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Intervention de Étienne Blanc

Réunion du 15 mai 2008 à 15h00
Protection du secret des sources des journalistes — Discussion d'un projet de loi

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉtienne Blanc, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, un adage français affirme : « Qui cite ses sources les tarit ». De fait, la possibilité pour un journaliste de taire l'origine de ses informations peut permettre d'éviter un tarissement de ses sources et constitue une condition de la liberté d'informer et du droit des citoyens d'être informés. La protection du secret des sources des journalistes apparaît comme le corollaire direct du droit à l'information. Or notre droit actuel assure une protection trop partielle du secret des sources des journalistes.

La loi du 4 janvier 1993 a reconnu aux journalistes le droit de taire leurs sources lorsqu'ils sont entendus comme témoins : il s'agit d'un droit de non-divulgation qui laisse totale liberté au journaliste de révéler ou non ses sources. Le problème est que ce droit au silence, garanti par l'article 109 du code de procédure pénale, est aujourd'hui limité, du moins en droit, à la phase de l'instruction et ne s'applique pas à la phase de jugement.

Cette même loi de 1993 a en outre introduit un article 56-2 dans le code de procédure pénale relatif aux perquisitions dans les entreprises de presse, qui ne peuvent être réalisées que par un magistrat, chargé de veiller à ce que les investigations « ne portent pas atteinte au libre exercice de la profession de journaliste ». Ces garanties procédurales apparaissent insuffisantes pour protéger efficacement les sources des journalistes.

Le droit actuel français est insuffisamment protecteur aussi au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

Notre législation en matière de protection du secret des sources est insuffisante notamment au regard de l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, mais surtout d'une interprétation, très extensive, qui en a été faite par la Cour de Strasbourg.

La Cour européenne des droits de l'homme, au fil des années, a élaboré une théorie prétorienne de la protection des sources des journalistes. À travers quelques arrêts célèbres – l'arrêt Goodwin contre le Royaume-Uni, l'arrêt Roemen et Schmit contre le Luxembourg, l'arrêt Ernst et autres contre la Belgique –, la Cour a établi que la protection du secret des sources des journalistes constitue « l'une des pierres angulaires de la liberté de la presse » et que ce principe doit être garanti pour permettre à la presse « d'informer le public sur des questions d'intérêt général ». Sans ce principe, la presse pourrait, selon les termes mêmes de la Cour européenne des droits de l'homme, « être moins à même de jouer son rôle indispensable de chien de garde » de la démocratie. Dès lors, les journalistes doivent être fondés à ne pas révéler leurs sources à l'autorité judiciaire, sauf à ce que cette atteinte soit justifiée par un « impératif prépondérant d'intérêt public » – je cite les termes de la Cour européenne des droits de l'homme.

Le projet de loi qui nous est aujourd'hui soumis tente de répondre aux insuffisances de notre droit au regard notamment de cette jurisprudence européenne. Madame la ministre, vous venez de nous exposer les dispositions qu'il contient, je n'y reviendrai pas.

Je voudrais en revanche présenter plus en détail les travaux qui ont été réalisés par la commission des lois à la suite de la quarantaine d'auditions auxquelles nous avons procédé voici un mois.

En premier lieu, la commission a adopté, lors de sa réunion du 2 avril dernier, dix-sept amendements, dont cinq l'ont été à l'unanimité. Ces amendements vont renforcer les garanties apportées par ce texte. Ils répondent à des interrogations, mais également à des objections qui nous ont été faites lors des auditions et qui nous ont permis de nourrir une réflexion de fond sur un sujet très important, qui touche aux fondements mêmes de notre démocratie.

La première question que nous nous sommes posée est celle des limites à apporter au principe de la protection du secret de sources et des critères qui autorisent une atteinte à ce principe. Lorsque l'on examine la législation des différents pays européens, on s'aperçoit qu'aucun d'entre eux n'a posé un principe sec et abrupt ; toutes les législations instaurent des exceptions. Si la très grande majorité des personnes entendues se sont accordées sur la nécessité de prévoir des cas exceptionnels de dérogation au principe de la protection du secret des sources, la notion d'« intérêt impérieux » qui figurait dans le texte initial, jugée trop floue, a été décriée. La commission a préféré lui substituer, par voie d'amendement, celle d'« impératif prépondérant d'intérêt public », reprenant mot pour mot la terminologie retenue par la Cour de Strasbourg.

La deuxième question est celle de la bonne adéquation du droit à l'état actuel de la pratique journalistique et aux évolutions technologiques.

Nous nous sommes ainsi penchés sur le cas des collaborateurs des journalistes, qui peuvent avoir accès aux sources et qui doivent donc bénéficier de la même protection pour que l'on ne puisse accéder à la source par leur intermédiaire.

Puis, nous avons abordé la question des véhicules professionnels, des cars régies notamment, dans lesquels peuvent être organisées des perquisitions.

Ensuite, nous nous sommes interrogés sur la nature des matériels utilisés par les journalistes – ordinateurs portables, téléphones mobiles et autres BlackBerry – qui peuvent être saisis lors des perquisitions.

Enfin, nous avons traité la question de la « traçabilité » accrue de l'activité journalistique, au travers notamment des remontées d'appels sur les portables, qui peuvent, sur réquisition adressée à un opérateur de téléphonie, faire apparaître l'identité d'une source.

Sur ces différents sujets, la commission des lois a adopté des amendements.

Un amendement prévoit que les critères de dérogation s'appliquent aussi aux atteintes indirectes, ce qui permet d'inclure les collaborateurs des journalistes. Ce ne sont pas les journalistes qui sont protégés en tant que tels, mais bien le secret des sources lui-même, quelle que soit la personne qui le détient.

Un amendement étend aux véhicules professionnels le champ des lieux dans lesquels les perquisitions doivent respecter les prescriptions particulières de l'article 56-2 du code de procédure pénale.

Un autre amendement étend aux différents matériels utilisés par les journalistes le champ des objets dont la saisie peut être contestée devant le juge de la liberté et de la détention.

Enfin, deux amendements portant articles additionnels prévoient que les procédures de réquisitions et d'écoutes judiciaires doivent respecter le principe du secret des sources posé par le nouvel article 2 de la loi de 1881.

La troisième question est celle de l'articulation entre les différents articles du projet de loi : le nouvel article 2 de la loi de 1881 pose un principe général, qui devra être appliqué en toute matière, et notablement en matière pénale, pour les perquisitions, les réquisitions ou les écoutes. Il ne doit en revanche pas remettre en cause le droit absolu des journalistes de taire leurs sources lorsqu'ils sont entendus comme témoins dans le cadre d'une instruction ou devant une juridiction de jugement, tribunal correctionnel ou cour d'assises. Nous avons apporté une réponse à cette inquiétude qui nous a été révélée par les avocats spécialisés dans le droit de la presse.

La quatrième et dernière question traitée par la commission n'est pas abordée par le texte, mais elle est en lien étroit avec la question du secret des sources puisqu'il s'agit du recel de la violation du secret de l'instruction.

Faut-il aller jusqu'à exclure les journalistes de toute poursuite sur ce chef d'accusation ? La commission des lois ne le croit pas. Cela induirait une inégalité devant la loi et emporterait à mon sens la fin du secret de l'instruction. En revanche, nous avons axé notre réflexion sur le cas des journalistes qui sont poursuivis pour diffamation. Aujourd'hui, ces journalistes sont placés dans une situation bien curieuse, et pour le moins incohérente. D'un côté, ils doivent prouver leur bonne foi ou faire la preuve de la vérité des faits diffamatoires ou qui leur sont reprochés comme diffamatoires en plaidant l'exceptio veritatis prévue dans la loi de 1881.

Mais s'ils apportent à l'appui de leur défense des documents couverts par le secret de l'instruction, ils peuvent être poursuivis pour recel de violation du secret de l'instruction. En somme, ils peuvent être sanctionnés soit, au titre de la loi de 1881, pour ne pas avoir prouvé l'exceptio veritatis, soit pour recel. Afin de remédier à cette situation, la Commission a adopté un amendement visant à exclure toute poursuite pour recel d'un journaliste poursuivi pour diffamation.

Voici donc un projet de loi qui, compte tenu des amendements adoptés par la commission, permet un véritable renforcement de la liberté d'exercice du métier de journaliste, et particulièrement du journalisme d'investigation, un accroissement de la crédibilité dont les journalistes peuvent se prévaloir auprès de leurs informateurs et, au total, une meilleure garantie de la liberté de la presse, dans le respect des principes posés par la Cour de Strasbourg.

Quelques critiques, qu'on a pu lire ou entendre, lui reprochent de ne pas aller suffisamment loin et prétendent que le texte demeure imprécis sur les exceptions à la règle de protection des sources. Mais ce n'est pas une petite réforme, ou une simple adaptation de nos règles de droit, que d'inscrire les mesures qu'il contient dans la loi du 29 juillet 1881. C'est bien un nouveau principe que nous instaurons au service de la liberté d'informer et de notre démocratie.

Il s'agissait d'un engagement du Président de la République. Si vous le voulez, il sera tenu. Aux yeux de la commission des lois, il représente une avancée très importante au service de la liberté de la presse et de la liberté de l'information en France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

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