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Intervention de Jean-Michel Clément

Réunion du 19 juin 2008 à 15h00
Droits des victimes et exécution des peines — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément :

Nous examinons en seconde lecture une proposition de loi dont le premier signataire est le président de la commission des lois, M. Warsmann, et le rapporteur notre collègue Etienne Blanc, tous deux coauteurs d'un rapport d'information voté à l'unanimité – « Juger, et après ? » – et dont est issu ce texte.

« Juger et après » ? Un vaste programme qui impliquerait que l'on s'attache aussi et avant tout à obtenir les jugements les meilleurs possible avant de s'interroger sur cet « après » qui nous interpelle tous, car lui seul donne son sens à la peine. Parmi les quarante-neuf propositions du rapport figuraient huit souhaits concernant l'accélération du cours de la justice et une dizaine concernant la prise en charge des victimes. La plupart des souhaits exprimés – il s'agissait de souhaits plutôt que de recommandations – ne relevant pas de la loi, nous considérons, madame la secrétaire d'État, que la balle est en quelque sorte dans votre camp et qu'il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.

Ne vous le cachez pas, la justice a besoin de moyens et nous ne comptons pas invoquer la question des victimes en vain. En effet, nous ne sommes pas ici pour sans cesse rechercher des solutions palliatives. Tant que la justice sera une honte pour la République, avec un budget ridicule qui nous place au mieux au vingt-troisième rang européen par tête d'habitant, nous serons soumis à cette tâche ingrate. Les auteurs de la proposition de loi qui nous est soumise l'ont sans doute compris comme nous tous, ce qui explique la modestie de leur texte. Nous mettons ce fait sur le compte de leur lucidité et nous leur en savons gré.

Modestes, les propositions le sont par leur contenu, mais non par leur annonce. Renforcer le droit des victimes à l'indemnisation ce n'est pas rien. Et même si cela se réduit finalement à un coup de pouce à l'aide au recouvrement, cela vaut la peine qu'on s'y arrête. Nous avons voté en première lecture déjà la mesure la plus significative : celle qui étend l'indemnisation des victimes de destruction volontaire et malveillante de leur automobile ou de leur moto, sans qu'il leur soit demandé de rapporter la preuve de la « gêne » occasionnée par la nécessité de remplacer le véhicule trop souvent indispensable pour se déplacer ou pour aller travailler. Quand on gagne une fois et demie le SMIC, il me semble que la gêne peut être présumée ! Depuis les émeutes de 2005, les socialistes réclamaient une telle mesure. Nous sommes exaucés ; mieux vaut tard que jamais ! Mais qu'il nous soit permis de rappeler que ce n'est pas parce que l'on gagne un peu plus que le SMIC et demi que l'on est riche.

Bien sûr, nous aurions aimé aller plus loin. Notre collègue Delphine Batho a proposé par deux fois, en première lecture, un amendement visant à faciliter l'indemnisation des collectivités locales, parfois lourdement pénalisées par la destruction de biens collectifs lors d'une émeute non maîtrisée – un phénomène récurrent, presque un fait de société. Elle proposait, et les socialistes avec elle, la création d'un fonds spécial d'indemnisation financé par l'État et les collectivités qui ont intérêt à mutualiser leurs risques et les assurances.

Le parallélisme avec la situation des individus avant la création du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions – le FGTI –, que nous devons à Robert Badinter et que la droite de l'époque n'a pas su apprécier à sa juste valeur, est pourtant évident. L'idée était la même : prendre en considération la nécessité pour des communes de reconstruire des bâtiments, de racheter des véhicules dans l'intérêt de tous. J'ajouterai que, comme cela se passait pour les particuliers, l'État ne prend pas en charge les dégâts causés aux collectivités et les assurances, si elles existent, sont d'autant hors de portée des budgets communaux que les collectivités les plus exposées sont aussi souvent celles qui sont les moins riches. Dans ce cas, comme dans bien d'autres, la solidarité des territoires n'est pas au rendez-vous et votre refus perdure. Nous savons, en effet, que plus le risque est grand, plus la cotisation est lourde. Nous le regrettons, mais nous y reviendrons.

