Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Michel Françaix

Réunion du 21 juillet 2009 à 15h00
Protection pénale de la propriété littéraire et artistique sur internet — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Françaix :

Madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, nous voilà donc de nouveau sur ce texte rafistolé à la va-vite, retoqué par le Conseil constitutionnel, désavoué par les parlementaires européens, critiqué par une majorité de citoyens, désapprouvé par bon nombre d'artistes. Ce texte, tout le monde le sait, est à côté de la plaque. Oui, mais voilà, c'est la volonté du Président de la République. Alors, madame la ministre, monsieur le ministre, allons droit dans le mur en klaxonnant !

Tout le monde le sait, il aurait fallu se donner du temps pour accompagner les évolutions culturelles de la société, plutôt que de s'y opposer.

Il aurait fallu réfléchir sur les usages culturels induits par internet, qui ne peuvent plus être réglementés comme à l'époque de Malraux et de Jack Lang, loin des groupes d'intérêt privés qui ont tout obscurci.

Il aurait fallu légiférer sur les usages numériques, en faveur de l'intérêt général.

Il aurait fallu dépasser le simplisme du piratage, et parler de la possibilité de partage des fichiers numériques.

Il aurait fallu reconnaître les échanges sur internet, en finançant vraiment – mais vraiment ! – la création.

Il aurait fallu chercher des revenus pour la création, et pas seulement pour les éditeurs.

Il aurait fallu réinventer l'exception culturelle.

Cela se fera « plus tard ». En tout cas, c'est ce à quoi nous convie M. le ministre de la culture. Pourtant, avec un peu d'imagination – et vous n'en manquez pas, monsieur le ministre –, on aurait pu mettre en oeuvre des solutions alternatives permettant d'assurer la protection des droits fondamentaux du public et la rémunération des créateurs sans piétiner les droits des internautes, dans le seul but de maintenir des modèles obsolètes.

Car, monsieur le ministre, nous ne sommes pas là pour défendre, dans un combat d'arrière-garde, les moines copistes en guerre contre Gutenberg, ni les producteurs de chandelle qui se plaignaient de la concurrence déloyale du soleil. Nous ne sommes pas là non plus pour défendre les avantages des marchands. Vous n'êtes pas là, non plus, pour défendre un corporatisme souvent déphasé.

Madame la ministre d'État, une réponse purement répressive face au piratage organisé ou la multiplication de verrouillages techniques qui seront toujours dépassés ne peuvent ni endiguer l'essor des réseaux d'échanges de copies de fichiers musicaux ou de films, ni répondre aux aspirations qu'ils révèlent : désir de partage, formation de nouveaux publics, espaces qui peuvent redonner aux productions indépendantes une place que la surconcentration des industries culturelles et la politique de plus en plus restrictive des majors tendent à leur refuser.

Vous le savez bien, l'industrie du disque n'a pas su ou pas voulu s'adapter. Elle n'a pas su jouer le rôle d'émergence artistique. Et aujourd'hui, elle vous demande d'éponger la mer avec une serpillière.

Et puis, le nombre restreint d'artistes qui ont accès aux modes de diffusion massive ne peuvent prétendre représenter à eux seuls la création.

Oui, la recherche de la meilleure rémunération de l'artiste est centrale, mais ce n'est pas la préoccupation de la loi HADOPI, qui n'y changera rien. La révolution des usages est incontournable. La libre diffusion des oeuvres est inéluctable.

Quand une loi déchire à ce point, madame la ministre, monsieur le ministre, c'est qu'elle n'est pas bonne. D'ailleurs, monsieur le ministre, vous vous en êtes rendu compte, puisque vous nous proposez de voter à la va-vite ce texte, qui n'est « pas très important », pour parler à la rentrée des vrais problèmes : « HADOPI 3 ». Je suggère d'inverser l'ordre des choses, et je pense que nous y gagnerions tous.

Monsieur le ministre de la culture, vous aviez mieux à faire. Face aux réductions drastiques des moyens de l'État en faveur d'une politique culturelle, face aux dérives populistes, vous avez mieux à faire que de défendre ce projet : penser notre politique culturelle au sein de l'Union européenne ; affirmer la place de l'artiste dans la société ; faire de ce ministère un élément essentiel de la construction sociale et de la citoyenneté ; faire le pari de l'éducation artistique ; encourager la diversification des expressions artistiques ; élargir les publics et lutter contre les clivages culturels.

Mais c'est trop long ! Et ce texte ne peut pas attendre, même si le Gouvernement attendra quand même, puisqu'il a décidé de ne le faire voter qu'au mois de septembre, ce qui contredit d'ailleurs l'idée que les députés socialistes retarderaient l'adoption des textes. C'est le Gouvernement qui, cherchant une majorité, ne fera voter celui-ci qu'au mois de septembre.

Voilà ce que l'on attendait de vous, monsieur le ministre, quand on connaît votre attachement à la culture, quand on connaît votre farouche volonté d'être proche des artistes. Ne vous entêtez pas. Sinon, vous apparaîtrez, injustement, comme le porte-parole, le porte-voix, des people et du showbiz. Et cela, nous ne le souhaitons pas, ni pour le ministre de la culture, ni pour la France.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion