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Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 3 octobre 2007 à 15h00
Grenelle de l'environnement — Déclaration du gouvernement et débat sur cette déclaration

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristiane Taubira :

Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, madame la secrétaire d'État, une heure ne m'aurait pas suffi pour exposer ce qu'il est urgent de vous faire entendre. Au regard des ambitions affichées par le Grenelle de l'environnement, les thématiques, dont certaines sont transversales aux outre-mers des trois océans, se bousculent pour plaider l'urgence.

En Guyane, qu'il s'agisse du littoral, la région la plus entropique et vaste territoire occupé à moins de 10 % de sa superficie, ou de son hinterland, la sécurité énergétique n'est pas satisfaisante. Le volume de la production est insuffisant, tout comme la diversité des sources d'énergie, principalement renouvelables. Surtout, la distribution de l'énergie sur l'intégralité du territoire, avec des zones très enclavées, est difficile, si bien que les citoyens ne sont pas égaux devant ce bien de première nécessité.

En outre, le code de la construction prévoit des normes et des standards qui sont peu adaptés au milieu équatorial. Le réseau d'incinérateurs et de déchetteries entame tout juste sa modernisation, les orpailleurs clandestins se moquent éperdument de l'interdiction du mercure, alors que les maladies d'environnement – le paludisme, la dengue, la maladie de Chagas, la papillonite – sont en forte résurgence. Par ailleurs, l'usage des pesticides reste peu conforme au principe de précaution. Quant au contrôle de la qualité de l'air, il est trop épisodique.

Depuis plusieurs années, des acteurs institutionnels, administratifs, associatifs, et même économiques, proposent un certain nombre de mesures, tel un dispositif législatif global, spécifique à l'Amazonie, dans l'esprit de la loi « montagne » de 1985, qui intégrerait les modifications nécessaires du code minier, du code de l'habitat et du code général des impôts. Ils préconisent l'application des dispositions de Natura 2000 qui permettent de préserver la biodiversité et de valoriser les territoires. Ils recommandent également une fiscalité plus incitative et un accès plus facile, moins coûteux, aux données recueillies par les satellites d'observation de la terre et aux instruments de télédétection, au service des politiques publiques. Il s'agit surtout de créer les conditions d'un développement respectueux de la santé et de l'environnement et performant en matière de création d'emplois.

Pour l'Amazonie, dont la recherche-développement a démontré à la fois les potentialités et les fragilités, le développement durable – version Yves Cochet – constitue un gisement d'emplois beaucoup plus important et beaucoup moins destructeur que les activités minières et pétrolières. Vous voyez, monsieur le ministre d'État, madame la secrétaire d'État, il y en a pour tous les groupes : lutte contre le changement climatique, préservation de la biodiversité et des ressources naturelles, instauration d'un environnement respectueux de la santé, adoption de modes de production et de consommation durables, construction d'une démocratie écologique, promotion de modes de développement écologique et compétitif.

Ayant décliné toutes ces nécessités dont certaines sont des urgences, je voudrais attirer tout particulièrement votre attention sur la question des ressources génétiques, et sur l'obligation morale et politique que vous avez de veiller à leur préservation. Ces ressources, qui attisent la convoitise de grands groupes industriels – pharmaceutiques, cosmétiques, agrochimiques, agroalimentaires – sont la matière première stratégique du troisième millénaire. Après avoir été dépouillés très largement du foncier, des ressources naturelles, notamment minières – et il risque fort d'en être bientôt de même pour le pétrole –, nous entendons exercer la plus grande vigilance et exiger de l'État la plus ferme résolution pour lutter sans complaisance contre la biopiraterie et préserver ainsi les ressources génétiques.

Au terme de quinze ans de gestation, le parc amazonien de Guyane a été créé par la loi d'avril 2006, et mis en place le 7 juin 2007. Au coeur des engagements internationaux de la France souscrits à Rio en 1992, confirmés à Johannesburg en 2002, il relève de la convention sur la biodiversité. Il renvoie à la propriété intellectuelle, et à la reconnaissance des droits des populations locales sur le patrimoine génétique. Il constitue, dans le cadre de la bourse de carbone, un critère d'évaluation pertinent et la forêt amazonienne qu'il abrite peut aussi servir de référent pour la détermination des crédits carbone qui sont prévus pour les projets hors plan national d'évaluation des quotas.

Monsieur le ministre d'État, les Guyanais commencent à désespérer de participer de leur vivant ne serait-ce qu'à l'amorce de la grande aventure du développement. Ils ont déjà subi deux appauvrissements. Le premier, c'est celui des ressources non renouvelables. Nous en sommes au troisième cycle de l'or et le cours international exerce une pression productiviste sur les entreprises aussi bien légales que clandestines. Du pétrole et de l'exploration actuelle du gisement pétrolifère, nous n'attendons guère mieux. Le second correspond à celui des écosystèmes : la forêt, la faune, la flore, les équilibres et, bien entendu, les cours d'eau. C'est donc l'ensemble des activités industrielles, minières, pétrolières, immobilières et spatiales qui doivent être soumises au crible des exigences du développement durable.

C'est ce que permettra le statut écologique préconisé pour les outre-mers par Serge Letchimy, député de la Martinique et membre du groupe sur la biodiversité. Il interviendra dans deux jours, à La Réunion, dans le cadre du seul Grenelle décentralisé pour les outre-mers, dans l'Océan indien. Pourtant, les problématiques sont si diverses !

En conclusion, les outre-mers vous projettent, monsieur le ministre d'État, madame la secrétaire d'État, dans le monde et ses contradictions. À la fois Nord et Sud, ils contraignent à concilier l'urgence du développement, qui libère l'homme de servitudes matérielles, et la nécessité de l'excellence écologique. Ils obligent à inventer des passerelles, à être créatifs pour peu que vous preniez le temps d'écouter et d'entendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

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