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Intervention de Noël Mamère

Réunion du 15 mai 2008 à 15h00
Protection du secret des sources des journalistes — Question préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaNoël Mamère :

Ainsi Napoléon Ier, qui disait : « Il n'y a rien de plus impérieux que la faiblesse qui se sent étayée de la force. » Formulation bien dangereuse donc. Par exemple, y avait-il « intérêt impérieux » quand le Président de la République a porté plainte contre un journaliste pour une histoire de SMS ? Le plus haut personnage de l'État a lui-même tenté de faire pression sur un journaliste pour qu'il livre ses sources, alors que, un mois auparavant, il déclarait que, même s'il lui arrivait « d'être mitigé sur le respect d'une certaine déontologie professionnelle de certains journalistes », il préférait « les excès de la presse à l'absence de la presse » !

M. Wauquiez, alors porte-parole du Gouvernement, avait justifié les termes « intérêt impérieux » au prétexte que « les seuls cas reconnus sont les affaires de terrorisme ou de crimes organisés ». Mme Filippetti a démontré l'exact contraire en défendant son exception d'irrecevabilité. Alors, pourquoi ne pas directement citer ces cas et dire tout simplement qu' « il ne peut être porté atteinte à ce secret que dans les affaires de terrorisme et de crimes organisés » ?

Même si la commission a tenté de contourner ce problème en choisissant la notion « d'impératif prépondérant d'intérêt public », qui devrait exclure les cas d'intérêt impérieux liés à des affaires sentimentales étatiques, on est encore loin de la précision de la loi belge, qui dit qu'on ne peut porter atteinte au secret des sources des journalistes que « si elles sont de nature à prévenir la commission d'infractions constituant une menace grave pour l'intégrité physique d'une ou de plusieurs personnes » et qui précise ainsi les conditions de levée du secret. Il faut que « les informations demandées revêtent une importance cruciale pour la prévention de la commission de ces infractions et ne puissent être obtenues d'aucune autre manière ». Deux conditions cumulatives qui s'ajoutent à un principe déjà fort et précis !

Notre collègue Étienne Blanc a bien cherché à introduire ce dernier point dans l'alinéa 5, en insistant sur le fait que l'atteinte doit être rendue « strictement nécessaire » par les circonstances. Mais, globalement, on est bien en deçà de la loi belge.

La différence est claire entre le texte belge et le projet que nous examinons aujourd'hui : d'un côté, on cherche à protéger les sources des journalistes ; de l'autre, on se contente de donner le change à la Cour européenne des droits de l'homme, avec une protection des sources a minima.

Dans un pays où tous les grands organes de presse sont dirigés par de grands groupes industriels : Bouygues, Lagardère, Dassault, Bolloré – tous grands amis du Président –, la protection du secret des sources doit être maximale. Comment, en effet, assurer un minimum d'indépendance pour la presse s'il y a – pardonnez l'expression triviale – « flicage » des sources, si les photos sont retouchées, si les « fuites » sont factices, juste bonnes à fournir la dose d'information nécessaire à une vitrine de liberté d'expression et de démocratie ? Je ne suis pas sûr que ce texte apporte à cette question une réponse satisfaisante.

Je me souviens de ce qu'a dit Guillaume Dasquié, journaliste au Monde, au sujet de sa garde à vue dans les locaux de la DST en 2007, pour la divulgation d'un document non déclassifié de la DGSE : « Je crois que le problème de fond est que la fuite de ce document n'était pas organisée par les cabinets ministériels, qui orientent les révélations, offrant des scoops prédigérés aux médias. Ce document-là n'était pas destiné à être rendu public. Mais c'est justement notre travail de journalistes d'investigation de nous affranchir de ces petits réseaux ministériels qui tentent de nous instrumentaliser. »

Nous le savons tous : le travail de journaliste ne peut être bien fait que si les journalistes et leurs sources sont couverts. Nous avons donc aujourd'hui le choix, qu'il faudra assumer devant les Français : soit nous voulons des journalistes serviteurs qui attendent une information qu'ils ont méritée, soit nous leur donnons les moyens d'être réellement ce que la Cour européenne des droits de l'homme appelle les « chiens de garde de la démocratie ».

Concernant l'article 2, il entend donner plus de protection au secret des sources des journalistes lors des perquisitions. Sur ce point, l'intention est louable, mais, là encore, certaines carences du texte sont une porte ouverte au détournement des recommandations législatives.

