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Intervention de Martine Billard

Réunion du 21 juillet 2009 à 9h30
Protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMartine Billard :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre de la culture, mes chers collègues, une nouvelle fois, nous sommes appelés à légiférer sur les droits d'auteur et les droits voisins sur internet. Il est vrai que, dans son discours de Versailles, le Président de la République nous avait avertis, annonçant qu'il irait jusqu'au bout. Nous en voyons ici l'illustration : dans un calendrier parlementaire pourtant surchargé, on fait place nette pour réintroduire au plus vite les dispositions censurées par le Conseil constitutionnel, en essayant d'éviter d'être censuré une seconde fois.

Avant d'en venir au fond, je commencerai par quelques remarques de forme. Une nouvelle fois – une fois de plus, une fois de trop –, les conditions dans lesquelles nous sommes amenés à légiférer témoignent de la dégradation du Parlement : les députés n'ont eu que quarante-huit heures pour rédiger leurs amendements avant l'examen du texte en commission, et vingt-quatre heures après les travaux de la commission pour déposer ceux qui seraient discutés en séance. Le rapport n'a été disponible que lundi vers seize heures : les rapporteurs et les fonctionnaires ne pouvaient pas aller plus vite. Mais le Président de la République exigeait qu'on ne le fasse pas attendre.

Pas plus qu'au Sénat, le texte n'a été soumis pour avis à la commission des lois. Je ne me plains pas qu'on ait choisi de saisir au fond la commission des affaires culturelles, mais un des principaux points du texte consistant en l'extension des ordonnances pénales au droit d'auteur, il est pour le moins paradoxal que la commission des lois n'ait pas à donner son sentiment sur cette nouveauté pénale. C'est d'autant plus vrai, madame la garde des sceaux, que vous siégez aujourd'hui au banc du Gouvernement après avoir été présente en commission des affaires culturelles, ce qui, avec le titre du projet de loi, montre bien l'importance que le Gouvernement attache à l'aspect répressif du texte. Les deux présidents des commissions des lois du Sénat et de l'Assemblée nationale ont-ils jugé qu'il leur était impossible de cautionner cette évolution du droit pénal ? Placé devant un dilemme – se faire hara-kiri ou condamner ce texte –, ont-ils préféré éviter de prendre position ?

Le 10 juin 2009, le Conseil constitutionnel, saisi par l'ensemble des députés de l'opposition, a sévèrement censuré la volonté gouvernementale d'accorder à une simple autorité administrative le droit de sanctionner les internautes. C'est donc le juge judiciaire qui sera chargé de prononcer d'éventuelles sanctions, notamment la suspension de l'abonnement. Vous aviez pourtant été mis en garde, non seulement par l'opposition, mais par des députés de la majorité, contre l'inconstitutionnalité du dispositif que vous proposiez. Mais nos avertissements n'avaient pas empêché Mme Albanel et l'UMP de nous répondre qu'ils n'étaient pas inquiets. Visiblement, vous auriez dû l'être un peu plus.

Le Conseil constitutionnel considère donc que « la liberté de communication et d'expression implique aujourd'hui, eu égard au développement généralisé d'internet et à son importance pour la participation à la vie démocratique et à l'expression des idées et des opinions, la liberté d'accéder à ces services de communication au public en ligne », ce que nous avions dit et répété en nous appuyant notamment sur les votes réitérés du Parlement européen que la majorité a tant pris de haut, répétant que l'accès à internet n'était pas un droit fondamental. Le groupe GDR ne peut que se féliciter de cette prise de position très claire du Conseil constitutionnel, qui consacre l'importance d'internet dans nos sociétés, à un moment où plusieurs pays – l'Iran et la Chine, par exemple – ne rêvent que de le corseter.

Le Conseil précise également, dans un communiqué de presse : « Dans ces conditions, le législateur ne pouvait, quelles que soient les garanties encadrant le prononcé des sanctions, confier de tels pouvoirs à une autorité administrative dans le but de protéger les titulaires du droit d'auteur. Ces pouvoirs ne peuvent incomber qu'au juge. » Cette décision est claire. Il ne peut donc y avoir de délégation de compétence au profit de l'HADOPI concernant les sanctions. L'HADOPI devra donc se contenter de transmettre à la justice des délits présumés. « Cette autorité ne dispose plus que d'un rôle préalable à une procédure judiciaire », indique la décision du Conseil constitutionnel.

En second lieu, le Conseil rappelle qu'en droit français c'est la présomption d'innocence qui prime et qu'« en vertu de l'article 9 de la Déclaration de 1789, tout homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable ». Cela signifie qu'aucune personne poursuivie pour une infraction ne peut être considérée comme coupable avant d'avoir été jugée comme telle. Il en résulte qu'il ne saurait exister en matière pénale de « présomption de culpabilité » et donc de sanction privative de droits avant toute décision de justice.

Le feuilleton HADOPI n'est donc pas terminé et revient devant notre assemblée avec cette HADOPI 2. Si le vocabulaire change parfois, l'esprit reste le même. Certes HADOPI 2 redonne à la justice ce que HADOPI 1 lui avait volé, mais c'est pour remettre aussitôt en selle des dispositions tout aussi critiquables. Ainsi, le fichier des fournisseurs d'accès à internet n'est plus national, mais les informations devront être transmises, sous une forme que le texte ne précise guère, aux sociétés de perception des droits – nous aurons l'occasion d'y revenir. Le délit de non-sécurisation de l'accès à internet a été réintroduit. Le système de l'ordonnance pénale, écarté lors de l'examen de la loi sur la simplification du droit, est introduit dans le domaine du droit d'auteur. Des dispositions censurées par le Conseil constitutionnel, relatives à la suspension de la connexion à internet, sont réinsérées.

Dans le nouveau texte que vous nous soumettez, le renversement de la charge de la preuve est maintenu et la présomption de culpabilité à l'égard du titulaire de l'accès à internet introduite à nouveau. Vous avez été obligés d'accepter en commission de modifier la rédaction de l'article 1er en précisant qu'il s'agit de « faits susceptibles de constituer des infractions », et non d'infractions, puisque l'HADOPI a vu son rôle réduit par le Conseil constitutionnel. Mais cela ne change rien au fait que le seul relevé des adresses IP sans saisie de l'ordinateur de l'abonné conduit à 30 % ou 40 % de faux positifs. Ce sera donc au titulaire de la connexion de prouver qu'il n'a pas commis l'infraction qui lui est reprochée. Cette violation du droit de la défense est d'autant plus grave que la personne mise en cause ne sera même pas obligatoirement consultée pour présenter ses observations.

Après l'avis du Conseil constitutionnel, certains, très optimistes, ont espéré qu'HADOPI 2 ferait l'objet d'un réel toilettage ; ce n'est pas le cas. Ajoutons-y le fantasme liberticide du Président de la République et de son Gouvernement de contrôler internet : c'est bien le texte d'origine que le Gouvernement a présenté au Sénat, qui réintroduit le contrôle des « communications électroniques », c'est-à-dire de la messagerie.

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