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Intervention de George Pau-Langevin

Réunion du 14 mai 2008 à 15h00
Lutte contre les discriminations — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeorge Pau-Langevin :

Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le président de la commission, madame la rapporteure, mes chers collègues, c'est avec des sentiments mêlés que je participe aujourd'hui à ce débat sur la transposition de la directive.

Sans doute la CMP a-t-elle amélioré le projet de loi et permis de rétablir pour l'essentiel le texte qui avait été voté par l'Assemblée en première lecture ; je considère toutefois que nous n'avons pas totalement réussi l'exercice difficile qu'est la transposition d'une directive européenne. En principe, cette transposition doit être la plus fidèle, la plus complète et la plus efficace possible. Or, malgré les progrès apportés par la CMP, il me semble que le compte n'y est pas.

D'ordinaire, nous nous félicitons souvent des apports de nos collègues sénateurs, et je me réjouis en effet, cette fois-ci, qu'ils aient supprimé l'exception introduite dans le projet de loi pour les médias et la publicité, laquelle ne semblait pas s'imposer. Cependant, j'ai le sentiment que, pour l'essentiel, le Sénat a amendé dans un sens encore plus restrictif une transcription de la directive qui nous semblait déjà réalisée a minima, ce qui ne nous paraît pas satisfaisant.

Les sénateurs ont notamment jugé nécessaire d'amender la définition même de la discrimination, telle pourtant qu'elle figure dans les directives européennes, au motif – pour le moins surprenant – qu'ils voulaient lutter contre le communautarisme.

Un texte de loi doit être lisible, et la manière la plus efficace pour qu'il le soit, c'est d'utiliser dans sa rédaction les définitions courantes. En l'espèce, nous avons abouti à une sorte de compromis, qui améliore sans doute le texte mais introduit une forme d'insécurité. Des année durant, texte après texte, la définition d'une discrimination incluait ce qu'elle avait été et ce qu'elle serait ; or, aujourd'hui, voici qu'il est question de ce qu'elle « aura été », futur antérieur plutôt singulier dans un texte comme celui-ci.

Ce que j'ai retenu de nos discussions, c'est que se manifestait chez certains de nos collègues cette même hésitation dont la France a toujours fait montre face à la question de la discrimination. Notre pays a tendance à se persuader que nous abordons le traitement de ces problèmes mieux que tout le monde, alors même que la lenteur avec laquelle nous avons transposé les textes européens et les restrictions que nous leur avons chaque fois apportées montrent combien nos réticences et nos hésitations restent fortes en matière de discrimination. Hier encore, il a fallu que le président Méhaignerie joue de toute son influence pour éviter que nous n'aboutissions à un texte trop restrictif.

Voilà qui est désolant pour un pays qui se déclare favorable à l'Europe et veut y faire entendre sa voix. Si, chaque fois que nous nous exprimons sur des textes adoptés par les instances européennes, ce doit être pour expliquer que ce que fait la France est bien meilleur, il ne faut pas s'étonner que nous entretenions chez nos compatriotes l'idée que l'Europe n'est pas si bien et qu'il faut s'en méfier, de telle sorte qu'ils finissent par en avoir une opinion négative. Je trouve donc regrettable que certains de nos collègues aient jugé utile de mener une sorte de guérilla pour vider ce texte de dispositions et de symboles importants.

Au bout du compte, où en sommes-nous aujourd'hui ?

Nous devons prendre ce problème à bras-le-corps, et l'Europe nous y incite fortement, comme les constats sans appel du BIT sur la discrimination à l'embauche dont sont victimes les personne issues de l'immigration. Je regrette donc, alors qu'il est indispensable de mettre un terme à ce gâchis économique que constitue dans notre pays la discrimination, qu'un même élan ne se soit pas manifesté sur l'ensemble des bancs de cette assemblée.

Un mot faisait notamment défaut dans votre discours, madame la secrétaire d'État. Il y a été question de l'égalité entre hommes et femmes, des droits des beaux-parents, des handicapés, mais silence sur la discrimination raciale, ce qui est regrettable parce que cela indique qu'il manque une dimension au plan d'action que vous nous avez annoncé.

Il est également regrettable que, dans notre transposition de la directive, nous ayons fait disparaître l'article 5. Comme nous le rappelle l'Europe, en effet, l'affirmation du principe d'égalité ne nous dispense pas de prendre des mesures concrètes permettant de le mettre en oeuvre. Or, en l'espèce, on nous assure que l'on va lutter contre la discrimination mais sans dire expressément que des actions positives seront entreprises pour mettre un terme aux inégalités. Pourquoi donc n'a-t-on pas jugé nécessaire de reprendre ce que tous les textes européens rappellent comme une évidence ?

Il n'y a pas lieu, contrairement à ce que j'ai entendu hier en commission dans la bouche de certains de nos collègues, d'opposer le principe d'égalité, tel qu'il est défini par le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État, à la lutte contre les discriminations, notamment à la notion d'actions positives. Ces scrupules sont exagérés, car la lutte contre la discrimination et les actions positives découlent évidemment du principe d'égalité. En créant des ZEP dans les quartiers où les enfants scolarisés ont moins de chance qu'ailleurs, nous avons fait de l'action positive. Ne soyons pas aussi frileux par rapport à des politiques que nous mettons en oeuvre régulièrement : il faut simplement les assumer encore mieux.

À l'inverse, les dispositions de la directive qui ne s'opposaient pas, avec des garde-fous précis, à des mesures en fonction du sexe, ont été retranscrites dans des conditions très extensives. Ainsi, je regrette que l'article 2 précise qu'il est possible d'organiser des enseignements par regroupement des élèves en fonction de leur sexe. Nos amendements appelant à la vigilance en la matière ont été refusés. Pourtant, je crois que le principe de mixité auquel nous sommes tous très attachés est aujourd'hui menacé. Nous craignons donc que le texte, tel qu'il est rédigé, puisse être invoqué par ceux qui s'opposent aux enseignements mixtes pratiqués dans nos écoles. Si nous sommes réellement attachés à la mixité et à la laïcité, il nous faut être particulièrement attentifs à cet aspect des choses.

Enfin, la CMP a décidé hier de supprimer l'article 4 bis qui n'aurait pas dû être ajouté à la directive européenne. Je sais qu'un texte spécifique a introduit la disposition en question, mais il est dangereux d'aller à l'encontre de la jurisprudence existante en la matière qui permet de lutter très efficacement contre les discriminations, notamment en matière syndicale.

En conclusion, des dispositions manquent dans ce projet de loi. Nous aurions pu échanger sur les bonnes pratiques mises en place par certaines collectivités territoriales.

Je regrette également que les propositions de Mme Vasseur sur la possibilité pour les chefs d'entreprise de présenter un bilan sur la lutte contre les discriminations n'aient pas été reprises. Nous avons donc encore beaucoup à faire en matière de lutte contre les discriminations ; le texte ne le dit pas assez.

Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste considère que ce texte, même s'il constitue un pas en avant intéressant, ne va malheureusement pas assez loin. En particulier, il n'est pas satisfaisant sur la définition de la discrimination, ni sur les dispositions concernant l'action des associations. Nous nous abstiendrons donc, à regret, sur ce projet de loi, sans renoncer toutefois à poursuivre le travail intéressant qui a été mené.

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