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Intervention de Michel Vaxès

Réunion du 17 juillet 2007 à 15h00
Lutte contre la récidive — Question préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Vaxès :

Je crains que vous ne jouiez sur les mots, madame la garde des sceaux, et, en la matière, ce jeu est dangereux. Certes, ici, les peines plancher ne sont pas techniquement automatiques puisque le juge pourra prononcer une peine inférieure aux peines minimales prévues par la loi à raison « des circonstances de l'infraction, de la personnalité de son auteur ou des garanties d'insertion ou de réinsertion présentées par celui-ci. »

Il devra alors prendre seul la responsabilité de ce qui sera considéré comme une dérogation à vos préconisations. Il en prendra peut-être courageusement le risque, tout en sachant que, dans certains cas, il pourra être livré à la vindicte d'un populisme pénal dont les effets sur notre justice sont déplorables. En cas de deuxième récidive, cela se complique, car l'accusé devra présenter « des garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion. » Concrètement, et tous les juges que nous avons rencontrés nous l'ont dit, la peine plancher sera une peine automatique, au mépris du principe de l'individualisation des peines. Une présidente de chambre correctionnelle explique : « Les tribunaux garderont la possibilité de prononcer une peine inférieure aux planchers, c'est vrai. Mais au prix d'une motivation spéciale. Que va-t-il se passer ? Au début, nous résisterons un peu. Et puis les peines plancher finiront par l'emporter… ». Et elles deviendront automatiques car, compte tenu de l'état de notre justice, il ne pourra pas en être autrement.

Ajoutons que les moyens dont disposent les magistrats seront déterminants. En effet, pour apprécier la « personnalité » de l'auteur, ses « garanties d'insertion ou de réinsertion », il faut que le juge dispose d'une enquête sociale approfondie, voire d'une expertise psychologique.

La justice d'abattage en « comparution immédiate » qui sanctionne la petite et la moyenne délinquance ne dispose pas des moyens et du temps nécessaires. L'équation est donc simple à établir : pas de renseignement sur l'auteur égale pas de motivation spéciale égale prison automatique !

Comment en effet un juge, dans les conditions de travail qui sont aujourd'hui les siennes, trouvera-t-il le temps de motiver spécialement chacune de ses décisions ? Comment ce magistrat pourra-t-il, lors d'une procédure rapide, apprécier la personnalité de l'auteur ou ses garanties d'insertion ou de réinsertion, en cas de première récidive ? Sans compter que, comme l'exige le texte, en cas de deuxième récidive, il sera quasiment impossible d'établir les « garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion ». Car comment les qualifier ? Est-ce que travailler et avoir une vie de famille sont des garanties exceptionnelles ? Personnellement, je ne le crois pas.

Mais alors que pourront retenir les magistrats comme garanties exceptionnelles ?

D'ailleurs, là encore – et ce n'est pas moi qui le dis, mais la commission de suivi de la récidive –, « cette disposition risque en pratique d'être très difficile à établir, ce qui restreindra considérablement la liberté d'appréciation du juge ».

C'est d'ailleurs pourquoi la conférence des premiers présidents a rappelé, dans une délibération de juin dernier relative aux peines plancher, « l'attachement des juges à l'individualisation des peines, principe confirmé par l'expérience et partagé par la plupart des pays démocratiques », ajoutant que « toute limitation du pouvoir d'appréciation du juge crée un risque d'inadéquation de la décision judiciaire sans pour autant garantir une meilleure efficacité de la politique pénale ».

Madame la garde des sceaux, si ce projet de loi parvient à contourner la difficulté constitutionnelle, personne n'est dupe : dans les faits, il aboutira à la mise en place de peines automatiques. Cela est d'ailleurs encore plus incontestable pour les mineurs qui sont, eux aussi, concernés par les peines plancher.

Dans le cadre de la défense de cette motion de procédure, j'examinerai la question des mineurs indépendamment de celle des majeurs. Je suis, en effet, de ceux qui croient, avec plus de 7 000 personnes déjà signataires d'une pétition en ligne sur le site du Nouvel Observateur, que « les adolescents ne sont pas des adultes ».

Concernant l'application des peines plancher, les juges des enfants que nous avons rencontrés nous le disent : l'automaticité des peines sera quasiment inévitable. S'il sera particulièrement difficile de motiver les « garanties exceptionnelles d'insertion ou de réinsertion » d'un majeur, qu'en sera-t-il pour un mineur ? Quelles pourront être ces « garanties exceptionnelles » pour un adolescent qui traverse précisément une période de la vie qui est l'âge de tous les possibles ? Dans un article du 5 juillet dernier, des magistrats aguerris par plusieurs années d'expérience et dont la plupart sont présidents de tribunaux pour enfants, décrivent très justement cette période de l'adolescence : « l'âge de la recherche tâtonnante de l'indépendance, des révoltes, de l'inquiétude, des interrogations sur soi et de la prise de risque et, bien sûr, des faux pas. Un âge où la solidité de l'entourage adulte, la stabilité des conditions de vie sont déterminantes. Un âge où le désarroi des adultes entraîne, chez les jeunes, des transgressions ».

(M. Marc-Philippe Daubresse remplace M. Bernard Accoyer au fauteuil de la présidence.)

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