Le fait que l'alinéa 1 étende la protection des sources lors des perquisitions au domicile du journaliste est un vrai progrès. La commission, quant à elle, a rajouté les véhicules professionnels, qui sont indéniablement un lieu de travail : là encore, c'est une avancée. Les perquisitions seront faites en présence d'un magistrat, sur décision écrite et motivée.

Pourtant, à ce sujet, je ne peux m'empêcher de citer Mme Marion Jacquemin, qui avance, dans son ouvrage sur le secret des sources, que « la substitution d'un magistrat à la police judiciaire n'apporte qu'une différence de degré mais non une différence de nature ». Nous verrons bien si les intéressés se satisfont de cette disposition.

Mais des omissions gênantes persistent, ouvrant la porte à une interprétation très large des possibilités de saisie dans d'autres circonstances, où l'on pourra se passer de la présence d'un magistrat. Qu'en est-il, en effet, des perquisitions qui pourraient arriver sur la voie publique ou lors d'une garde à vue ? Qu'en sera-t-il du carnet d'adresses, du bloc-notes, de la carte de visite qu'on saisira sur un journaliste sortant d'un rendez-vous dans un lieu public ? Pas de magistrat, pas de scellés : l'affaire est dans le sac, pourrait-on dire… Dès lors, quoi de plus simple pour des inspecteurs de police que d'attendre patiemment que le journaliste sorte de son agence de presse ou de son véhicule ? Avec un peu de chance, il aura son ordinateur sur lui, ou au moins son téléphone portable, et quelques informations juteuses si la pêche est bonne. Les journalistes deviennent donc les appâts éventuels des enquêteurs en mal de renseignements, et il est pour cela essentiel d'encadrer ces cas-là pour une protection véritablement efficiente du secret des sources.

Concernant le troisième alinéa de l'article 2, je ne crois pas agir « de façon disproportionnée au regard de la nature et de la gravité de l'infraction » en avançant que les périphrases servant à désigner le respect dû à la protection des sources en cas de perquisition sont – le mot n'est pas trop fort – une vaste fumisterie, sachant qu'il n'y a pas plus mouvant que la notion de « gravité », implicitement liée à la sensibilité de l'opinion à un moment donné. De l'usage du flou pour mieux réduire nos libertés ! Par exemple, au moment des émeutes dans les banlieues, les violences contre la police revêtaient-elles une toute particulière gravité ? Après une agression contre un enseignant, les violences en milieu scolaire doivent-elles être considérées comme particulièrement graves ? Que devient la protection des sources des journalistes si elle doit subir les fluctuations de l'opinion publique ?

Ainsi énoncée, cette règle devient même un contresens total : c'est précisément lors des événements d'une « particulière gravité » qu'il est « particulièrement légitime » d'informer le public. Les journalistes doivent donc pouvoir disposer de la liberté d'informer et de la liberté de leurs informateurs à tout moment.

Pour ce qui concerne la décision du juge des libertés et de la détention, qui statue sur les pièces mises sous scellés, je déplore qu'il n'ait pas été choisi de donner une possibilité de recours contre son ordonnance. Pour rester dans le registre lexical du projet de loi, il semblerait en effet plus « proportionné » qu'un recours en nullité de l'ensemble de la procédure. Mais Mme la garde des sceaux nous répond qu'il faut respecter un certain « équilibre », puisque, selon ce nouveau sésame de la majorité, tous les projets de loi proposés sont des projets « équilibrés ». Il s'agit ici de l'équilibre entre la liberté de la presse et l'efficacité des investigations judiciaires : c'est bien ce que l'on vous demande, mais nous ne voyons pas le déficit au même endroit ! Et nous savons aussi que le rôle donné au juge des libertés et de la détention est aujourd'hui très critiqué par les magistrats eux-mêmes.

Pour finir, les amendements nos 16 et 17 du rapporteur, correspondant à des articles additionnels après l'article 3, cherchent à encadrer un peu plus la protection du secret des sources, en inscrivant dans le code de procédure pénale la règle selon laquelle une atteinte disproportionnée conduirait à la nullité des objets saisis en matière de réquisitions judiciaires et d'interceptions des communications. Cela suffira-t-il ? Nous en doutons, comme beaucoup de journalistes, depuis l'affaire du journaliste brestois, Hervé Chambonnière, qui a vu ses sources défiler les unes après les autres à la police judiciaire, alors qu'il ne les avait pas livrées.