Toujours avec le souci de venir en aide aux victimes, j'avoue mal comprendre le Sénat qui a augmenté de un à deux mois le délai maximum pour le versement de l'avance sur indemnisation – je dis bien de l'avance sur indemnisation. J'espère que le souhait d'accélérer nos travaux et de délester un ordre du jour pléthorique ne se réalisera pas aux dépens de victimes dont la situation peut dépendre de cette avance ! Accélérer les procédures d'exécution, c'est évidemment indispensable, souvent même dans l'intérêt des victimes dont les droits ont été reconnus au bout de longs, voire de trop longs mois

Même si beaucoup de dispositions ont déjà été votées conformes ou presque au Sénat, permettez-moi de m'arrêter sur quelques points encore en discussion.

L'accélération du degré de diligence des huissiers de justice agissant en matière pénale, par exemple, est hautement souhaitable. Vous-mêmes, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, avez évoqué la question dans votre rapport d'information. Vous posiez toutefois une condition préalable à la réduction des délais observés par les huissiers : la revalorisation de leurs services – souhait n° 5. N'est-il pas hasardeux de réclamer toujours plus d'effort sans contrepartie ? Avons-nous raison de vous faire confiance pour obtenir ce que vous-même avait estimé nécessaire ? Je l'espère.

Mais je ne comprends pas comment notre commission des lois a pu accepter la possibilité, laissée par le Sénat au procureur, de doubler ab initio, au feeling pourrait-on dire, les délais préfixes de quarante-cinq jours. Où est la logique ? Car enfin, il s'agit la plupart du temps de victimes !

Le système voté à l'Assemblée avait son sens me semble t-il : l'huissier a quarante-cinq jours pour agir et si une difficulté se présente, il en réfère au procureur qui avise. Dans le système nouveau, le procureur peut donner des délais supplémentaires à l'huissier, sans que l'on sache sur quels critères, et si cela n'est toujours pas suffisant, il peut en donner d'autres. Voila qui ruine complètement le mécanisme que nous avions voté en première lecture et qui mérite explication. J'espère que l'absence de la revalorisation évoquée plus haut n'explique pas cela.

Enfin, je dois avouer que la disposition que vous mettez en place pour éviter de trop nombreux déplacements aux huissiers – objectif louable – nous laisse perplexes. Même amélioré en affichage et en clarté par le Sénat, il reste que nous nous apprêtons à créer une présomption de connaissance « irréfragable » du contenu de l'exploit d'huissier, dès lors qu'une lettre simple a été adressée et que le récépissé a été renvoyé.

Je terminerai sur une note un peu ironique : le Trésor pourra accorder des remises sur les amendes forfaitaires majorées, mais seulement « en cas d'impossibilité de payer par suite de gêne ou d'indigence » selon l'expression du rapporteur au Sénat, M. Zocchetto. Quelle générosité ! Il faut bien comprendre que les amendes forfaitaires, applicables généralement en matière de contravention routière, ne sont majorées qu'en cas de non-paiement, lequel trouve souvent son origine dans l'impossibilité de payer. Mais la preuve de la gêne ou de l'indigence sera difficile matériellement et moralement à apporter. Allez donc démontrer que vous êtes un pauvre ! Certains ne le feront pas par fierté ; d'autres en profiteront.

Je pense que l'effort devrait porter sur le recouvrement des contraventions dont le taux oscille entre 31 % et 35 % – là est le laxisme de l'État –, mais qui suppose la mise en place d'un système informatique qui marche ! Pour le reste, il suffirait d'autoriser le Trésor, comme il sait le faire, à juger des cas où les remises et délais sont justifiés.

Nous touchons là à une question plus large qui est un véritable problème en France. Le président Warsmann l'a dit et redit, notre collègue Delphine Batho y a insisté au mois de janvier dernier : la justice doit maintenant entrer dans le XXIe siècle. Et la question va au-delà des fichiers des contraventions. Il s'agit d'une priorité nécessitant la mise en oeuvre des moyens matériels adéquats. Si l'on veut améliorer concrètement l'exécution des décisions de justice, réduire les délais, mettre en oeuvre le dossier unique, on ne peut se passer de l'informatique et d'une informatique autrement lourde. Or, nous sommes face à une administration pourvue d'un système totalement obsolète. Les études et les investissements doivent être au rendez-vous. C'est dans cet espoir que nous voterons symboliquement aujourd'hui un texte qui a comme mérite de poser les vrais problèmes et d'en résoudre quelques uns. Certes, le Gouvernement propose et le Parlement dispose, mais si nous votons ce texte, madame la secrétaire d'État, c'est parce que nous avons de très bonnes raisons de le faire. (Applaudissements sur tous les bancs.)

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