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Intervention de Charles de Courson

Réunion du 25 juin 2009 à 15h00
Rémunération des mandataires sociaux dans les sociétés anonymes — Discussion d'une proposition de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCharles de Courson :

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la succession de révélations de rémunérations excessives accordées à certains dirigeants mandataires sociaux de grandes sociétés cotées françaises, au cours des derniers mois, a ému à juste titre les Français qui subissent de plein fouet la plus grave récession de notre économie depuis la Grande dépression de 1929. Elle a aussi ému de nombreux chefs d'entreprises petites ou moyennes qui redoutent l'assimilation indue de leur situation à celles des dirigeants de grandes entreprises.

Ces abus ne sont pas nouveaux. La décennie passée a été émaillée de scandales retentissants concernant, le plus souvent, les avantages consentis au moment du départ des dirigeants de sociétés de renommée internationale dont le bilan n'était pas flatteur.

Est-il besoin de rappeler ces cas ? J'en citerai quelques-uns : les 20,5 millions d'euros de parachute doré consentis à M. Jean-Marie Messier à son éviction de Vivendi Universal, consécutive à l'éclatement de la bulle Internet ; le 1,2 million d'euros annuels de retraite chapeau attribué à M. Daniel Bernard lors de son départ forcé du groupe Carrefour ; les quelque 8,2 millions d'euros d'indemnités de départ et de non-concurrence alloués à M. Noël Forgeard, à un moment où le groupe EADS accusait un fort retard de développement de l'A 380 et licenciait 10 000 personnes ; les 5 et 6 millions d'euros d'indemnités consenties à M. Serge Tchuruk et Mme Patricia Russo, respectivement président du conseil d'administration et directrice générale d'Alcatel-Lucent, à l'issue d'une fusion aux effets non probants ; ou encore, plus près de nous, les 3,2 millions d'euros de retraite chapeau alloués à M. Thierry Morin, à l'occasion de son départ du groupe équipementier automobile Valeo.

À chaque fois, le législateur et les organisations professionnelles des entreprises, MEDEF et AFEP, ont institué de nouvelles règles destinées à prémunir l'économie française contre le renouvellement d'écarts de ce type.

Ainsi, dans le prolongement des rapports Viénot de 1995 et 1999 et Bouton de 2002, un ensemble de principes éthiques et de règles de contrôle interne a été préconisé par les organisations professionnelles des entreprises. Le code de bonne gouvernance de 2003, qui consolidait ces principes, a été complété à deux reprises sur le seul volet des rémunérations : en janvier 2007 tout d'abord, puis le 6 octobre 2008, à la demande insistante des pouvoirs publics.

Le Parlement a lui-même adopté pas moins de cinq lois entre 2001 et 2007, puis plusieurs dispositions spécifiques en lois de financement de la sécurité sociale ou en lois de finances, entre 2007 et 2009.

Il s'est agi, en l'espèce, de soumettre les exécutifs des sociétés à une exigence de transparence sur leurs rémunérations, de lier l'octroi de stock-options à la diffusion des actions gratuites ainsi que des primes de participation ou d'intéressement au sein des entreprises, de soumettre l'attribution de parachutes dorés à des critères de performance et, plus récemment, de mieux fiscaliser les éléments de rémunération variable ou exceptionnelle, tout en interdisant, le temps de la crise, les rémunérations variables des dirigeants mandataires sociaux d'entreprises aidées par l'État.

Ces initiatives n'ont pas permis de mettre un terme aux excès, même si elles ont eu le mérite de favoriser une transparence salutaire. Par voie de conséquence, ce ne sont pas les tentations de traiter le problème avec les recettes d'hier, pourtant prédominantes à l'heure actuelle, qui vont clore définitivement le chapitre des abus observés jusqu'à présent.

Le groupe Nouveau Centre considère pour sa part que la véritable solution passe par un changement de logique au sein du processus décisionnel propre aux sociétés anonymes. Tel est justement l'objet de la proposition de loi que j'ai déposée avec le président François Sauvadet, et dont nous débattons aujourd'hui.

Le principe en est très simple. Les rémunérations des dirigeants mandataires sociaux sont actuellement déterminées par les conseils d'administration ou de surveillance, cénacles dont le fonctionnement est peu transparent et qui sont parfois insuffisamment indépendants – en particulier les comités de rémunération, en raison de leur composition –, comme le démontre mon rapport écrit. Nous souhaitons donc conférer cette responsabilité aux assemblées générales des actionnaires, c'est-à-dire aux propriétaires du capital des entreprises, garants à ce titre de l'intérêt social.