Les journalistes savent à quel point il est facile, pour les enquêteurs, de demander une facture détaillée à un opérateur téléphonique, retraçant les appels entrants et sortants. Si Hervé Chambonnière a bien profité de son droit à se taire lors de sa convocation à la PJ de Brest, la procureure de la République a, elle aussi, su profiter de son droit d'« ingérence nécessaire et proportionnée à but légitime », consacré par un arrêt de la Cour de cassation, pour obtenir la liste des appels du journaliste auprès de l'opérateur Orange. Même si la loi exige l'accord du client pour délivrer la facture détaillée, cette société n'a pas vérifié que la police détenait bien cette autorisation. De beaux principes en somme, qui ont été contournés…

Dans la mesure où ce projet de loi mélange sensiblement les mêmes ingrédients, on est en droit de se faire du souci. Certes, le journaliste pourra encore plus qu'auparavant se taire ; certes, l'atteinte proportionnée à la protection des sources n'est plus une jurisprudence mais une loi ; certes, la police devra prouver comment elle a obtenu les sources et si c'était de manière légitime. Mais croyez-vous sérieusement à l'efficacité de ces principes ? Après tout, Hervé Chambonnière n'aurait jamais su que la police était remontée jusqu'à ses sources grâce à sa liste d'appels, si l'un de ses avocats, convoqué par la PJ, ne lui avait dévoilé le pot aux roses. Et la police aurait pu, quant à elle, affirmer qu'elle avait obtenu le nom des personnes convoquées par un autre moyen. Au fond, votre texte va pousser les enquêteurs à faire preuve d'un peu plus de prudence pour ne pas tomber sous le coup de l'annulation pour atteinte disproportionnée. La belle affaire !

Au-delà du problème des sources, se pose un problème plus large, qui tient à la menace actuelle pesant sur notre droit à l'information. Dans tous les domaines – scientifique, militaire, agricole, sanitaire, syndical –, ceux qui veulent informer les citoyens sont mis à l'écart, marginalisés, punis. Cela peut se traduire par des sanctions indirectes, comme pour les journalistes privés de sources, mais aussi conduire à des licenciements abusifs ou à des suppressions de budgets concernant des chercheurs.

Ce sont en fait tous les « lanceurs d'alerte » qui doivent être protégés, qu'ils soient journalistes, scientifiques, membres d'association ou simples citoyens. Ceux qui essaient courageusement de remplir leur mission d'information citoyenne ne sauraient être punis dans une démocratie comme la nôtre. Et pourtant, récemment encore, Stéphane Lhomme, porte-parole du réseau « Sortir du nucléaire », a été placé dix heures en garde à vue par la DST, à cause de la publication sur le site de son association d'un document classé « confidentiel défense » révélant la vulnérabilité du réacteur EPR en cas de crash suicide d'un avion de ligne. Pour la seule détention de ce document, il risque cinq ans de prison et 75 000 euros d'amende. On cherche à faire pression sur lui pour qu'il révèle qui lui a fourni ce document et on lui fait payer son silence. Ce genre de pratiques odieuses ne doit plus avoir lieu dans une démocratie comme la France !

Pensez-vous, sérieusement, madame la ministre, que votre nom deviendra éponyme de la loi qui a permis la renaissance du journalisme d'investigation ? Pensez-vous que la pseudo-protection des sources que vous nous proposez fera longtemps illusion ?

Non, vraiment, madame la ministre, le compte n'y est pas, et nous ne pouvons que regretter cette occasion manquée, qui n'honore pas notre pays quant à son exemplarité démocratique. « Il n'y a pas d'éloge flatteur sans la liberté de blâmer », disait Beaumarchais. Quand on considère la violence des attaques du Président et de ses proches contre la presse, tenue pour simple boîte aux lettres du pouvoir et de son bon plaisir, on est en droit de s'inquiéter d'un tel recul démocratique, qui révèle le vrai visage de ceux qui ne supportent plus « les chiens de garde de la démocratie » parce qu'ils les préfèrent à la niche. (Applaudissements sur les bancs du groupe de la Gauche démocrate et républicaine et du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche.)

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