent, ces bénéfices étant ensuite réinvestis dans d'autres activités criminelles. Ce trafic constituerait la troisième source de revenus illicites dans le monde après le trafic d'armes et celui de stupéfiants, et il serait même sur le point de dépasser ces derniers, dans la mesure où il serait, pour le moment, moins « dangereux ».

Selon Europol, les principaux pays européens d'où proviennent les victimes de la traite sont les pays de l'ancien bloc soviétique – la Moldavie, l'Ukraine, la Bulgarie, la Roumanie, la Fédération de Russie et l'Albanie. Les trafiquants sont, le plus souvent, eux-mêmes originaires des pays dont ils exploitent les ressortissants. L'Europe de l'Ouest accueille également des victimes de la traite arrivant de pays d'Afrique du Nord et d'Afrique noire. Les destinations les plus courantes sont l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, l'Espagne, la France, la Grèce, l'Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni.

Notre pays ne se distingue guère de ses voisins puisqu'il est également destinataire de victimes de la traite d'êtres humains, principalement à des fins d'exploitation sexuelle et, dans une moindre mesure, d'esclavage domestique. Selon la police, 90 % des 15 000 à 18 000 prostituées sont victimes d'un trafic et entre 3 000 et 8 000 enfants travaillent, mendient ou se prostituent de force.

Le rapport sur les diverses formes de l'esclavage moderne, publié en décembre 2001, à l'issue d'une mission d'information, a contribué à la prise de conscience de l'ampleur du phénomène et du caractère insupportable du sort fait aux victimes du trafic d'êtres humains.

La convention du Conseil de l'Europe tend à renforcer la protection assurée par le protocole de Palerme et à développer les normes qu'il énonce tout en précisant ses stipulations et en renforçant ses exigences. L'accent est davantage mis sur la protection des droits des victimes de la traite.

La convention, adoptée le 16 mai 2005 à Varsovie, a été signée par trente-six États, tous membres du Conseil de l'Europe. En application de son article 42, son entrée en vigueur est conditionnée à dix ratifications – dont huit d'États membres du Conseil. Seuls sept d'entre eux ont à ce jour achevé la procédure, et l'on comprend tout l'intérêt de la voir ratifier à son tour par la France

Bien qu'elle ne soit pas encore en vigueur, le droit français est déjà largement conforme aux stipulations de cet accord international, sauf dans le domaine de la prévention et dans celui de la mise en oeuvre de mesures visant à décourager la demande.

La convention reproduit la définition que le protocole de Palerme donne de la traite, mais son champ d'application est plus large dans la mesure où il s'applique « à toutes les formes de traite des êtres humains, qu'elles soient nationales ou transnationales et liées ou non à la criminalité organisée ». Elle repose, en outre, sur une stratégie en trois volets.

Le premier, qui tend à prévenir la traite, comporte essentiellement des actions de prévention proprement dite et de sensibilisation, ainsi que des mesures destinées à décourager la demande : les acheteurs de services sexuels, par exemple, se rendent en fait complices de proxénètes et de réseaux criminels, favorisant par là même l'exploitation des personnes par les réseaux de traite qui n'hésitent pas à utiliser des méthodes coercitives de toutes sortes – enlèvement, séquestration, torture, viol systématique, chantage, menace de mort, etc.

Je tiens à insister sur le caractère fondamental des actions d'information et de prévention, dans la mesure où tout reste à faire en France en matière de découragement de la demande. Une réflexion doit être lancée sur les moyens à mettre en oeuvre en la matière, car c'est en s'attaquant à la demande, c'est-à-dire à la source de profit de ce sinistre marché, que les pouvoirs publics pourront mener l'action la plus efficace.

Le deuxième volet s'attache à la protection des victimes, c'est-à-dire à leur identification comme victime, ce qui leur donne droit aux dispositions de protection et d'assistance. Une personne qui réussit à quitter le milieu de la traite des êtres humains se trouve généralement dans une situation de grande précarité et d'extrême vulnérabilité : c'est pourquoi les États doivent fournir une assistance aux victimes.

La France se conforme, depuis 2003, aux stipulations de la convention relatives au permis de séjour qui doit être délivré aux victimes, si cela est jugé nécessaire, en raison « de leur situation personnelle » ou « de leur coopération avec les autorités compétentes aux fins d'une enquête ou d'une procédure pénale ».

Le troisième volet de la convention, enfin, porte sur la punition des responsables. C'est ainsi que toute une série d'infractions se voient conférer un caractère pénal, qu'il s'agisse de la traite des êtres humains elle-même, des actes relatifs aux documents de voyage ou d'identité, telle la fabrication de faux, ou encore de la complicité. Sur tous ces points, le droit français est conforme aux stipulations de la convention. Seules certaines exigences relatives aux règles de compétence nécessiteront une modification de la loi afin de permettre aux juridictions françaises d'exercer leur compétence, s'agissant de faits commis à l'étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français, sans que la double incrimination des faits, la plainte préalable de la victime ou la dénonciation officielle des faits par les autorités de l'État sur le territoire duquel ces derniers ont eu lieu soient nécessaires. Dans l'attente de cette modification législative, le Gouvernement a l'intention de faire une déclaration sur le sujet lors du dépôt de l'instrument de ratification.

Pour que la lutte contre la traite des êtres humains soit la plus efficace possible, la convention, enfin, pose les principes d'une coopération internationale et met en place un mécanisme de suivi qui repose à la fois sur une instance technique et sur une instance plus politique, tout en impliquant la société civile.

Par rapport au protocole de Palerme, la convention du Conseil de l'Europe constitue un progrès sur trois points principaux. Elle affirme, d'abord, que la traite constitue une violation des droits de la personne humaine et une atteinte à la dignité et à l'intégrité de l'être humain. Elle vise, ensuite, tous les types de traite. Elle met, enfin, en place un mécanisme de contrôle.

Même si elle respecte d'ores et déjà la plupart des exigences de la convention, sauf, je le répète, en matière de prévention, la France a tout intérêt à ratifier ce nouvel instrument international puisqu'elle contribuera ainsi à en accélérer l'entrée en vigueur, laquelle ne dépendra plus que de deux autres ratifications.

Je forme le voeu que cette entrée en application conduise le Gouvernement à renforcer le nombre et les moyens des centres d'accueil sécurisés, mettant les victimes à l'abri des trafiquants, et permette, enfin, de lutter vraiment contre la traite et non contre les victimes.

Notre pays doit se doter d'armes supplémentaires dans la lutte nécessaire contre le trafic d'être humains : c'est pourquoi la commission des affaires étrangères a adopté à l'unanimité le présent projet de loi. (Applaudissements sur tous les bancs.)

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