Concrètement, l'article unique du texte maintient aux conseils d'administration et de surveillance la possibilité de proposer l'ensemble des éléments de rémunération – fixes, variables, exceptionnels – ainsi que les avantages en nature consentis, tout en donnant aux assemblées générales d'actionnaires le pouvoir décisionnel en la matière.

S'agissant de la supervision ou du contrôle de la gestion courante, les prérogatives des conseils demeurent, de sorte que l'équilibre des pouvoirs au sein des sociétés commerciales ne serait pas fondamentalement bouleversé.

Afin de ne pas bloquer le processus de recrutement et la rétribution des nouveaux dirigeants dès leur prise de fonction, il est également prévu que les rémunérations proposées par les conseils soient versées à titre temporaire jusqu'à ce que les assemblées générales se soient définitivement prononcées à leur sujet.

Ainsi, la solution que nous proposons est bien plus opérationnelle et efficace que toute tentative de plafonnement des rémunérations ou d'interdiction de tel ou tel avantage – stock-options, actions gratuites entre autres.

En outre, elle s'inscrit dans un mouvement plus général amorcé dans d'autres pays développés. Je rappellerai pour mémoire que le vote décisionnel des assemblées générales est requis en matière de rémunération des dirigeants d'entreprises en Belgique, en Suède, au Danemark et aux Pays-Bas. Au Royaume-Uni, les assemblées générales des actionnaires sont consultées depuis 2002.

Que je sache, l'économie de tous ces pays européens ne s'en est pas pour autant trouvée pénalisée ! Or il nous semble important, au groupe Nouveau Centre, que la France prenne en considération le choix de ces autres pays de l'Union européenne, à un moment où l'on cherche légitimement – et c'est une volonté du Président de la République – à moraliser le capitalisme et à renforcer la démocratie économique.

En dépit des arguments solides que je lui ai exposés, la commission des lois n'a pas adopté cette proposition de loi. Parmi les raisons de rejet qui m'ont été opposées, celles portant sur la forme n'ont pas été les moindres. En effet, la commission des lois a créé une mission d'information sur le sujet, il y a quelques mois. Le résultat de sa réflexion devrait paraître sous la forme d'un rapport dans les semaines à venir.

La concomitance de notre ordre du jour avec l'aboutissement des réflexions de cette mission d'information a conduit les membres de la commission à préférer rejeter cette proposition de loi, plutôt que de saisir l'opportunité du débat d'aujourd'hui pour poser les premiers jalons d'une moralisation du capitalisme français. Personnellement, je le regrette au nom de mon groupe.

Je le regrette d'autant plus que nos échanges en commission ont esquissé ce vers quoi le travail de la mission d'information s'orienterait. En l'espèce, nos collègues envisageraient de généraliser le régime des conventions réglementées à l'ensemble des éléments de rémunération des dirigeants mandataires sociaux. Ce faisant, les assemblées générales seraient bien consultées, mais a posteriori et sans que leur vote ne lie les conseils d'administration ou de surveillance.

C'est la jurisprudence constante : le vote – même négatif – de l'assemblée générale sur une convention réglementée n'a pas de portée à l'égard des tiers.

Ce dispositif dépossède donc les assemblées générales de leur pouvoir ; or, dans un système libéral, les propriétaires sont les actionnaires. Il est à cet égard choquant que des membres du conseil d'administration aient une compétence qui échappe au contrôle des assemblées générales, et qui ne soit pas, in fine, transférée à celles-ci sur proposition du même conseil d'administration ou de surveillance.

Je prends notre assemblée à témoin : une telle suggestion ne suffira pas à résoudre les difficultés criantes, mises en exergue par la crise actuelle, en matière de gouvernement d'entreprise. Pour notre groupe, la solution réside dans l'adoption de la proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui. J'invite donc tous les députés désireux de faire progresser la démocratie économique et de résoudre durablement un problème éthique fondamental pour notre économie, soit à voter le présent texte, complété des amendements que j'ai déposés, soit à voter la motion de renvoi en commission étant entendu que les dispositions proposées devraient alors être intégrées aux propositions de la mission d'information Houillon.

Telles sont les raisons pour lesquelles, mes chers collègues, le groupe Nouveau Centre vous propose cette nouvelle règle de gouvernance.

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