Découvrez vos députés de la 14ème législature !

Intervention de Aurélie Filippetti

Réunion du 15 mai 2008 à 15h00
Protection du secret des sources des journalistes — Exception d'irrecevabilité

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAurélie Filippetti :

La coïncidence entre l'examen de votre projet de loi et l'irruption de ces attaques contre la presse française ne laisse pas de nous interroger. S'agit-il d'une stratégie concertée ou de simples dérapages épidermiques ? Seraient-ce les prémisses d'une remise en cause plus fondamentale, notamment du financement de l'AFP, qui jouit d'un statut juridique exceptionnel issu de la Libération – sa première dépêche date du jour de la Libération de Paris –, même si cette remise en cause se dissimule derrière l'adoption d'un projet de loi au titre alléchant relatif à « la protection du secret des sources journalistiques » ?

Vous comprendrez, madame la ministre, notre vigilance à la lecture du texte que vous nous proposez. Ces questions liminaires ne sont pas anecdotiques dans un monde qui croule sous la rumeur présentée comme de l'information, via notamment l'offre en ligne. Sans journalistes indépendants, nulle garantie que cette information soit découverte, vérifiée, recoupée, sourcée, établie et hiérarchisée par un travail professionnel irremplaçable. Sans protection des sources des journalistes, nulle possibilité pour eux d'exercer sereinement leur mission de recherche et de transmission d'une vérité qui ne soit pas de l'histoire officielle.

Pourquoi indiquer les sources d'une information ? Pour permettre de valider le processus démocratique par lequel l'information est parvenue jusqu'au public. Mais parfois c'est l'exercice même de l'activité de journaliste qui rend impossible, voire dangereux, de citer explicitement ses sources. Sans une relation de confiance entre le journaliste et celui qui lui livre une information, aucune investigation n'est possible. Que ses sources soient licites ou non ne doit pas entrer en ligne de compte. La jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l'homme le rappelle : c'est l'exercice même de la liberté de la presse et du métier de journaliste qui est d'intérêt public. L'hermétisme absolu entre celui qui écrit et ses sources, mais aussi tout ce qui permet de remonter à celles-ci, doit primer sur les intérêts éventuellement menacés par ses investigations.

En 1976, dans l'arrêt Handyside, la CEDH a donné une définition extensive de la liberté d'expression : « La liberté d'expression est l'un des fondements essentiels d'une vraie société démocratique [...] et vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent. » La Cour ajoutait : « Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture, sans lesquels il n'est pas de société démocratique. »

Personne parmi nous ne réclame un statut de citoyen d'exception pour les journalistes. Mais ceux-ci, dans l'exercice de leur activité, doivent bénéficier de garanties particulières, y compris et peut-être même surtout contre la raison d'État. Rien non plus, dans les amendements que nous allons défendre, ne supprimera la possibilité d'intenter une action pour atteinte à l'intimité de la vie privée ou pour diffamation, comme il en existe aujourd'hui, mais nous refusons le caractère imprécis et arbitraire des exceptions qu'établit le projet de loi, fût-il amélioré par les amendements du rapporteur et de la commission des lois.

Nous sommes ici pour faire progresser la démocratie en affirmant des principes et en élargissant l'espace des libertés publiques. Il est si simple après tout de se dire que, si un journaliste détient des informations susceptibles d'intéresser police, justice, force publique, il suffit de lui demander de les livrer au nom de la sécurité de l'État ! Mais, comme le disait Rousseau, on vit en sécurité dans une prison. Le journaliste n'est pas et n'a pas à être un auxiliaire de police ou de justice. Il est un contre-pouvoir, un garde-fou contre les dérives toujours possibles ou, comme le dit la CEDH, un chien de garde de la démocratie.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion