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Intervention de Christiane Taubira

Réunion du 18 septembre 2007 à 21h30
Maîtrise de l'immigration intégration et asile — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristiane Taubira :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, après dix-sept textes, dont quatorze ces cinq dernières années, relatifs à l'entrée et au séjour des étrangers, au droit d'asile, au code de la nationalité, à la validation des mariages, à la circulation et à l'emploi de certaines catégories d'étrangers, bref, à toutes ces obsessions qui produisent des lois aussi bavardes qu'inefficaces, on est tenté de se demander ce qu'il reste à vous dire − en supposant que le débat soit de bonne foi.

Nous reviendrons plus tard sur la fascination que les grandes conquêtes scientifiques exercent sur cette majorité, qui les manipule comme le feraient des auteurs de bande dessinée ou des apprentis sorciers délibérément ignorants de la bioéthique. Il faut dire que, lorsqu'il était candidat, le Président de la République avait déjà provoqué de premières secousses sismiques par ses déclarations sur la prédestination génétique au suicide et à la pédocriminalité.

Sous prétexte d'encadrer − en réalité d'enserrer − le regroupement familial, et malgré des serments pathétiques de bienveillance à l'égard des familles, vous surajoutez dans la législation des mesures de police en lieu et place des dispositifs de cohésion culturelle et sociale qui ramèneraient la présence de quelques dizaines de milliers d'étrangers en France à sa juste mesure.

Nous devons reconnaître que ce gouvernement a conservé du précédent une belle habileté d'habillage. On se souvient de la loi « égalité des chances », avec son CPE, de la loi sur la prévention de la délinquance, avec les violations du secret médical et ses tentatives pour enrôler les travailleurs sociaux comme auxiliaires de police, délateurs et indics. Récemment, nous avons eu la loi contre la récidive, avec les peines planchers, ce concept antidémocratique emprunté à un pays qui avait depuis longtemps criminalisé la pauvreté, la couleur et l'engagement militant, et qui lui-même, d'ailleurs, en est revenu. Vous habillez, vous déguisez, vous pratiquez le haut travesti sémantique, comme d'autres font de la haute couture, et vous utilisez des arguments de diversion, laissant croire que la souveraineté de la France est en débat, simplement parce que votre mission principale est d'essayer de banaliser l'hérésie politique et l'indigence éthique de ce que représente ce ministère de confusion, d'imposture et d'inhospitalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. − Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Les seules mesures dignes et honorables de ce texte sont celles qu'a imposées la Cour européenne des droits de l'homme. On pourrait faire de l'ironie facile, tant le texte donne matière à cela. S'il suffisait d'un stage de deux mois sur les valeurs de la République pour assurer l'égalité entre les hommes et les femmes, nous serions débarrassés depuis très longtemps des violences conjugales qui frappent les femmes dont le conjoint, parfois, a suivi vingt ans de scolarité dans les écoles de la République, voire dans les grandes écoles. (Mêmes mouvements.) Nous n'aurions plus besoin de ces trois lois qui ne parviennent pas à mettre un terme aux 27 % d'écart entre les salaires des hommes et les salaires des femmes. À l'évidence, vous confondez les valeurs et les idéaux de la République, ce qui dispense les gardiens de la République d'être exemplaires.

Il faut avoir assez peu de considération pour l'histoire et ses enseignements pour croire à ce point à l'efficacité des barrières et des murs. Tant que les vraies causes des mouvements des hommes n'ont pas disparu, ils se poursuivront : ce sont la pauvreté, les inégalités, les fragmentations de territoires divisés en fiefs, parfois encouragés par des transnationales qui prospèrent davantage dans des relations avec des chefs de fiefs que sous la législation d'États souverains et réellement démocratiques.

Vous croyez faire peur aux ressortissants de certaines parties du monde : vous vous trompez, car la détresse, les nécessités de la survie et, tout simplement, l'amour, leur donneront toujours une ruse d'avance sur vous. Par contre, vous créez du péril pour la France, en laquelle, d'ailleurs, vous semblez avoir une confiance très modérée.

Dans les outre-mers, la situation est très différente, et nous avons d'autant plus de mérite de ne piétiner ni nos principes ni notre éthique, sans doute parce que nous gardons mémoire de la diversité de nos origines − amérindienne, africaine, européenne, asiatique − et que nous savons quelle confiance en la vie et quelle sagesse de l'histoire des hommes ont produit nos sociétés créoles qui concilient une identité irriguée par de multiples cultures, une sociologie caribéenne, sud-américaine, amazonienne − pour moi −, une éducation et un cadre institutionnel français, une relation privilégiée à l'Europe.

En Guyane, l'esbroufe n'est plus de mise. Puisque vous aimez l'arithmétique, dites-nous combien d'adolescents scolarisés depuis plusieurs années ne peuvent se présenter aux examens. Dans la course aux expulsions, combien d'expulsés le sont deux fois, trois fois dans la même année, parce que leur système est simplement plus performant que le vôtre ? Puisqu'on aime les statistiques, parlons aussi de comptabilité. Combien pèsent sur les budgets publics certaines mises en scène, notamment ces débarquements sur les chantiers d'orpaillage, alors que trois quarts des clandestins se sont évaporés ? Combien coûtent ces concours de statistiques, juste pour le spectacle ? Qui évalue les effets dévastateurs des contrôles en mer, où la marine nationale finit par subir l'intimidation de navires de pêche en fraude ? Qui paiera la contradiction entre ces démonstrations musclées et la construction du pont sur l'Oyapock. Il est temps de renoncer à ces menaces tapageuses et ridicules.

Étant donné la nature des faits, monsieur le ministre, ce sujet n'est pas votre affaire, et le Gouvernement deviendra crédible lorsqu'il consentira enfin à confier le pilotage de ces affaires au ministère des affaires étrangères. Le monde a besoin de dialogue et de coopération, pas de ces déclarations récurrentes d'hostilité, qui sont autant de semences de ressentiment. Victor Segalen écrivait déjà : « Le divers rétrécit, telle est la menace. » Et Léopold Sédar Senghor implorait : « Seigneur, pardonne à la France qui dit bien la voie droite et chemine par les sentiers obliques. » (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine.)

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